Réf. : Décision AMF, 3 novembre 2004, à l'égard de M. Jean-Marie Messier, de M. Guillaume Hannezo et de la société Vivendi Universal, sanction (N° Lexbase : L4678GUS).
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N4623ABT
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le 07 Octobre 2010
I - Les griefs relatifs à la sanction
La décision de l'AMF s'inscrit dans le contexte tumultueux de la création et du déclin de V.U. (A), marqués, notamment, par des problèmes relatifs à l'information financière (B).
A - V.U., de la lumière à l'ombre
1 - La saga V.U.
C'est le 20 décembre 2000 que, à la suite de la fusion en juin de la même année de Vivendi, Seagram et Canal +, une nouvelle multinationale des médias est constituée : Vivendi Universal. Très vite, des problèmes financiers apparaissent au sein de la société au point que, dès le début de l'année 2002, le groupe envisage de vendre une partie de son capital pour éviter le dépôt de bilan.
En mars de cette même année, la société annonce un déficit record de 13,6 milliards d'euros et un endettement de 14 milliards d'euros, le cours de l'action ne cessant de chuter au point que ce dernier passera sous la barre des 20 euros en juin, contre 60 euros en janvier. C'est ainsi que le 30 juin 2002, M. Messier, alors PDG, est contraint de présenter sa démission.
La phase contentieuse de l'affaire débute véritablement le 30 septembre 2002 avec l'audition par la COB de M. Messier, à la suite de l'ouverture d'une enquête sur l'information financière de V.U.. C'est, ensuite, au tour du juge judiciaire d'ouvrir, le 29 octobre suivant, une information contre X. sur les comptes de Vivendi Universal, au grief, notamment de "la fourniture de fausses informations ayant pu causer un grave préjudice financier".
L'affaire se complique à la fin de l'année 2003 puisque la COB transmet, le 15 septembre, les résultats de ses investigations au parquet de Paris, notamment parce qu'elle soupçonne l'existence de délits d'initiés. L'Autorité boursière américaine : la Securities and Exchange Commission (SEC), quant à elle, contraindra M. Messier à renoncer à son golden parachute, d'un montant de 20,6 millions d'euros, le groupe acceptant, par ailleurs, de verser une amende de 50 millions de dollars (50 millions d'euros) en contrepartie d'une cessation des poursuites.
En juin 2004, les responsabilités personnelles des principaux protagonistes de l'affaire semblent pouvoir être établies puisque, le 4 juin, M. Hannezo, ancien directeur financier du groupe, sera mis en examen pour "délit d'initié, complicité de manipulations de cours et diffusion de fausses informations" et que le 23 juin, M. Messier sera, également, mis en examen pour "manipulation de cours, diffusion de fausses informations et abus de biens sociaux", la caution étant fixée par le juge à 1,35 million d'euros.
2 - L'information financière en question
L'AMF, dans le cadre de ses compétences, a, quant à elle, eu essentiellement à connaître des infractions relevant de l'application des articles 1, 2, 3 et 4 du règlement COB n° 98-07 (N° Lexbase : L1720ASI), qui concernent les obligations d'information du public. A ce titre, l'Autorité ne retiendra pas la responsabilité de M. Hannezo après analyse des fonctions de l'intéressé en matière d'information car, occupant à l'époque les fonctions de directeur général adjoint, ses attributions ne débouchaient pas statutairement sur des missions d'information. En outre, ni M. Messier, ni le conseil d'administration de V.U. ne lui avaient consenti des délégations de pouvoir en matière de consolidation des comptes et d'information financière. L'AMF a, par ailleurs, toujours dans le cadre de sa compétence, cherché à établir d'éventuels manquements d'initiés de la part de MM. Messier et Hannezo.
Il s'agissait donc d'apprécier, en premier lieu, le respect des dispositions du règlement COB n° 98-07 précité, sachant, qu'en l'espèce, on reprochait d'abord à M. Messier d'avoir diffusé des informations financières "susceptibles d'être inappropriées". C'est ici l'utilisation de méthodes particulières de consolidation qui était en cause pour trois filiales de V.U. : Cegetel, Maroc Telecom et Telco. II lui était fait grief, ensuite, d'avoir procédé à une communication inexacte, incomplète et donc trompeuse sur l'endettement, les résultats et la trésorerie du groupe.
