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N0558ABB
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Au fil des arrêts, la Cour de cassation précise le contenu des obligations qui pèsent sur les parties dans le cadre du contrat de travail. Dans un arrêt rendu le 10 février 2004, la Chambre sociale vient confirmer qu'il appartient à l'employeur de justifier de ce qu'il a fourni au salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il était engagé. Cette solution repose sur une analyse des obligations contractuelles de l'employeur (1) et des dispositions applicables en matière de preuve (2) qui ne sont guère contestables.
Décision
Cass. soc., 10 février 2004, n° 01-45.216, M. Georges Arbona c/ Société KPMG Fiduciaire de France, FS-P+B (N° Lexbase : A2693DBD). Obligation faite à l'employeur de fournir au salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il était engagé. C. civ., art. 1315, alinéa 2 (N° Lexbase : L1426ABG). |
Faits
1. Un salarié avait accepté, par convention, d'abandonner ses fonctions de directeur de bureau pour devenir collaborateur, jusqu'à ce qu'il fasse valoir ses droits à la retraite ; il avait été mis à la retraite plus tôt et n'avait pu percevoir de pension à taux plein ; 2. Ce salarié contestait notamment le montant des salaires qui lui avaient été versés avant son éviction de l'entreprise car il estimait que son employeur l'avait empêché de réaliser le chiffre d'affaires convenu en le privant d'une partie de ses dossiers ; 3. Il avait été débouté par les juges du fond au motif qu'il n'apportait pas la preuve de ses allégations. |
Solution
1. "Il appartenait à l'employeur de justifier de ce qu'il avait fourni au salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il était engagé". 2. Cassation pour violation de l'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). |
Commentaire
1. Une solution fondée sur l'obligation de loyauté de l'employeur La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9) a introduit dans le Code du travail un article L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8) aux termes duquel "le contrat de travail est exécuté de bonne foi". Ce texte, qui n'est finalement que la reprise de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), témoigne de l'attachement du droit à l'exigence de loyauté dans l'exécution des conventions. Car c'était bien cette exigence qui était en cause dans cette affaire, quoi que l'arrêt n'y fasse pas expressément référence. L'employeur avait en effet conclu avec le salarié un accord modifiant non seulement ses attributions (il passait de chef de bureau à simple collaborateur), mais également son mode de rémunération, en intégrant une forte partie variable pouvant jouer soit à la baisse, soit à la hausse, en fonction des résultats du salarié. Or, en l'espèce, il semblait bien que l'employeur ne donnait pas à ce collaborateur un nombre d'affaires suffisant pour réaliser des résultats de nature à garantir la pérennité de sa rémunération antérieure. C'est donc essentiellement par la faute de l'employeur que le salarié avait perdu une partie de sa rémunération. Ce n'est pas la première fois que la jurisprudence interdit à l'employeur d'invoquer une situation qu'il avait contribué, par sa faute, à créer. Généralement, ce type de raisonnement se retrouve lorsque l'employeur invoque des difficultés économiques pour justifier le licenciement d'un salarié et qu'il apparaît que ces difficultés, bien que réelles, sont la conséquence soit de comportements frauduleux (Cass. soc., 9 octobre 1991, n° 89-41.705, Association départementale du tourisme du Territoire de Belfort c/ M. Schuller, publié N° Lexbase : A9692AA9 ; Cass. soc., 12 janvier 1994, n° 92-43.191, Société commerciale des produits résineux c/ Mme Joëlle Gomez, inédit N° Lexbase : A1990AAX ; Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-42.057, M. Daumas c/ Mme Ponsonnaille, publié N° Lexbase : A6343AGZ), soit simplement de fautes de gestion qu'il aurait commises. C'est également en se fondant sur le fait qu'un employeur avait privé les salariés "des moyens d'accomplir leur prestation de travail" que la Cour de cassation l'avait condamné à payer au salarié une indemnité compensant la perte salariale consécutive à la grève qui s'en était suivie (Cass. soc., 26 février 1992, n° 90-40.760, Société K nig levage manutention c/ M Aignelot, publié N° Lexbase : A1740AAP). Cette idée, proche de l'adage selon lequel "nul ne peut invoquer sa propre turpitude", est également présente pour qualifier le départ de l'entreprise de licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque le comportement du salarié a été provoqué par des fautes commises par l'employeur. C'est également pour cette même raison que l'employeur qui ne fournit pas de travail au salarié, pourtant demeuré normalement à sa disposition, devra tout de même lui payer son salaire (Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-43.361, Société Picard Surgelés c/ M. Guillaume Adam de Beaumais, inédit N° Lexbase : A1241AUI Dr. soc. 2001, p. 1009, obs. Ch. Radé). La Cour de cassation reprend, dans cet arrêt, une formulation qu'elle n'avait pas reprise depuis longtemps dans ce contexte. L'employeur doit ainsi mettre à disposition du salarié les éléments dont il a besoin pour travailler et lui garantir l'accès à un local (Cass. soc., 26 mai 1976, n° 75-40.472, SA Celluloses de Récupération Verdier-Dufour c/ Pliner, publié N° Lexbase : A1528AB9). Ici, l'employeur était tenu de donner au salarié un volume de dossier suffisant compte tenu de ce qui avait été convenu. Cette affirmation est d'ailleurs parfaitement légitime car elle relève du parfait bon sens et, en même temps, se rattache directement à l'exigence de bonne foi qui doit guider les parties contractantes dans l'exécution du contrat. 2. Une solution justifiée par les règles relatives à la charge de la preuve La cassation de la décision d'appel est fondée sur l'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). Ce texte a fait un retour remarqué dans la jurisprudence de la Cour de cassation en 1997, après que la première chambre civile de la Cour de cassation l'eut visé pour justifier l'obligation faite au médecin de prouver avoir correctement informé son patient des risques auxquels l'exposait l'acte médical envisagé (Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres, publié N° Lexbase : A0061ACA Gaz. pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapp. P. Sargos, note J. Guigue). L'alinéa 1er de ce texte dispose que "celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver" et son alinéa second que "réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation". Or, ici, ce n'était pas l'existence de l'obligation faite à l'employeur de mettre à disposition du salarié les moyens nécessaires à la réalisation de sa mission contractuelle dont il était question, puisque cette dernière résulte de l'obligation de bonne foi, mais bien le fait de savoir si l'employeur s'était acquitté de cette obligation. Par application de l'alinéa 2, l'employeur devait donc "justifier de ce qu'il avait fourni au salarié les moyens d'accomplir la prestation de travail pour laquelle il était engagé". La solution est donc parfaitement justifiée au regard des dispositions qui gouvernent le droit de la preuve et parfaitement opportune, puisque l'employeur succombera en cas de doute. On peut toutefois imaginer les difficultés rencontrées par l'employeur pour convaincre le juge de sa bonne foi et se demander quels sont les éléments qu'il devra fournir au juge pour s'acquitter de cette obligation. En outre, comment le juge pourra-t-il déterminer si les moyens mis à la disposition du salarié étaient suffisants pour lui permettre d'accomplir sa mission ? Autant de questions auxquelles cet arrêt ne répond pas... |
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