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N3586ABG
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 07 Octobre 2010
Nous avons déjà eu l'occasion, dans cette revue, d'aborder l'ensemble des décisions jurisprudentielles permettant de douter de la légalité de cet impôt ; du moins, sous le régime et les conditions d'assiettes qui le caractérisent, aujourd'hui (lire, notamment, L'ISF ou les infortunes de la vertu, Lexbase Hebdo n° 52 du 18 décembre 2002 - édition fiscale N° Lexbase : N5253AAS). Rappelons juste que la Commission européenne des droits l'homme reconnaît que le principe du droit de propriété (CESDH, art. 1er du Protocole additionnel) s'applique à la matière fiscale (Comm. EDDH, 13 mai 1976, req. 6087 /73) et que la perception d'un impôt n'est contraire au respect des biens que si elle impose à celui qui doit le payer une charge intolérable (Comm. EDH, 11 décembre 1986, req. 11036, Svenska Managementgruppen c/ Suède). Conjugué à deux décisions du Conseil constitutionnel (décision du 30 décembre 1981, n° 81-133 DC N° Lexbase : A8033ACI et décision du 29 décembre 1998, n° 98-405 DC N° Lexbase : A8751AC4) énonçant la nécessité que l'impôt sur la fortune soit acquitté en fonction du revenu disponible du contribuable ("l'impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés par ces biens ; en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l'impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables"), on comprend, dès lors, pourquoi certains professionnels et universitaires entendent contester cet impôt sur le patrimoine, notamment, lorsque ce patrimoine ne produit aucun revenu, ou lorsque le paiement de cette imposition oblige le contribuable à aliéner une partie de son patrimoine taxé.
Et, cette contestation est d'autant plus ranimée, qu'aux termes d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, du 13 novembre 2003, alors qu'il était demandé, pour la première fois, à la Cour de faire application à l'ISF, des principes fondamentaux de non-discrimination et de proportionnalité contenus tant dans les traités internationaux (Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 1er et 7 ; Pacte international relatifs aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, art. 6, 7 et 26 ; CESDH, art. 1er du Protocole additionnel ; Charte sociale européenne du 18 octobre 1961, art. 1er), que nationaux (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 26 août 1789, art. 2 N° Lexbase : L1366A9H, 4 N° Lexbase : L1368A9K, 13 N° Lexbase : L1360A9A et 17 N° Lexbase : L1364A9E ; Constitution du 4 octobre 1958, art. 55 N° Lexbase : L1320A9R, CGI, art. 885 V bis N° Lexbase : L5250AAP), les juges suprêmes admettent, implicitement, que l'ISF peut revêtir un caractère confiscatoire, notamment lorsque le contribuable est obligé de céder une partie de son patrimoine pour acquitter l'impôt (Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-15.611, F-D N° Lexbase : A1255DAQ). Toutefois, ils limitent la portée de leur décision en rappelant l'appréciation souveraine des juges du fond quant à la réalité de ce caractère confiscatoire ou discriminatoire, ou encore disproportionné de la charge d'impôt supportée par le contribuable (lire Jean-Marc Priol, La courbe de Laffer à l'honneur : le caractère confiscatoire de l'ISF évoqué par le juge fiscal, Lexbase Hebdo n° 99 du 17 décembre 2003 - édition fiscale).
Cette décision a été, selon le rapport Marini précité, portée devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui doit se prononcer, en principe, d'ici 2006. Mais, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne (CEDH, 12 juillet 2001, Req. 44759 /98, Ferrazzini c/ France N° Lexbase : A7683AWH), comme celle récente de la Cour de cassation (Cass. com., 12 juillet 2004, n° 01-11.403, FS-P+B+I N° Lexbase : A0977DDK), il est à craindre que la reconnaissance implicite et putative de l'illégalité de l'ISF perçue par la doctrine et les professionnels, ne soit, en fait, à écarter. En effet, la tendance actuelle vise à limiter l'invocabilité de la Convention européenne dans le cadre du contentieux fiscal, excepté le régime des sanctions fiscales assimilées aux sanctions pénales (lire Jean-Marc Priol, Convention européenne des droits de l'homme et lois fiscales de validation rétroactive : retour à une jurisprudence restrictive, Lexbase Hebdo n° 134 du 15 septembre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N2802ABE).