En dehors des problèmes relatifs à l'information du public, il s'agissait, en second lieu, d'établir la détention et l'utilisation personnelle d'informations privilégiées en violation des articles 1 et 2 du règlement COB n° 90-08 (3). Il était, en particulier, reproché à MM. Messier et Hannezo d'avoir cédé leurs actions V.U. les 21 et 27 décembre 2001, alors qu'ils pouvaient être suspectés détenir certaines informations, inconnues du public, relatives notamment -selon la décision- : "à l'absence de "cash flow" net positif de V.U. durant le second semestre 2001 ; au risque de perdre les disponibilités importantes constituées par la trésorerie de Cegetel, mise à disposition de V.U. aux termes d'une convention de compte-courant dont l'échéance était fixée fin décembre 2001 ; [...] [et enfin] aux engagements de cessions d'actifs pris auprès d'une agence de notation".
B - L'analyse de l'AMF
1 - Sur la communication financière consécutive aux choix des techniques de consolidation
S'agissant, tout d'abord, des méthodes de consolidation retenues, susceptibles d'être inappropriées, et de la représentation qu'elles ont donnée de la santé financière du groupe, l'AMF prend la peine de rappeler certains principes comptables. Elle souligne, ainsi, qu'aux termes des dispositions du Code de commerce, est soumise à l'obligation de consolidation des comptes toute société qui exerce sur une autre un contrôle "exclusif" (la consolidation doit alors s'opérer par intégration globale), ou "conjoint" (l'intégration proportionnelle est requise), ou encore "une influence notable" (la mise en équivalence doit alors être retenue). Ces dispositions visant à assurer l'information des associés et des créanciers, doivent leur donner, selon les textes, une "image fidèle du patrimoine, de la situation financière, ainsi que du résultat de l'ensemble économique constitué par les entreprises comprises dans la consolidation".
A ce titre, l'Autorité relève, d'abord, que, concernant les hypothèses de contrôle précitées, il convenait, en l'espèce, de vérifier d'abord que, s'agissant de Cegetel, V.U., disposant de la majorité des droits de vote, était en situation de contrôle exclusif -et donc soumis à une obligation de consolidation globale- à moins qu'il ne puisse être établi l'existence d'une convention "privant l'associé majoritaire de la direction financière et opérationnelle de l'entreprise ainsi que de l'utilisation et de l'orientation des actifs de l'entreprise au profit d'un minoritaire".
Ensuite, s'agissant de Maroc Telecom, il y avait lieu d'établir si V.U. exerçait une influence notable, entraînant une obligation de consolidation par mise en équivalence. Enfin, il convenait d'examiner si Telco faisait l'objet, en raison d'un accroissement programmé des participations de V.U. dans la société, soit d'un contrôle conjoint, soit d'"une influence dominante" renvoyant ainsi, selon le cas, à la consolidation par intégration proportionnelle ou par mise en équivalence.
Raisonnant, en premier lieu, à propos de Cegetel, l'Autorité établit que les décisions la concernant relevaient toujours de V.U. en dernier ressort. Dès lors, V.U. ayant opéré la consolidation par intégration globale, aucun manquement ne pouvait lui être reproché. Il en allait de même pour la Société Maroc Telecom, qui, étant contrôlée initialement au titre d'une influence dominante, devait à terme, en vertu d'un certain nombre d'engagements pris auprès du royaume du Maroc, être contrôlée majoritairement. Elle avait donc, à juste titre, fait l'objet d'une consolidation par intégration globale.
Il n'en allait pas de même, toutefois, à propos de la société Telco, sachant qu'il était reproché à V.U. d'avoir retenu, pour celle-ci, le principe de la consolidation "par mise en équivalence", c'est-à-dire celle qui correspond à un contrôle exercé sur le fondement d'une "influence notable". Or, l'Autorité relèvera que durant l'exercice 2001 -seul en cause dans cette affaire-V.U. exerçait un "pouvoir conjoint" impliquant l'application du régime de l'intégration proportionnelle visé à l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU). C'est sur ce fondement que M. Messier et la Société V.U. seront condamnés.
