Réf. : Conclusion de l'Avocat général M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer sur l'affaire C-376/03
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N3657AB3
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
Il convient d'observer que les circonstances de fait ont conduit à soulever, en premier lieu, par voie préjudicielle la question de savoir si le droit communautaire, et en particulier les articles 56 du Traité CE et suivants , s'opposait "à une réglementation en vertu de laquelle un contribuable résident a toujours droit au bénéfice d'un abattement dans le cadre de l'impôt sur la fortune, alors qu'un contribuable non-résident n'y a pas droit lorsque son patrimoine se trouve pour l'essentiel dans son Etat de résidence (où aucun impôt sur la fortune n'est au demeurant perçu) ?"
A cette interrogation l'Avocat général répond positivement (point 71) en proposant à la Cour de justice "de déclarer que la libre circulation des capitaux dans l'Union européenne s'oppose à une réglementation nationale qui, en matière d'impôt sur la fortune, reconnaît aux contribuables résidents le droit à un abattement, qui est refusé aux non-résidents (à moins que 90 % de leur patrimoine se trouve dans cet Etat membre), lorsque ces derniers n'ont pas d'autre 'patrimoine imposable' que celui situé dans ce pays, parce que celui qu'ils possèdent dans d'autres Etats membres n'est soumis à aucun impôt similaire".
Il s'ensuit, toujours selon l'Avocat général, que compte tenu de la solution proposée pour la première question et du caractère subsidiaire de celle relative à "la clause de la Nation la plus favorisée", il lui paraît "superflu de répondre" à cette dernière (point 72), en sorte qu'il suggère à la Cour (point 106) "de ne pas donner de réponse ..." et en toute hypothèse pour le cas où elle se trouverait être envisagée, l'analyse qui en sera faite (point 75), le sera "à titre strictement hypothétique et subsidiaire, sans que le résultat de cette analyse puisse entrer en aucune manière dans le dispositif de la décision qui sera prise sur la demande préjudicielle", à titre principal.
C'est donc dans ce contexte particulier que l'Avocat général a entendu, néanmoins, "apporter certaines précisions à titre subsidiaire", sur la question de la Nation la plus favorisée pour le cas où la Cour de justice suivrait une orientation différente de celle qu'il propose en réponse à la question préjudicielle principale soumise à la Cour.
Il répond, dans un premier temps négativement à la question posée en considérant (point 96) "que la 'clause de la Nation la plus favorisée' ne peut être automatiquement transposée [...], que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, pris en tant que règle placée au service des libertés de circulation, n'exige pas qu'un citoyen d'un Etat membre reçoive dans un autre Etat membre le meilleur traitement possible, peu importe si cela est ou non nécessaire pour la construction du marché unique".
Pour conforter sa position, il se réfère à ses conclusions (points 66 et 67) figurant sous l'arrêt "Gilly" (CJCE, 12 mai 1998, aff. C-336/96, Epoux Robert Gilly c/ Directeur des services fiscaux du Bas-Rhin N° Lexbase : A1840AW3), aux termes desquelles il déclarait, à propos de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, "que l'objet d'une convention bilatérale de double imposition est d'éviter que les revenus déjà imposés par l'un des Etats le soient à nouveau dans l'autre et non de garantir au contribuable le statut fiscal le plus favorable dans chaque cas donné".
Toutefois, cette position clairement tranchée ne serait pas sans appel, dans la mesure où selon l'Avocat général, (point 97) "rien n'empêche que le droit communautaire apporte un correctif pour mettre fin à une situation d'inégalité lorsque l'application d'une norme conventionnelle par un Etat membre fait obstacle à la libre circulation des capitaux en appliquant de façon injustifiée un traitement différent aux personnes résidant dans d'autres Etats membres".
Et ce d'autant, qu'il est rappelé qu'en vertu des dispositions de l'article 12 du Traité CE , premier alinéa, les personnes résidentes des Etats membres, disposant de la qualité de citoyens européens, ne peuvent être discriminées, directement ou indirectement, en raison de leur nationalité.
Il s'ensuit, selon l'Avocat général, que dans les situations triangulaires, comme celle du litige (point 97) soumis à la Cour, que "la position du contribuable dans l'Etat d'imposition peut être construite en se fondant sur la 'clause de la Nation la plus favorisée', mais également sur la base de l'existence d'une restriction aux libertés de circulation".
