Réf. : Cass. civ. 2, 20 janvier 2004, n° 02-30.950, Urssaf de la Mayenne c/ Société Durand, inédit (N° Lexbase : A8828DA9)
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par Christophe Willmann, Maître de conférences à l'Université de Picardie
le 07 Octobre 2010
La loi du 11 juin 1996 dite de Robien a certes été abrogée par la loi du 13 juin 1998, dite Aubry I (N° Lexbase : L7982AIH). Mais l'aide financière accordée par l'Etat, au titre de la réduction du temps de travail de Robien, reposait sur un socle conventionnel (une convention Etat-entreprise), conclue pour une durée de sept ans. En 2001, le pouvoir réglementaire a fixé le régime juridique des conditions de leur renouvellement (Circ. DGEFP n° 2001-39 du 6 novembre 2001 N° Lexbase : L5511DLP ; La nature conventionnelle des dispositifs d'aide à la réduction du temps de travail -de Robien et Aubry I-, Lexbase Hebdo n° 91 du mercredi 22 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9156AAD). Au total, les dispositions relatives à la durée et au renouvellement de l'aide publique sont multiples :
- L'article 39-1, in fine de la loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 (N° Lexbase : L7486AI4) prévoit qu'un décret détermine les conditions d'application du présent article, notamment la durée de l'allégement.
- L'article 2-IV du décret n° 96-721 du 14 août 1996 (N° Lexbase : L8393AIP) précise que la durée pendant laquelle l'employeur peut bénéficier de l'allégement est au plus égale à sept ans. Elle est initialement fixée à trois ans et peut être prolongée par avenant à la convention, si la réduction de l'horaire collectif est maintenue et en fonction de nouveaux engagements pris par l'employeur en termes d'emplois.
- De même, la circulaire DRT du 9 octobre 1996 (N° Lexbase : L9076AGA), titre II, point 1.4, apporte quelques précisions sur le régime du renouvellement des conventions Etat-entreprise. Au terme de la période de trois ans ouverte au titre de l'allégement de cotisations sociales, un avenant à la convention de réduction collective du temps de travail peut être conclu afin de prolonger le bénéfice de l'allégement de cotisations sociales dans la limite maximale de sept ans. Pour cela, un accord d'entreprise ou d'établissement doit être renégocié afin de prévoir la poursuite de l'horaire de travail réduit ; des engagements nouveaux en termes d'emploi doivent être souscrits.
- Enfin, le renouvellement de la convention est l'occasion d'obtenir de nouveaux engagements portant sur l'emploi. La DDTEFP examine à la fois les conditions d'exécution des mesures d'accompagnement des licenciements ou du plan social ainsi que l'évolution de l'emploi sur les trois années dans le périmètre sur lequel porte l'obligation de maintien de l'emploi. Sauf circonstances exceptionnelles, le renouvellement ne peut être envisagé que si l'emploi a été effectivement stabilisé dans le périmètre de la convention qui peut ne pas correspondre au périmètre de l'entreprise. De même, la DDTEFP étudie la réorganisation opérée dans le cadre de la réduction du temps de travail et vérifie que l'entreprise dispose de perspectives lui permettant d'assurer le maintien durable de l'emploi. Il peut s'agir d'un nouvel engagement de maintien de l'emploi dont le périmètre et la durée sont à définir, ou bien d'autres types d'engagements comme la résorption de l'emploi précaire ou le développement de formations qualifiantes ou certifiantes. L'entreprise doit toujours être couverte par un accord d'entreprise ou d'établissement, seul à même de pouvoir fonder le renouvellement de la convention. Les nouveaux engagements peuvent ainsi faire l'objet d'un avenant à cet accord d'entreprise ou d'établissement.
2. La nature indemnitaire de l'indemnité compensatrice
- Les travaux statistiques montrent que les signataires d'une convention Aubry I ont tendance à maintenir les rémunérations de tous leurs salariés : la compensation intégrale passe de trois cas sur quatre à plus de neuf sur dix entre les deux dispositifs (de Robien et Aubry I). La compensation partielle (les 35 heures payées 37 ou 38, par exemple) ou nulle (les 35 heures payées 35) concerne une convention sur cinq pour la loi Robien. Les signataires des conventions Robien sont plus nombreux à ne compenser que partiellement les rémunérations : ils le sont un peu moins à prévoir un gel ou une modération ultérieure (50 %). Lorsque la modération est prévue, elle prend quatre fois sur cinq la forme d'un gel (blocage), quel que soit le type de convention (de Robien ou Aubry I). Les rémunérations compensées le sont le plus souvent par une hausse du salaire horaire (de Robien : 68 %). Inversement, la création d'une prime spécifique, ou la hausse de primes existantes, est plus fréquente dans le cas Aubry I : elle y est citée dans un cas sur trois, contre seulement un sur quatre dans le cas Robien (Ministère de l'emploi, Dares, 1ères informations, 1ères synthèses, septembre 2000, n° 37.2). Les accords d'établissement conclus au titre du dispositif de Robien ou Aubry I ont prévu, dans leur très grande majorité, une compensation intégrale des rémunérations : c'est le cas pour 92 % des salariés des conventions Aubry et 72 % des salariés des conventions de Robien, volet "offensif", la compensation partielle ou l'absence de compensation étant peu fréquente. En outre, les accords dans le cadre des deux dispositifs prévoient une modération ou un gel des augmentations de salaires à venir, sur une durée de l'ordre de deux à trois ans en moyenne (Ministère de l'emploi, Dares, 1ères informations, 1ères synthèses, décembre 2000, n° 50.2).