2 - S'agissant des problèmes relatifs à la communication financière sur la dette et le cash-flow
L'AMF distinguera différentes situations. Sur la question, d'abord, de la dette pour la période allant d'octobre à décembre 2000, l'Autorité relève que, par un communiqué du 12 octobre 2000, V.U. avait déclaré : "un solde net de dette" alors que la dette financière nette établie en normes comptables françaises s'élevait à 12,3 milliards d'euros. Le même communiqué faisait état, par ailleurs, d'un endettement du groupe, pour le secteur télécommunication, de 1,2 milliards d'euros alors qu'il s'élevait, en réalité, à 3,4 milliards. A ce titre, M. Messier et la société V.U. se verront déclarer responsables.
Concernant l'année 2001, ensuite, l'AMF relèvera que l'information sur la dette n'était pas trompeuse au sens de l'article 3 du règlement COB n° 98-07. Elle établira, enfin, qu'aucune responsabilité ne pouvait être retenue à propos de la communication relative aux résultats, aussi bien pour l'année 2001 que pour l'année 2002.
L'information sur la trésorerie fera, par ailleurs, l'objet d'une analyse approfondie par l'Autorité qui relèvera que V.U., qui disposait de conditions conventionnelles -demeurées secrètes- d'accès aux fonds de Cegetel, avait contracté à ce titre une dette envers sa filiale. Or, pour le public, cette dette n'était pas perceptible, et ce, d'autant moins que selon les termes mêmes de l'AMF : "l'on voit mal comment, là ou les agences de notations ont été abusées (Merryl Linch), le public aurait pu ne pas l'être".
Elle relèvera, également, qu'un premier communiqué en date du 25 septembre 2001 relatif au cash-flow disponible avait un contenu faux. Au surplus, une conférence de presse en date du 5 mars 2002 avait permis de présenter des données "aussi mal définies que parcellaires, [qui ont] [...] contribué à en fausser et à en inverser la compréhension, le public ayant reçu une image positive de la situation financière de VU, qui était aux antipodes de la réalité".
Enfin, lors d'une assemblée générale, M. Messier devait préciser que "le cash flow pourrait -demain- servir -non seulement au dividende mais au paiement de la dette-", alors que ledit cash flow était, à l'époque, négatif. Sur ce dernier point, c'est, non seulement, le PDG qui sera jugé responsable, mais également la société, responsable de toute communication financière faite en son nom.
3 - S'agissant des éventuels manquements d'initiés liés à l'exploitation d'informations privilégiées
L'Autorité y consacrera la seconde partie de sa décision, examinant si MM. Messier et Hannezo, à qui il était reproché d'avoir cédé un nombre important d'actions durant le mois de décembre à un cours proche de 60 euros, avaient pu bénéficier d'informations privilégiées. Ces dernières auraient pu concerner : l'accès à la trésorerie de Cegetel, les engagements pris auprès d'agence de notation et l'absence de cash flow net positif à la fin de l'année 2001.
Sur le premier point, l'Autorité relève l'absence d'information privilégiée dont auraient pu bénéficier les cédants, qui ne disposaient d'aucun élément "nouveau, précis ou déterminant" susceptible de caractériser une telle information. Sur le deuxième, il s'avère que certaines réticences des agences de notation concernant la dette de V.U. avaient été publiées, l'AMF relevant que le public n'ignorait pas que lesdites agences avaient exprimé leurs inquiétudes et que la société s'était engagée, auprès d'elles, à céder des actifs à court terme pour rembourser une partie de la dette.
Sur le troisième point : la connaissance de l'absence de cash-flow net positif à la fin de l'année 2001, l'Autorité souligne qu'il n'y avait pas lieu d'y voir intrinsèquement l'utilisation d'une "information privilégiée" (du moins au sens du règlement COB n° 90-08), sauf si l'information avait été, durant la période visée au grief, inaccessible au public. Or, l'AMF estime qu'il ne s'agissait pas à l'époque d'une donnée précise et que, de surcroît, les informations relatives à cette situation étaient progressivement révélées par les agences de notation et qu'enfin, V.U., d'elle-même, avait fini par transmettre les informations financières en question.
