Réf. : CAA Bordeaux, 5ème ch., 8 juillet 2004, n° 01BX01991, SA Nicar c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A1963DD3)
Lecture: 7 min
N3512ABP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, la société requérante exploitait un supermarché. En 1994, elle a consenti des avances à une société civile immobilière dont elle détenait 49 % des parts, afin que celle-ci aménage, à proximité de son magasin, des locaux vacants appartenant à une entreprise tierce. Une fois transformés en magasin de hard discount, ces locaux devaient être donnés à bail à une filiale de la société requérante chargée de créer, dans ces derniers, un magasin de produits d'alimentation à très bas prix. Mais, à la suite de l'échec de cette opération, la filiale ainsi que la SCI ont été mises en liquidation judiciaire. Cette dernière ne disposant d'aucun patrimoine, la requérante fut dans l'obligation d'abandonner les avances qu'elle lui avait consenties.
Sans contester le caractère irrécouvrable de la créance justifiant l'abandon de celle-ci, l'administration fiscale a considéré que ces avances constituaient néanmoins un acte anomal de gestion.
A l'occasion de l'appel interjeté par la société redressée, les juges ont estimé qu'un abandon de créance accordé par une société au profit d'une entreprise tierce ne relève pas, en général, d'une gestion commerciale normale, à moins que, en consentant un tel avantage, la société ait agi dans son propre intérêt.
Cette solution résulte à la fois de la combinaison des dispositions des articles 38 et 209 du CGI, selon lesquelles le bénéfice imposable s'entend du bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, ainsi que de la théorie de l'acte anormal de gestion.
Cette théorie de l'acte anormal de gestion est une pure construction prétorienne forgée par la jurisprudence au fil des cas d'espèces. En effet, par principe, l'administration fiscale n'est pas habilitée à s'immiscer dans la gestion des entreprises (il convient de remarquer que ce principe de non-immixtion de l'administration fiscale dans la gestion des entreprises n'a jamais été consacré explicitement par un texte ou par la jurisprudence. Seule est citée, classiquement, une décision du Conseil d'Etat de 1958, selon laquelle le contribuable n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite, le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser (CE 8° s-s, 7 juillet 1958, n° 35977, M. Dupont c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie), et pourtant la Haute assemblée reconnaît à cette dernière le droit d'apprécier si l'acte consistant à prendre en charge une dépense ou à renoncer à une recette procède ou non d'une gestion commerciale normale (CE Contentieux, 21 juin 1995, n° 132531, SA Sofige c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4488ANK).
Il n'existe pas de définition précise d'un acte anormal de gestion et il est ardu d'essayer d'en dresser une liste exhaustive, dès lors que de tels actes résultent de l'imagination fertile des contribuables et de l'appréciation du juge fiscal. On peut toutefois citer, pour exemple, les libéralités accordées à un associé (CE, 10 juillet 1989, n° 64977, Société Baudry Nutchey et Cie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0785AQ7), ou bien encore les prêts ou avances consentis sans intérêts ou assortis d'intérêts réduits à une société (CE 9° et 10° s-s, 26 février 2003, n° 223092, Société Pierre de Reynal et Compagnie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3402A77).
Concernant l'abandon de créance, la doctrine administrative estime que celui-ci peut être considéré comme une perte, et non comme une libéralité, lorsqu'il est consenti dans l'intérêt de l'entreprise créancière et que, bien entendu, la créance figure à l'actif de cette dernière. Mais, il convient, au préalable, d'apprécier si l'abandon de créance ou le versement de la subvention constituent un acte de gestion normal (Doc. adm. 4 A 2162, du 9 mars 2001).
L'intérêt de l'exploitation apparaît donc comme le critère incontestable et incontournable de l'acte anormal de gestion.
En l'espèce, la société requérante avait consenti une avance, qu'elle a, par la suite, abandonnée, à une société civile immobilière, afin qu'elle aménage des locaux destinés à accueillir un magasin d'alimentation. Toute la question était donc de déterminer si une telle avance procédait ou non de la gestion normale d'un supermarché, appréciée au regard de son intérêt.
