Réf. : Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-17.908, Société Le Sou médical c/ Caisse régionale d'assurance maladie des professions libérales d'Ile-de-France, FS-P+B (N° Lexbase : A8403DDL)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-17.908, Société Le Sou médical c/ Caisse régionale d'assurance maladie des professions libérales d'Ile-de-France, FS-P+B (N° Lexbase : A8403DDL) Cassation partielle (CA Paris, 1re ch. B, 15 novembre 2001) Mots clef : responsabilité civile du salarié ; médecin ; absence de responsabilité personnelle dans le cadre des fonctions. |
Faits
1. A l'issue d'une intervention chirurgicale sur la carotide, M. A a été placé sous la surveillance de M. X, médecin de garde salarié de la clinique internationale du Parc Monceau. Il a alors été victime d'une hémorragie et, en dépit d'une nouvelle intervention, d'une hémiplégie. 2. Il a recherché la responsabilité de la clinique internationale du Parc Monceau, de la société Llyod continental, son assureur, de M. X. et de la société Le Sou médical, son assureur. La cour d'appel de Paris a condamné in solidum M. X et la société Le Sou médical à indemniser, au titre de la perte de chance, 90 % du préjudice subi par M. A, après avoir relevé que ce praticien n'avait pas correctement surveillé les suites de l'intervention chirurgicale, que sa qualité de salarié n'aliénait nullement l'indépendance dont il disposait dans l'exercice de son art et, enfin, que sa responsabilité devait être retenue sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). |
Problème de droit
Le médecin salarié qui commet une faute dans le cadre de sa mission engage-t-il sa responsabilité à l'égard de la victime ? |
Solution
1. "Vu les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil ; Attendu que le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient". 2. Cassation |
Commentaire
1. Le bénéfice de l'immunité de responsabilité étendu aux médecins salariés
Jusqu'à l'arrêt "Costedoat" rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4), les salariés, considérés civilement comme des préposés (C. civ., art. 1384, alinéa 5 N° Lexbase : L1490ABS), ne bénéficiaient d'aucun privilège lorsque la victime d'un dommage qu'ils avaient causé, même dans l'exercice de leurs fonctions, leur réclamait réparation du préjudice subi. Ils devaient payer, même s'ils n'étaient pas assurés, sans pouvoir contraindre la victime à agir contre l'employeur ni, d'ailleurs, exercer de recours contre ce dernier, à moins qu'il n'ait lui-même commis une faute en relation avec le dommage. Jugée conforme au principe de responsabilité personnelle, cette jurisprudence était critiquée par tous ceux qui considéraient que le salarié, parce qu'il aliène une partie de sa liberté au bénéfice de l'entreprise et qu'il contribue, par son activité, à son enrichissement, ne devait pas répondre directement des dommages causés à un tiers dans l'exercice de ses fonctions. Faisant valoir l'analogie de situation avec les travailleurs du secteur public, protégé depuis l'arrêt "Pelletier" du Tribunal des conflits rendu en 1873 (T. confl., 30 juillet 1873, Pelletier, n° 00035 N° Lexbase : A8538BDL), une partie de la doctrine réclamait l'affirmation d'un principe général d'immunité.
La première, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, allait affirmer, s'agissant de VRP, que ne commettent pas de faute personnelle susceptible d'engager leur responsabilité civile à l'égard de la victime, les préposés qui ont "agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur", dès lors "qu'il n'était pas établi qu'ils en avaient outrepassé les limites" (Cass. com., 12 octobre 1993, n° 91-10.864, Parfums Rochas c/ Mme Duchesne et autre, publié N° Lexbase : A5526ABB, D. 1994, jurispr. p. 125, note G. Viney ; RTD civ. 1994, p. 110, n° 2, obs. P. Jourdain ; JCP G 1995, II, 22493, note F. Chabas ; Defrénois 1994, p. 812, obs. J.-L. Aubert). Il fallut attendre un arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 25 février 2000, pour que le principe soit consacré : "n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant" (Ass. plén., 25 évrier 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4, JCP G 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 11, H. Groutel, 22, chron. Ch. Radé ; RTD civ. 2000, p. 582, n° 5, obs. P. Jourdain ; dans le même sens, Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-82.826, Union nationale du commerce de gros en fruits et légumes, publié N° Lexbase : A2835AYN, Resp. civ. et assur. 2001, comm. 212, obs. H. Groutel).
Quelques jours plus tôt, et prenant sans doute les devants, le Tribunal des conflits allait refuser de consacrer cette immunité lorsque est en cause la responsabilité civile d'un médecin, considérant que la liberté dont il jouit dans l'exercice de son art imposait qu'il réponde personnellement de ses faits et gestes (T. confl., 14 février 2000, n° 2929 N° Lexbase : A9661AGW). Cette affirmation allait ultérieurement être reprise dans deux décisions, par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 00-21.014, M. X c/ Mme Y et autres, publié N° Lexbase : A7558CGZ, Resp. civ. et assur. 2002, chron. 13, Ch. Radé ; RTD civ. 2002, p. 516, n° 2, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 00-22.432, FS-P+B N° Lexbase : A7145A3Z, Resp. civ. et assur. 2003, comm. 50 ; D. 2003, p. 580, note S. Deis-Beauquesne), avant que cette même juridiction refuse, également, de faire application de cette immunité à l'agent d'assurance, sans doute pour des raisons identiques (Cass. civ. 1, 10 décembre 2002, n° 99-15.180, FS-P+B N° Lexbase : A4446A4G, Resp. civ. et assur. 2003, comm. 52). Cette solution a été immédiatement critiquée (lire notamment S. Porchy-Simon, Regard critique sur la responsabilité civile de l'établissement de santé privé du fait du médecin, Mélanges Lambert, Dalloz, 2003, p. 361). En premier lieu, les médecins salariés sont avant tout des salariés comme les autres qui travaillent au profit de leur employeur. Ce dernier profitant de leur activité, il est logique qu'il en supporte, en contrepartie, les coûts normalement prévisibles. En second lieu, il serait illusoire de croire que le médecin dispose de plus de liberté dans l'exécution du contrat de travail que d'autres salariés, qu'il s'agisse d'autres professions traditionnellement libérales (avocat, expert-comptable) ou des cadres dont l'autonomie d'action est forte.