Ainsi d'en conclure, s'agissant de la recherche de l'utilisation d'informations privilégiées par MM. Messier et Hannezo, que les données sur l'état réel de la société, "à défaut de constituer une indication précise et inaccessible pour le public" ne pouvaient pas être regardées comme une "information privilégiée". L'Autorité soulignera, en exergue, que cette décision se justifiait d'autant plus que M. Messier avait pu indiquer lors de ses auditions qu'il avait, à cette époque, racheté plus de titres qu'il n'en avait vendu.
La sanction est ainsi établie sur les seuls faits que M. Messier, en tant que PDG de V.U., avait délibérément diffusé, au nom de cette société, à propos de la consolidation de Telco, ainsi que des dettes, des cash flow et des perspectives d'avenir du groupe, des informations inexactes et abusivement optimistes. L'autorité fixera cette sanction à un million d'euros pour le président et à la même somme pour la société.
II - Les aspects procéduraux en question
C'est cette décision que M. Messier souhaite voir annulée, un recours ayant été déposé en ce sens auprès de la cour d'appel de Paris. Ce sont, certes, les motifs justifiant la condamnation pour information trompeuse qui sont d'abord contestés, mais surtout les conditions de déroulement de la procédure (A), et ce, d'autant plus, que ce déroulement a été rendu plus complexe en raison de l'existence d'une autre procédure en matière pénale (B).
A - Les griefs tirés du non respect de la procédure
1 - La complexité de la procédure
Dans sa décision, la Commission s'explique longuement sur la justification des différents incidents qui ont émaillé la procédure. S'agissant, d'abord, des délais initialement fixés aux mises en cause pour répondre à la notification des griefs, elle fait valoir des nécessités pratiques d'organisation, eu égard au volume exceptionnel que représentaient les pièces. Cette situation a contraint le rapporteur à indiquer, dans les notifications de griefs, que les parties étaient invitées à faire parvenir leurs observations écrites dans un délai de trois mois à compter de la date à partir de laquelle les pièces du dossier leur seraient accessibles.
Quant à la désignation du rapporteur de la Commission des sanctions de l'AMF, l'Autorité explique que M. Alain Ferri a dû, ensuite, être choisi le 28 novembre 2003, en remplacement de Mme Bourven, précédemment désignée, parce que cette dernière ne comptait pas au nombre des membres de la Commission des sanctions. Les personnes mises en cause ont été informées de cette désignation par lettres en date du 23 décembre 2003.
Enfin, l'AMF souligne qu'à la demande des parties, plusieurs délais supplémentaires pour la clôture des dossiers furent accordés, la date d'expiration, pour ce qui concerne MM. Messier et Hannezo étant finalement fixée au 8 mars 2004 et pour la société V.U., au 10 mars.
La Commission des sanctions de l'AMF se justifie, par ailleurs, sur l'organisation des auditions effectuées par le rapporteur. Le 24 mai 2004, ce dernier avait procédé à l'audition de M. Messier à sa demande mais, le lendemain, il avait entendu également M. Hannezo qui, par lettre du 14 mai 2004, avait précisé vouloir assister à l'audition de M. Messier, ce qui lui avait été refusé. Le 15 juin 2004, le rapporteur entendait la société V.U., représentée par son président, M. Fourtou. Le même jour, le rapporteur écrivait à la société V.U., à M. Messier et à M. Hannezo afin de leur préciser qu'il ne lui paraissait pas utile de procéder aux autres auditions sollicitées.
En réponse à la demande de M. Messier, le rapporteur a, ensuite, convoqué Mme Gros, directeur de la presse et des relations publiques de V.U., à la date du 13 juillet 2004. Elle ne s'est pas présentée et le rapporteur a ensuite estimé qu'elle pourrait être entendue par la Commission des sanctions en séance.
On comprend, dès lors, que la Commission ait dû, dès avant son analyse des conditions de l'information financière, répondre de façon particulièrement détaillée aux griefs des différents protagonistes de l'affaire et, notamment, à ceux qui étaient soulevés par M. Messier et la société V.U..