En effet, tout contribuable tentera, dans la même situation que celle de ce contribuable allemand, imposé sur la fortune aux Pays-Bas, d'obtenir que lui soit étendu le bénéfice de l'accord prévu pour les résidents belges et "cette prétention peut s'appuyer sur le concept de restriction à la libre circulation des capitaux, si la charge fiscale plus lourde et les conséquences négatives sont considérées comme contraires à l'ordre juridique communautaire" (point 97).
Il est en conséquence, selon l'Avocat général (point 97), "contraire au droit communautaire d'accepter des obligations de réciprocité vis-à-vis d'un autre Etat membre, lorsqu'elles limitent les libertés de circulation des ressortissants d'Etats européens tiers [...] et que les normes nationales, dont font partie les traités internationaux valablement conclus et ratifiés, ne peuvent violer les libertés fondamentales du système juridique européen".
Au-delà même de l'examen strict de "la clause de la Nation la plus favorisée", c'est la confrontation de cette dernière avec le principe de non-discrimination qui rendrait susceptible d'envisager sa transposition à la présente affaire. Toutefois, il apparaît au vu des conclusions de l'Avocat général qu'il paraît difficile de l'appliquer d'une manière autonome et indépendamment du principe de non-discrimination.
Il convient de le rappeler, le principe de "la Nation la plus favorisée" est un principe consacré uniquement dans les règles OMC (Organisation mondiale du commerce), et qui se trouve limité dans le cadre de l'OMC aux dispositions relatives aux droits de douane et impositions perçues à l'importation ou à l'exportation ainsi qu'aux mesures relatives à la fiscalité intérieure sur les produits importées et relatives à la commercialisation de ces produits.
Ce principe, d'application générale à l'égard de tous les membres de l'OMC, implique que dans l'hypothèse où deux membres de cette organisation s'accorderaient mutuellement des avantages supérieurs à ceux déjà négociés et consolidés dans les listes annexées au GATT 94, ces avantages devraient être étendus ipso facto à l'ensemble des membres de l'OMC, sauf existence d'exceptions dans de cas particuliers (cf. exceptions en faveur des intégrations économiques régionales, celles bénéficiant les pays en développement et celles résultants des impératifs de santé publique et sécurité).
Ce principe n'est reconnu dans l'ordre juridique communautaire que dans le cadre du respect des règles OMC par la Communauté.
En ce qui concerne, en revanche, le principe de non-discrimination, celui-ci bien connu en droit communautaire et d'application constante se trouve à la base des règles communautaires relatives aux quatre libertés fondamentales (marchandises, personnes, services et capitaux) maintes fois commentées dans les colonnes de Lexbase.
Le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée.
La jurisprudence constance de la Cour de Luxembourg a, dans ce cadre, reconnu que les sociétés non-résidentes se trouvaient dans la plupart des cas dans une situation comparable aux sociétés résidentes et que dès lors elles devaient bénéficier d'un traitement national.
Jusqu'à la présente affaire commentée (affaire D.) les questions relatives à la confrontation entre les conventions fiscales bilatérales et le droit communautaire, comme au cas d'espèce, n'ont été qu'incidentes et ne visaient qu'à démontrer l'incompatibilité de ces conventions avec le droit communautaire (voir CJCE, 12 mai 1998, aff. C-336/96, Epoux Robert Gilly c/ Directeur des services fiscaux du Bas-Rhin ; CJCE, 28 janvier 1986, aff. C-270/83, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A8319AUN et CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-385/00, F. W. L. de Groot c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A3723A4N).
La question de savoir quel est l'effet des conventions bilatérales à l'égard des Etats membres non signataires n'a, toutefois, été évoquée qu'à partir de l'affaire "Saint Gobain" (CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-307/97, Compagnie de Saint-Gobain, Zweigniederlassung Deutschland c/ Finanzamt Aachen-Innenstadt N° Lexbase : A8910AUK), suivie de celle des "sociétés Hoechst et Metallgesellschaft" (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98, Commissioners of Inland Revenue et HM Attorney General N° Lexbase : A8088AY9) et enfin de l'affaire "Gottardo" concernant une personne physique (CJCE, 15 janvier 2002, aff. C-55/00, Elide Gottardo c/ Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) N° Lexbase : A8474AX7), lesquelles présentent une certaine similitude avec la présente affaire commentée et relancent aujourd'hui à nouveau le débat devant la Cour.
La seule différence entre ces affaires et la présente "affaire D." commentée réside dans les faits que dans les premières la convention bilatérale a été passée avec un pays tiers non communautaire.
Dans l'affaire "Saint-Gobain ZN" se posait la question de savoir si un Etat membre (Allemagne) pouvait, conformément au droit communautaire, refuser d'accorder aux établissements stables situés sur son territoire le bénéfice d'exonérations provenant de conventions signées avec des pays tiers (Etats-Unis, Suisse), lorsque le siège de l'établissement stable est également situé dans un autre Etat membre (France).
