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N0435BWZ
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par Philippe Casson, Maître de conférences à l'Université de Haute-Alsace, H.D.R.
le 17 Décembre 2015
Le Conseil national de l'Ordre des masseurs kinésithérapeutes obtient des juridictions de proximité de Saintes, de Macon et de Lorient des ordonnances d'injonction de payer à l'encontre de certains de ses membres, débiteurs de cotisations ordinales. Les cinq adhérents forment opposition à l'encontre de ces ordonnances. Les juges de proximité ont fait droit à la fin de non-recevoir opposée par les débiteurs fondée sur le défaut du droit d'agir du Conseil national. La première décision rendue par la juridiction de proximité de Saintes se fonde sur les articles 32 (N° Lexbase : L1172H48), 117 (N° Lexbase : L1403H4Q), 122 (N° Lexbase : L1414H47) du Code de procédure civile, la deuxième, la troisième et la cinquième, qui émanent de la juridiction de proximité de Macon, allèguent que le président du Conseil national ne peut agir en justice sans l'autorisation du conseil départemental, et la quatrième, rendue par la juridiction de proximité de Lorient, retient le défaut de production des statuts de l'Ordre. Les cinq jugements sont cassés. Dans la première, la seconde, la troisième et la cinquième affaire, la cassation intervient au visa des articles L. 4321-18 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5738IEA) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) au motif "qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 4321-18 du Code de la santé publique, régissant l'action en justice du président du Conseil départemental de l'Ordre, n'est pas applicable à celle diligentée par le président du Conseil national de l'Ordre et que, pour permettre l'accomplissement des missions confiées au Conseil national de l'Ordre en application des articles L. 4321-14 (N° Lexbase : L5621IEW) et suivants du même code, les articles 12.3 et 15.3 du règlement intérieur de l'Ordre habilitent le président du Conseil national de l'Ordre à ester en justice au nom de ce Conseil et ce dernier à recouvrer les cotisations dues, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés, le premier par fausse application et les autres, par refus d'application". Pour ce qui est de la quatrième affaire, au visa de l'article 1134 du Code civil, la Cour de cassation énonce "qu'en statuant ainsi, alors que le Conseil national de l'Ordre avait versé aux débats le règlement intérieur de l'Ordre dont les articles 12. 3 et 15.3 habilitent le président du Conseil national de l'Ordre à ester en justice au nom de ce Conseil et ce dernier à recouvrer les cotisations dues, la juridiction de proximité a dénaturé ce règlement et violé le texte susvisé".
Les articles 4321-14 et suivants du Code de la santé publique recensent les missions confiées au Conseil national et c'est le règlement intérieur de cet Ordre qui prévoit, dans son article 12.3, que le président du Conseil national assume dès son élection ses fonctions, et dans son article 15.3 que "si la cotisation n'est pas réglée à l'issue du délai imparti, le Conseil national est autorisé à procéder au recouvrement amiable puis contentieux des cotisations dues. Dans un premier temps, le Conseil national communique aux conseils départementaux la liste de leurs inscrits qui n'ont pas réglé leur cotisation, afin d'alerter ces derniers sur les conséquences de cette infraction. Puis le Conseil national peut faire appel à un organisme de recouvrement qui se verra confier la mission de procéder au recouvrement amiable des cotisations dues. Les frais de recouvrement et les intérêts moratoires sont réclamés et mis à la charge du débiteur. Si au terme de cette procédure amiable, la cotisation demeure impayée, le Conseil national peut procéder au recouvrement contentieux de la cotisation due. En application de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), il sera demandé à ce que les frais engagés soient mis à la charge du débiteur".
Le droit d'agir en recouvrement des cotisations ordinales du Conseil national représenté par son président n'était donc pas contestable ni sur le fondement de l'article L. 4321-18 du Code de la santé publique, lequel prévoit dans son alinéa 1er que le président du conseil départemental exerce sous le contrôle du Conseil national, les attributions générales de l'Ordre énoncées à l'article L. 4321-14 et suivants, et, dans son alinéa 2, que ce même conseil départemental autorise le président de l'Ordre à ester en justice, ni en alléguant du défaut de production des statuts de l'Ordre, le règlement intérieur de ce dernier reconnaissant sans conteste à celui-ci, représenté par son président, le droit d'agir en justice pour obtenir le recouvrement des cotisations impayées.