Ces critiques, nombreuses, ont fini par avoir raison de la Cour de cassation qui opère donc, dans cette décision, un spectaculaire revirement de jurisprudence concernant tant un médecin salarié qu'une sage-femme salariée (Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-17.168, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8400DDH), à qui les juges du fond avaient d'ailleurs réservé le même sort (CA Pau, 1re ch., 16 déc. 2003 : Resp. civ. et assur. 2004, comm. 251, obs. Ch. Radé). Selon cet arrêt, "le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient". Cette décision mérite une pleine approbation, pour les raisons que nous avons déjà évoquées. Elle place également la Cour de cassation dans une position plus confortable car cette dernière semblait tentée de se lancer dans de savantes distinctions pour séparer, parmi les salariés, ceux qui devaient bénéficier de l'immunité, et ceux qui devaient en être exclus, selon des critères bien incertains. 2. La soumission des médecins au régime général de l'immunité des salariés
L'affirmation selon laquelle les médecins qui agissent dans le cadre de leur mission n'engagent pas leur responsabilité personnelle a donc pour conséquence de les soumettre au régime général de l'immunité, dégagé en 2000. Si la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de préciser dans le détail ce qu'il fallait entendre par "agir dans le cadre de la mission impartie", on sait, en revanche, que l'immunité ne protège pas le salarié qui a volontairement causé le dommage, même à la demande de son employeur (Ass. plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066, M. Patrick Cousin, publié N° Lexbase : A7314AX8, BICC n° 551 du 1er mars 2002, concl. R. de Goutte ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 4, par H. Groutel ; JCP G 2002, II, 10026, note M. Billiau ; D. 2002, p. 1230, note J. Julien, somm. p. 1317, obs. D. Mazeaud). Le médecin demeurera donc personnellement responsable de ses actes s'il cause volontairement un dommage corporel mais, également, s'il viole le secret professionnel ou s'il ne porte pas assistance à une personne en péril. En l'espèce, le médecin avait été condamné en raison d'une faute non volontaire, ce qui justifiait pleinement la solution.
Reste à déterminer comment cette responsabilité pourra s'articuler avec les dispositions de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA, Ch. Radé, Resp. civ. et assur. 2002, chron. 7 ; Y. Lambert Faivre, D. 2002, chron. p. 1217 s. et 1367 s. ; P. Mistretta, JCP G 2002, I, 141 ; P. Jourdain et a., Le nouveau droit des malades, éd. Juris-Classeur - Carré droit, 2002). Cette loi, applicable aux actes médicaux réalisés à compter du 5 septembre 2001, a mis en place des règles propres à la responsabilité civile médicale. L'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3) affirme que les professionnels de santé engagent leur responsabilité civile en cas de faute (sauf si le dommage est causé par un produit de santé, auquel cas leur responsabilité est alors de plein droit). Or, ce texte ne fait aucunement référence au mode d'exercice, salarié ou libéral, et pourrait bien indiquer que tous les médecins sont responsables, même s'ils sont salariés. L'obligation d'assurance qui pèse désormais sur les acteurs de la santé ne concerne que les médecins libéraux, et nullement les salariés (CSP, art. L. 1142-2 N° Lexbase : L4437DLW) qui sont certes obligatoirement couverts par l'assurance de l'établissement qui les emploie. Mais, la victime, qui pourrait agir au pénal contre le médecin, pourrait également être tentée de lui réclamer directement des dommages-intérêts. On peut donc se demander si cette immunité, fraîchement conquise, survivra à l'application de la loi du 4 mars 2002. Nous pensons que oui. L'article L. 1142-1 du Code de la santé publique n'indique pas que les professionnels de santé sont responsables de leurs fautes, mais plus exactement que "les professionnels de santé [...] ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute", ce qui est très différent. La faute apparaît comme une condition nécessaire de leur responsabilité civile, mais pas nécessairement suffisante. Les médecins fonctionnaires continueront d'ailleurs de bénéficier logiquement de l'immunité que leur confère le statut de la fonction publique. On ne voit alors pas pourquoi la Cour de cassation modifierait sa jurisprudence, alors que le texte ne l'y contraint pas. Souhaitons alors que la jurisprudence soit définitivement fixée et que tous les salariés, quelle que soit la nature de leurs fonctions au sein de l'entreprise ou de leur indépendance professionnelle, bénéficient de cette indemnité. Le risque d'insolvabilité n'existe d'ailleurs plus pour les victimes, puisque les établissements qui emploient les salariés sont obligés de s'assurer et, qu'en cas d'échec de l'assurance, c'est l'Oniam qui sera substitué à l'assureur défaillant. Voilà qui devrait être de nature à rassurer tous ceux qui pouvaient croire que les victimes seraient ici sacrifiées. |
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