- La loi du 11 juin 1996 précisait que l'accord d'entreprise ou d'établissement fixant le nouvel horaire collectif détermine notamment le nombre de licenciements évités, la durée pendant laquelle l'employeur s'engage à maintenir les emplois des salariés compris dans le champ de l'accord, les conditions dans lesquelles les pertes de rémunération induites par la réduction du temps de travail peuvent faire l'objet d'une compensation salariale (art. 1er, loi n° 96-502, 11 juin 1996 N° Lexbase : L7981AIG). Mais cette faculté de prévoir une indemnité compensatrice couvrant une réduction d'au moins 10 % du salaire causée par une réduction d'au moins 10 % d'une réduction du temps de travail n'était prévue que pour le volet "offensif" de la loi de Robien. En revanche, le volet dit "défensif" de la loi, c'est-à-dire mis en oeuvre dans le cadre d'une procédure de licenciement économique collectif, n'ouvrait pas de telles possibilités (sinon, de manière unilatérale et à la seule initiative de l'employeur). Ni le décret n° 96-721 (N° Lexbase : L8393AIP), ni la circulaire précitée du 9 octobre 1996 (N° Lexbase : L9076AGA) ne fixent de régime juridique à cette indemnité compensatrice. La doctrine ne s'est pas non plus investie en ce domaine pourtant extrêmement sensible pour les salariés (quelques développements de F. Favennec-Hery dans Création d'emplois alternative au licenciement ou opportunité ?, Dr. soc. 1996, p. 999).
- La seule ressource, pour le juriste, reste la jurisprudence qui, en l'espèce, introduit plus d'éléments de complexité qu'elle n'apporte de réponse claire. Dans un premier temps, la Cour de cassation décidait que la contribution des employeurs au financement de l'allocation d'assurance chômage était assise sur les rémunérations brutes, étant entendu que sont considérées comme rémunérations toutes sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail. Tel est le cas de la garantie de ressources servie par un employeur, pour laquelle la loi du 11 juin 1996 ne prévoit aucun allégement de cotisation en matière d'assurance chômage (Cass. soc., 17 juin 2003, n° 00-21.407, Assédic des Hauts de France c/ Société Rabot-Dutilleul, publié N° Lexbase : A8747C8H Dr. soc. 2003, p. 1032, obs. C. Radé).
Mais, dans un second temps, la Cour a décidé exactement le contraire (arrêt rapporté). Les sommes versées à titre de compensation aux salariés dans le cadre d'une mesure de réduction du temps de travail dite de Robien ont un caractère de dommages : elles ne sont pas soumises à cotisations sociales (arrêt rapporté). Si la loi du 11 juin 1996 n'apporte aucune précision utile, elle pose le principe, pour les aides à la réduction du temps de travail dites de Robien, d'une compensation de la baisse salariale facultative, laissée à la libre discrétion de l'employeur ; elle ne donne aucune indication sur la nature juridique de l'indemnité compensatrice versée éventuellement par l'employeur, le législateur ayant eu recours à une expression neutre de "compensation salariale" ; enfin, la loi indique seulement qu'une telle compensation a un caractère conventionnel, puisqu'elle peut avoir été définie par l'accord d'entreprise ou d'établissement portant sur la réduction du temps de travail, en son volet défensif.
Toute la difficulté réside bien dans le critère de qualification de l'indemnité compensatrice versée par l'employeur au titre de la mesure dite de Robien. Dans son arrêt rendu le 17 juin 2003 (précité), la Cour de cassation s'était appuyée sur la décision des juges du fond pour la censurer. Pour exclure la garantie de ressources de l'assiette des cotisations dues à l'Assédic, le jugement attaqué retenait que la contribution de l'employeur constitue, au sens de la loi du 11 juin 1996, une compensation de la perte de salaire calculée sur celui-ci, mais non proportionnelle à la diminution du temps de travail et présentant, dès lors, un caractère indemnitaire. Bref, l'indemnité compensatrice est forfaitaire et non proportionnelle : elle a donc le caractère d'une indemnité, et non d'un salaire.
La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, fait-elle sienne cette analyse ?
Rien n'est moins sûr : la Cour suprême relève que destinées à compenser les pertes de rémunération induites par la réduction du temps de travail, les sommes versées aux salariés en application de l'accord d'entreprise prévu au titre de la loi de Robien ont le caractère de dommages-intérêts. Enfin, on ne peut pas non plus poser, comme critère de qualification, la nature de la cotisation sociale en jeu : cotisation d'assurance chômage pour l'arrêt du 17 juin 2003 (précité), cotisations sociales pour l'arrêt rapporté.
La solution retenue par la Cour de cassation paraît reposer sur une logique institutionnelle de politique de l'emploi (cet argument est invoqué de manière rétroactive, puisque le dispositif de Robien, s'il reste en vigueur pour les entreprises ayant conclu une convention avec l'Etat avant la loi Aubry I du 13 juin 1998, n'est plus ouvert aux entreprises depuis cette loi Aubry I). En effet, la Cour de cassation a peut-être, implicitement, voulu rendre le dispositif attractif pour les employeurs : la mise en place d'une réduction du temps de travail donne lieu à une exonération de charges sociales allant de 50 à 30 % du salaire ; l'indemnité compensatrice versée aux salariés, en contrepartie d'une réduction de leur salaire, étant exonérée à 100 % des charges sociales.
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