La Cour de Justice, dans cette affaire, a donné une réponse négative, en étendant le champ d'action du principe de traitement national et en affirmant son application aux établissements secondaires de sociétés européennes non-résidentes, même dans le cadre de l'application de conventions fiscales avec des Etats tiers non européens.
Cette solution reconnue dans le domaine de la fiscalité directe a, ensuite, été, également, admise dans d'autres domaines (voir CJCE, 15 janvier 2002, aff. C-55 /00, Elide Gottardo c/ Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS), sur la libre circulation des travailleurs et CJCE, 5 novembre 2002, aff. C-466/98, Commission des Communautés européennes c/ Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, sur les transports aériens N° Lexbase : A4244A3L).
Toutefois, il convient d'observer que l'arrêt "Saint-Gobain ZN" n'a pas eu pour effet d'étendre le principe de non-discrimination de sorte à pouvoir comparer le traitement qui est donné dans un Etat membre à deux sociétés non-résidentes dans cet état membre et jouissant de droits différents en vertu des conventions fiscales bilatérales.
Une telle extension de la portée du principe de non-discrimination équivaudrait à consacrer le principe de "la Nation la plus favorisée" en droit communautaire et, plus particulièrement, dans le cadre de la liberté d'établissement ; c'est en définitif toute la question posée par "l'affaire D." à laquelle l'Avocat général tente d'apporter une réponse. Cette consécration permettrait donc, à l'instar de ce qui est possible dans le cadre de l'OMC, à un Etat membre, et par ricochet à ses entreprises, de se prévaloir des dispositions d'une convention fiscale dont il n'est pas signataire.
La présente affaire (affaire D.) commentée suivant les conclusions de l'Avocat général est, également, à rapprocher de l'affaire des "sociétés Hoechst et Metallgesellschaft" qui étaient des sociétés établies en Allemagne et possédant des filiales au Royaume-Uni. Les filiales anglaises ayant versé des dividendes à leurs sociétés mères allemandes et, ne pouvant opter pour l'imposition de groupe, que la législation britannique réservait aux seules sociétés mères résidant au Royaume-Uni, elles ont estimé avoir subi un préjudice de trésorerie, du fait du versement de l'ACT, préjudice que n'ont pas eu à supporter les filiales de sociétés mères résidant au Royaume-Uni.
Ces sociétés ont ainsi posé une série de questions relatives, d'une part, à la compatibilité de la législation anglaise avec le droit communautaire et, d'autre part, à la compatibilité avec le droit communautaire de refuser certains droits à des sociétés résidentes dans certains Etats membres alors que ces mêmes droits sont conférées à d'autres sociétés résidentes dans d'autres Etats membres en vertu de conventions fiscales bilatérales conclues avec ces derniers.
Toutefois, la Cour de Justice, suivant en cela son Avocat général, M. Fennelly, a évité de répondre à ces questions, sous prétexte qu'elle avait déjà déclaré l'incompatibilité de la législation anglaise avec le droit communautaire dans sa réponse aux première et deuxième questions. C'est toute la différence de cette affaire avec "l'affaire D." dans laquelle l'Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer apporte un éclairage sur la notion de "clause de la Nation la plus favorisée" au regard du principe de non-discrimination, cette dernière notion l'emportant sur la première.
C'est en fonction de ce dernier principe que l'Avocat général positionne la notion de "clause de la Nation la plus favorisée" en rappelant que si les Etats disposent pleinement de leur pouvoir fiscal, ils ne peuvent l'exercer qu'en conformité avec le droit communautaire (CJCE, 28 janvier 1986, aff. C-270/83, Commission des Communautés européennes c/ République française) quel que soit l'instrument normatif employé qu'il s'agisse de la loi ou du règlement ou comme au cas de l'espèce commentée d'une convention bilatérale (intracommunautaire ou avec des pays tiers).
A l'époque, l'absence de réponse de l'Avocat général dans l'affaire "sociétés Hoechst et Metallgesellschaft" avait surpris dans la mesure où, la Cour n'étant pas obligée de suivre les recommandations de ce dernier, celle-ci aurait pu examiner l'ensemble des questions posées tant à titre principal que subsidiaire.
La question restait donc ouverte jusqu'à ce que la présente affaire (affaire D.) vienne devant la Cour dont on attendra avec intérêt l'arrêt sur la question, si elle se trouve, toutefois, évoquée.
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