Réf. : Cass. com., 3 novembre 2004, n° 01-16.238, Société Ardico c/ Banque Populaire, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7538DDK).
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N3510ABM
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par D. M.
le 07 Octobre 2010
Deux sociétés concluent avec un établissement de crédit des conventions de comptes courants afin de régler ensemble leurs créances. Une clause, annexée aux conventions, prévoit une présomption d'accord du client sur les opérations portées au compte en l'absence de réclamation de sa part dans le délai d'un mois suivant la réception du relevé de compte.
La banque exécute alors, par le biais de son mandat, plusieurs virements sans ordres écrits des clients ou de leurs représentants. Les virements sont contestés par les sociétés et les associés gérants, ces derniers prétendant avoir signé aucun ordre. Ils demandent donc et en toute logique, restitution des sommes correspondantes. Les juges d'appel rejettent leurs demandes. En effet, les titulaires n'ont pas formé réclamation dans le délai imparti et, la banque n'a donc pas commis de faute. La Cour de cassation désapprouve cette décision et casse l'arrêt d'appel. En réalité, la clause n'apporte à la banque qu'une présomption simple d'accord : le titulaire peut donc la combattre dans le délai de prescription légale. Il y a donc lieu à exécution de l'obligation de restitution du fait de la banque.
Cette décision laisse peut être à penser qu'il existe une volonté de la Cour de cassation de conférer une nouvelle nature juridique au virement et ce pour mettre fin aux controverses doctrinales. Classiquement le titulaire d'un compte, en remettant des fonds sur un compte, effectue un dépôt. Le banquier dépositaire doit donc, comme le souligne l'article 1937 du Code civil (N° Lexbase : L2161ABN), exécuter son obligation de restitution lorsque le déposant lui réclame l'objet du dépôt. Les juges de la Haute juridiction confirme ici leur position sur l'ordre de virement, la référence à la cession de créance ayant été abandonnée depuis longtemps (1). Aujourd'hui, la Cour de cassation voit dans cet ordre de paiement l'indication d'un tiers pour la remise d'un dépôt. En l'absence de désignation d'un tiers, le banquier est toujours redevable envers le dépositaire de son obligation de restitution.
L'ordre de virement est un contrat consensuel. Il n'impose aucune forme et peut être donné oralement ou sous toutes autres formes : "aucune disposition n'impose qu'un ordre de virement, même émanant d'un non-commerçant, soit rédigé par écrit" (2). La preuve de l'ordre de virement obéit donc soit au droit commun, soit aux conventions bancaires.
En pratique, les établissements de crédit adressent à leurs clients des formules écrites permettant d'uniformiser les ordres de virement. Dans un tel cas, le donneur d'ordre devra apposer sa signature pour rendre l'ordre effectif.
Néanmoins, la solution est-elle identique lorsque les parties ont convenu que l'accord du client serait présumé en cas d'absence de réclamation de la part de celui-ci dans le délai d'un mois à compter de la réception de son relevé de compte ? La jurisprudence a déjà eu l'occasion de se prononcer sur le sujet (3).
Ainsi, ne peut-il naître d'une telle clause qu'une présomption simple d'approbation du relevé de compte que le donneur d'ordre peut combattre par tous moyens. Dans l'espèce rapportée, les titulaires des comptes n'avaient pas contesté, à réception des relevés de compte, les opérations de caisse effectuées par la banque.
Et, ils contestent les virements postérieurement au délai conventionnel mais apportent la preuve de l'absence de signature sur les ordres écrits de la banque. Dans le cadre d'une présomption, la jurisprudence admet que le titulaire du compte a la possibilité de l'écarter par des éléments propres à le justifier.
Même si la solution n'est pas nouvelle, il est important de rappeler que la présomption d'accord sans protestation dans le délai conventionnel, n'est "qu'une présomption réfragable".
Mécanisme de transfert de comptes particulièrement pratique et élémentaire, le virement est aujourd'hui apparenté à une transmission de monnaie scripturale (4). En d'autres termes, les sommes portées en compte sont affiliées à de la monnaie.
Il en résulte un simple jeu d'écriture entre deux comptes qui ne peut plus être considéré comme une cession de créance (5). En effet, le virement s'opère sans que le bénéficiaire ait son mot à dire (6). Celui-ci n'est donc pas un cessionnaire puisqu'il ne peut réclamer l'exécution de l'ordre au banquier.
A l'inverse, les rapports entre le donneur d'ordre et l'établissement de crédit s'apparentent bien à un mandat (7). La Cour de cassation nous le rappelle ici. Le donneur d'ordre mandate le banquier d'accomplir une obligation en son nom et pour son compte.
Or, c'est bien cette obligation qui, en l'espèce, est mentionnée à l'article 1937 du Code civil : "le dépositaire ne doit restituer la chose déposée, qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir". Ainsi, lorsque le titulaire du compte effectue son ordre, le banquier doit exécuter son obligation de restitution née du dépôt. Dans l'espèce rapportée, la Cour de cassation s'appuie sur ce raisonnement pour entendre le point de vue des dépositaires.
Le banquier n'a pas, ici, expressément reçu l'ordre de virement, il est donc toujours redevable de son obligation de restitution envers les dépositaires ou leurs mandataires. En réalité, le banquier, en effectuant les virements litigieux, n'a pas suivi la volonté de ses clients. Pourtant, il existait une présomption d'accord... Le débat renaît à nouveau entre la volonté déclarée et la volonté tacite (8). Les titulaires sont donc en droit, tels des dépositaires, de demander au banquier d'effectuer son obligation de restitution.
Et, comme le mentionne l'article 1937 du Code civil, le banquier pourra s'acquitter de son obligation en remettant les fonds soit au déposant lui-même, soit, en l'espèce, à celui qui a été indiqué par le déposant pour le recevoir. En conséquence, il apparaît que les juges de la Cour de cassation, en se fondant sur l'obligation de restitution, cherchent à fonder la jurisprudence de l'ordre de virement litigieux sur le mécanisme même du mandat - l'indication à un tiers - et non sur la nature fondamentale du bien - la monnaie scripturale -.
L'obligation de l'établissement de crédit lors d'un ordre de virement serait alors modifiée : la remise des fonds au tiers indiqué n'est que l'une des modalités d'extinction de l'obligation contractée par le banquier lors de son acceptation du dépôt.
(1) Cass. com., 27 janvier 1965, n° 60-11.350, Guinot c/ Duprey et autres (N° Lexbase : A9084DDS).
(2) Cass. com., 29 janvier 1985, n° 83-16.482, Epoux Fricou c/ Société Générale (N° Lexbase : A0486AHH).
(3) Cass. com., 26 janvier 1999, n° 96-11.647, M. Philippe Perilhon c/ Banque populaire de Lorraine (BPL) (N° Lexbase : A8159AHN) ; Cass. com., 7 janvier 2004, n° 01-03.223, M. Robert Bordonado c/ Société générale, F-D (N° Lexbase : A6903DAW).
(4) M. Cabrillac, Le chèque et le virement, LGDJ, n° 392.
(5) F. Pérochon et R. Bonhomme, Instrument de crédit et de paiement, LGDJ, n° 856.
(6) F. Grua, Sur les ordre de paiement, D. 1996, Chr., p. 172.
(7) Cass. com., 28 novembre 1995, n° 93-18.968, Société Deléage tertiaire, société anonyme c/ Crédit industriel de l'Ouest (CIO) (N° Lexbase : A8078C4X).
(8) F. Grua, Le dépôt de monnaie en banque, D. 1998, Chron. 259, n° 13.
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