Cependant, la mise en oeuvre de ce critère n'est pas, en pratique, chose aisée. En effet, il a d'abord été considéré par la doctrine que l'acte anormal de gestion était constitué dès lors que l'entreprise ne recherchait pas son intérêt "exclusif" (ex : Th. Lamorlette, Les actes anormaux de gestion, Economica, 1985, 2ème éd., p. 16). Par la suite, le Conseil d'Etat a estimé, dans deux arrêts adoptés en section le 10 juillet 1992 (CE, 10 juillet 1992, n° 110213, Musel SBP c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7494ARY et n° 110214, M. Brunner c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7495ARZ), que le critère de l'exploitation peut tenir compte des cas dans lesquels un acte de gestion unique est susceptible de servir des intérêts tiers, tout en satisfaisant aussi l'intérêt de l'entreprise. L'acte anormal de gestion est alors constitué, si la charge litigieuse résulte d'une opération contraire ou étrangère aux intérêts de la société. Enfin, dans un arrêt du 28 juillet 2000, la Haute assemblée a jugé que l'avantage consenti par une association, soumise à l'impôt sur les sociétés, à certains de ses membres constituait un acte anormal de gestion parce que cet avantage ne comportait aucun contrepartie pour elle (CE, 28 juillet 2000, n° 196129, Association Chambre départementale de la propriété immobilière du Jura c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9363AGU). Il convient de noter que, dans cet arrêt, le Conseil n'a pas relevé que des intérêts tiers avaient été satisfaits. La Haute juridiction ne recherche donc plus la comptabilité entre l'acte en cause et l'intérêt de l'entreprise, mais plutôt leur conformité.
Une autre évolution semble se dessiner aujourd'hui, à laquelle l'arrêt ici commenté fait écho. En effet, dans une décision du 26 septembre 2001, le Conseil d'Etat retient qu'un abandon de créance et une caution fournie gratuitement à un tiers "ne relèvent pas d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt" (CE, 26 septembre 2001, n° 219825, SA Rocadis c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4429AWX). Aussi, le Conseil relève l'existence d'un acte anormal de gestion là où la société requérante ne démontre pas qu'elle ait recherché son propre intérêt (CE, 23 novembre 2001, n° 205132, SA Gogedac c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5996AXD). Plus récemment, dans un arrêt du 26 février 2003, la Haute juridiction a considéré que les prêts sans intérêt ou l'abandon de créances accordé par une entreprise au profit de tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt (CE 9° et 10° s-s, 26 février 2003, n° 223092, Société Pierre de Reynal et Compagnie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3402A77). Cette formulation a été reprise dans notre espèce.
Il résulte de ces arrêts que, dorénavant, l'acte normal de gestion ne peut se satisfaire de n'être pas étranger à l'intérêt de l'entreprise, il doit y participer. C'est pourquoi la société doit démontrer qu'elle a recherché son propre intérêt.
En l'espèce, la société requérante soutient que la création, par sa filiale, d'un magasin d'alimentation dit de hard discount, dans ces conditions, était justifiée, d'une part, par la nécessité de lutter contre la baisse de son chiffre d'affaires entraînée par le report d'une partie de la clientèle de son supermarché vers les magasins de ce type récemment implantés par d'autres enseignes dans l'agglomération paloise. D'autre part, cette création répondait au souci d'éviter que ne s'implante dans les locaux pour l'aménagement desquels avait été créée ladite SCI, donc à proximité de son supermarché, un magasin appartenant à une autre enseigne venant concurrencer ce dernier.
Les juges d'appel ont considéré que la société requérante apportait ainsi des explications suffisantes quant à l'intérêt que revêtait pour elle cette création et quant aux raisons pour lesquelles cette création s'était effectuée par l'intermédiaire d'une société civile immobilière. C'est pourquoi, elle doit être regardée comme apportant la justification des contreparties attendues en échange des avances qu'elle a consenties à la SCI, même si l'opération s'est avérée être un échec commercial.
On peut noter qu'en l'espèce, les juges en se limitant à contrôler l'intérêt de la société, ont, non seulement, apprécier le but poursuivi, mais aussi les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre, à savoir la gestion proprement dite.
Sabine Dubost
Rédactrice en droit fiscal
DESS de fiscalité internationale, Université de Paris II-Panthéon-Assas
DEA de droit fiscal, Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne
- Martin Collet, Contrôle des actes de gestion : pour un retour à l'anormal, Revue de Droit Fiscal, n° 14, 2003, p. 537 et s.
- IS : abandons de créances et prêts sans intérêt non consentis dans l'intérêt social, Lexbase Hebdo n° 65 du 3 avril 2003 - édition fiscale (N° Lexbase : N6747AA7)
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:13512