Les prétentions des parties portaient, en effet, sur trois points principaux. S'agissant de la décision rendue le 3 novembre (publiée le 7 décembre), M. Hannezo soutenait en premier lieu que l'instruction du rapport n'avait été conduite qu'à charge, aucune audition de tiers n'ayant été effectuée. La société V.U. prétendait, pour sa part, que le rapporteur ne pouvait ni reprendre à son compte les griefs sans avoir examiné les arguments des mis en cause, ni formuler de nouveaux griefs à propos de la consolidation de la société Telco ou de la communication sur l'endettement, ni refuser de procéder aux auditions sollicitées. M. Messier, quant à lui, soulevait différents arguments : d'une part, que l'enquête et le rapport n'avaient pas été conduits de manière contradictoire et impartiale, le dossier ne comportant pas toutes les pièces dont disposerait l'AMF et les auditions demandées au rapporteur, dont celle de Mme Gros, n'ayant pas été effectuées. Il soutenait, d'autre part, qu'il convenait que la présente Commission décide de surseoir à statuer jusqu'à la fin de l'information judiciaire en cours afin que certaines pièces du dossier pénal puissent être produites devant elle.
L'AMF écartera, tout d'abord, le grief tiré de l'absence de procédure contradictoire durant l'enquête, considérant, qu'à ce stade, le contradictoire n'est imposé par aucun texte. Le principe du contradictoire, selon elle, n'a à être mis en oeuvre qu'à partir de la désignation du rapporteur et il ne doit s'appliquer qu'aux seules pièces figurant dans le dossier dont celui-ci est saisi. Or, en l'espèce, cette procédure aurait été respectée, toutes les personnes mises en cause ayant eu communication du dossier, ayant été entendues par le rapporteur et ayant pu produire les documents qu'ils estimaient utiles à leur défense.
L'autorité écartera, ensuite, le deuxième grief émis par V.U., s'agissant des appréciations portées par le rapporteur. Tant s'agissant des manquements dont il était saisi, que de l'appréciation du fonctionnement de la société TELCO ou sur les dettes de V.U., l'AMF soutient que ces appréciations relèvent de sa liberté d'analyse et que celle-ci ne peut donner lieu à grief.
Enfin, et c'est sans doute également un point important, l'Autorité reconnaît qu'en ce qui concerne les personnes susceptibles d'apporter leur témoignage, le rapporteur n'a accédé qu'à la demande d'audition de Mme Gros et n'a pu y procéder le 13 juillet 2004, car celle-ci ne s'est pas présentée à la convocation. Toutefois, l'AMF souligne que cette absence de comparution ne saurait constituer un grief admissible, puisqu'il appartient au seul rapporteur d'apprécier les suites à réserver à de telles demandes. Par ailleurs, la Commission estime avoir mis l'ensemble des parties en mesure de solliciter les auditions qu'elles souhaitaient et a répondu favorablement à toutes les demandes. Mme Gros, en particulier, a pu être entendue à l'audience et même déposer des documents écrits joints à la procédure, ces différents éléments permettant à l'Autorité de conclure que le principe du contradictoire avait été pleinement respecté.
Pour en terminer avec le prétentions de M Messier, l'AMF relève in fine que :"le Code de procédure pénale permet aux avocats des mis en examen, s'ils l'estiment utile, de demander au procureur de la République de les autoriser, avec l'accord du magistrat instructeur, à verser dans une autre procédure certaines des pièces de l'information en cours ; que les avocats de M. J.-M. Messier ne sauraient, alors qu'ils ne paraissent pas avoir déposé la moindre requête en ce sens, obtenir de la présente Commission un sursis à statuer dont ils ne justifient aucunement l'utilité".
Cette partie de la motivation soulève le délicat problème de l'articulation entre deux procédures : celle qui était menée par la Commission des sanctions et l'instruction toujours en cours à l'heure actuelle, et dont aura à connaître le juge judiciaire.