Alors reste aux partisans de l'illégalité de l'ISF, ou plutôt de son caractère confiscatoire, à méditer l'exemple allemand. En effet, depuis 1997, l'impôt sur la fortune allemand n'est plus recouvré, car jugé inconstitutionnel par les juges de Karlsruhe. Par une décision "BverfG" du 22 juin 1995, le juge constitutionnel allemand déclare les dispositions de l'impôt sur la fortune incompatibles avec la Constitution allemande, en ce que, d'une part, elles portent atteinte au principe d'égalité constitutionnelle (GG, art. 3 - Grundsatz der GleichmaBigkeit der Besteuerung) et, d'autre part, elles portent atteinte au principe du partage des revenus (GG, art. 2 - Halbteilungsgrundsatz).
Concernant le principe d'égalité : l'impôt sur le patrimoine foncier étant assis sur une valeur fiscale unitaire datant de 1964 et celui sur le patrimoine mobilier assis sur la valeur réelle, des contribuables aux patrimoines à valeur réelle identique étaient imposés différemment ; d'où l'invocabilité d'une rupture d'égalité devant l'impôt.
Ensuite, selon le principe du partage des revenus, les contribuables doivent pouvoir disposer de façon illimitée de 50 %, au minimum, de leurs revenus. Or, le taux d'imposition sur le revenu de l'époque, cumulé à celui de l'impôt sur la fortune, dépassait ce seuil. Aussi, le législateur allemand n'a-t-il pas supprimé cet impôt, mais simplement préconisé son non-recouvrement. En revanche, les juristes allemands, sur le même fondement, envisagent sérieusement de contester l'imposition sur les successions.
A la lumière de cet exemple germanique, nous sommes en droit nous interroger sur la transposition en droit français d'une telle argumentation. Sur le "principe du partage des revenus", seule une décision de la Commission européenne des droits de l'homme (Comm. EDH, 20 décembre 1960, req. 51159) nous éclaire en préconisant qu'un impôt sur le capital ne porte pas atteinte au droit de propriété tant qu'il ne dépasse pas 25 % de la valeur réelle des biens taxés ; or, les taux de l'ISF sont bien loin de ce seuil. Par ailleurs, le plafonnement de l'ISF permet de limiter la somme de cet impôt et des impôts sur les revenus de l'année précédente à 85 % de ces revenus (CGI, art. 885 V bis). Si ce pourcentage est dépassé, l'ISF est réduit de l'excédent ainsi constaté. Toutefois, cette réduction ne peut excéder 50 % du montant de cotisation après réduction pour charge de famille. Ce dispositif n'empêche donc pas l'aliénation d'un bien pour le paiement de l'impôt, notamment, lorsque le contribuable ne perçoit pas des revenus conséquents ou à la hauteur de sa taxation. Mais, ce principe du 50-50 (50 % pour le fisc, 50 % pour le contribuable, dans le cadre des grandes fortunes) s'il est communément admis, n'est inscrit nulle part.
Ensuite, concernant "le principe d'égalité devant l'impôt", il est manifeste que français et allemand n'en donnent pas la même portée. Si le droit allemand lui reconnaît un caractère absolu pouvant conduire à l'inconstitutionnalité d'un impôt, ce principe revêt un caractère tout relatif en droit français : il n'est point besoin de revenir sur le traitement fiscal différentié entre contribuables résident et non-résident, entre un dirigeant social et un simple actionnaire... pourtant dans une situation économique identique. Par conséquent, l'invocabilité de ce principe d'égalité devant la charge publique, contenu dans le préambule de notre Constitution, paraît hasardeuse...
Enfin, on notera qu'avec la baisse du taux d'imposition sur le revenu allemand depuis 1996 et la possible modification du régime d'évaluation des biens immobiliers, par exemple sur la base de leur valeur réelle et non sur la base de la valeur fiscale unitaire de 1964, l'Allemagne pourrait bien, sauf velléité de renforcer son attractivité fiscale, reconduire l'impôt sur la fortune ! En Allemagne, comme en France, il s'agit donc de marcher sur des oeufs...
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