B - Le caractère conjoint des procédures boursières et pénales
1 - Coordination
Ces faits, dans leur ensemble, doivent, en effet, être appréciés avec circonspection puisque la procédure suivie par l'AMF s'est déroulée conjointement avec une procédure pénale. C'est d'ailleurs l'occasion de souligner la promptitude d'instruction du volumineux dossier de l'affaire V.U. par la Commission des sanctions. Mais on peut se demander si cette célérité, que le marché et les investisseurs appelaient de leurs voeux, n'a pas débouché sur des dysfonctionnements que le demandeur en appel se fait fort d'exploiter.
A ce titre, Me Olivier Metzner, conseil de M. Messier, a déclaré à la presse que la procédure instruite par l'AMF était entachée d'irrégularités, Me Metzner faisant état de l'absence de pièces mentionnées dans le dossier, au point d'évoquer une "manipulation de procédure" et des "atteintes aux droits de la défense".
Ce qui ressort indiscutablement de cette affaire, même s'il semble difficile de démêler l'écheveau des différents arguments échangés, c'est que l'existence de deux procédures menées de front, mais avec des objectifs et une célérité différents n'a ni clarifié l'instruction menée par le rapporteur, ni débouché sur une sérénité dans la décision, du moins si l'on en croît certaines informations parues dans la presse. Ainsi, le journal Le Monde, dans son édition du 8 février dernier, révélait, sous la plume de Martine Orange, que "depuis des mois, les juges se plaignent d'un manque de coopération des autorités boursières. Plusieurs fois ils ont dû réclamer les pièces qui étaient en possession de l'AMF. Ils ont constaté aussi que des pièces manquaient, que d'autres avaient un temps disparu avant de réapparaître". Selon les mêmes sources, des pièces concernant les stock-options de M. Messier demeureraient introuvables à l'heure actuelle.
2 - Conclusion
Que penser de cet imbroglio procédural ? A l'évidence, on mesure que les instances judiciaires et les autorités boursières n'opèrent pas dans le même registre. Face aux multiples problèmes qu'avait pu rencontrer la COB en matière de procédure et de respect des droits de la Convention européenne des droits de l'homme (N° Lexbase : L4800AQT), la constitution de l'AMF semblait avoir permis de prendre en considération les enseignements des échecs passés. A ce titre, le décret n° 2003-1109 du 21 novembre 2003 relatif à l'Autorité des marchés financiers, en instituant une Commission des sanctions, était censé mettre la nouvelle autorité à l'abri des recours purement procéduraux. Il s'avère, cependant, qu'un an après la constitution de l'AMF, de nouveaux problèmes se posent, problèmes dont la dimension, si l'on en croit la presse, pourrait s'avérer considérable.
La question se situe-t-elle réellement à ce niveau de détail ? En d'autres termes, peut-on concilier à la fois l'inévitable lenteur d'une justice dont on souhaite qu'elle soit sereine et impartiale et les exigences, autrement plus volatiles, des marchés ? Ces derniers exigent des sanctions promptes et une autorité efficace. Comment instituer, alors, une institution de marché puissante et dissuasive (rappelons en particulier qu'aux Etats-Unis, la SEC est présentée comme le "gendarme de la bourse"), qui puisse exercer également des fonctions juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles sans être suspectée ? Le législateur, en instituant l'AMF n'a-t-il pas présumé de la souplesse du cadre juridique qui est celui d'une autorité administrative indépendante ? Il semble, en tout cas, que le modèle de régulation des marchés à la française, soit inutilement fragilisé et qu'il risque, pour cette raison d'être remis en question. On ne saurait, en effet, imaginer qu'autant d'attaques frontales contre l'institution ne finissent par altérer l'image de l'autorité boursière.
Jean-Baptiste Lehnoff
Maître de conférences à l'ENS-Cachan
(1) Le Monde, 8 février 2005.
(2) Article 26 II. du décret du 21 novembre 2003 : "les recours contre les décisions de portée individuelle prises par l'Autorité des marchés financiers, autres que celles mentionnées au I, sont portés devant la cour d'appel de Paris".
(3) Règlement COB n° 90-08, 17 juillet 1990, relatif a l'utilisation d'une information privilégiée (N° Lexbase : L4749A4N), désormais articles 611-1 et s. du Règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L4083GUR).
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