A propos d'une banale affaire de facture impayée, la Cour de cassation rappelle une solution aujourd'hui acquise et qui semble avoir été perdue de vue par les plaideurs. Une société est chargée par une autre de réaliser des prestations de maintenance aéronautiques et, à cette occasion, donne mandat à une troisième de procéder aux formalités douanières. La société mandataire effectue certaines prestations dont elle réclame à sa mandante le remboursement. La mandante refuse de payer parce que son propre donneur d'ordre s'y oppose à juste titre car cette prestation n'avait pas lieu d'être. La société mandataire obtient du Président du tribunal de commerce de Créteil une ordonnance d'injonction de payer en date du 15 octobre 2009. A l'issue du mois suivant la signification de l'ordonnance, le mandataire demande l'exécutoire et le 21 janvier 2010 fait procéder à une saisie-attribution sur le compte bancaire de sa mandante qui fait alors opposition à l'ordonnance le 25 janvier 2010. La société mandante est successivement mise en redressement judiciaire le 7 juillet et en liquidation judiciaire le 3 novembre 2011. Saisi sur l'opposition de la mandante, le tribunal de commerce rend sa décision le 1er décembre 2011. La cour d'appel retient que le jugement du tribunal de commerce rendu sur opposition a mis fin à l'obstacle au paiement du créancier des sommes rendues indisponibles par la saisie-attribution pratiquée sur le compte bancaire de la mandante à concurrence des sommes réclamées par la mandataire.
Devant la Cour de cassation, le liquidateur de la société mandante reproche à la cour d'appel d'avoir ainsi statué au motif qu'en vertu du jugement d'ouverture de la procédure collective, le juge saisi de l'opposition ne pouvait que se limiter à constater et fixer le montant de la créance litigieuse, l'opposition ayant suspendu les effets de l'ordonnance d'injonction de payer sur le fondement de laquelle la saisie-attribution avait été pratiquée. Le pourvoi est rejeté. Il convient de rappeler que lorsque, comme en l'espèce, l'ordonnance d'injonction de payer n'est pas signifiée à la personne du débiteur, le délai d'un mois court selon l'article 1416, alinéa 2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6356H7K), à compter du premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout en partie les biens du débiteur. En l'espèce, il se déduit des faits tels que relatés par l'arrêt, que le délai d'un mois avait commencé à courir à partir de la dénonciation de la saisie-attribution faite au débiteur, comme le décide la Cour de cassation (1). En revanche, la saisie-attribution pratiquée sur le fondement de l'ordonnance d'injonction de payer du 15 octobre 2009 avait produit ses effets au jour de la signification au tiers saisi avant le jugement d'ouverture de la procédure collective. A partir de ce moment clé, le créancier saisissant devient le créancier personnel du tiers saisi en raison de l'effet attributif immédiat attaché à cette saisie. "Le créancier saisissant cesse d'être le créancier du débiteur initial dès le jour de la saisie-attribution pour devenir, au même instant, le créancier direct du tiers saisi" (2). Le créancier n'a donc pas à produire sa créance (3). L'article L. 211-2, alinéa 1er, du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5838IRN) l'exprime à sa façon : "l'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation". La saisie-attribution réalisée, comme en l'espèce avant l'ouverture de la procédure collective n'est pas remise en cause par cette dernière comme le précise l'alinéa 2 de l'article L. 211-2 du Code des procédures civiles d'exécution : "la notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution".
L'opposition à injonction de payer, recevable en application de l'article 1416, alinéa 2, du Code de procédure civile, ne permet pas d'"ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée mais fait obstacle, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'opposition par la juridiction compétente, au paiement au créancier des sommes rendues indisponibles" (4). En d'autres termes, seul demeure l'effet d'indisponibilité attaché à la saisie (5). Le jugement sur opposition rendu par le tribunal de commerce tranche la difficulté et permet le paiement des sommes saisies, la suspension des poursuites prévue notamment par l'article L. 622-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L7289IZY) (l'ancien article L. 621-41 N° Lexbase : L6893AI7 invoqué par le demandeur dans son pourvoi) n'ayant pas lieu de jouer (6).
Aux termes de l'article 1422 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6364H7T), "en l'absence d'opposition dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance portant injonction de payer, quelles que soient les modalités de la signification, ou en cas de désistement du débiteur qui a formé opposition, le créancier peut demander l'apposition sur l'ordonnance de la formule exécutoire. Le désistement du débiteur obéit aux règles prévues aux articles 400 (N° Lexbase : L6501H7W) à 405. L'ordonnance produit tous les effets d'un jugement contradictoire. Elle n'est pas susceptible d'appel même si elle accorde des délais de paiement".
Ainsi, que l'ordonnance d'injonction de payer ait été signifiée à personne ou non, le créancier doit, à l'expiration du mois qui suit cette signification, demander au greffe que soit apposée la force exécutoire sur l'ordonnance, sous peine de voir l'ordonnance réputée non avenue. C'est le greffe qui est chargé d'apposer la formule exécutoire sans aucun contrôle du juge. L'ordonnance ainsi revêtue de la force exécutoire produit alors tous les effets d'un jugement contradictoire auquel s'attache l'autorité de la chose jugée. Dans l'espèce sous analyse, une ordonnance d'injonction de payer avait été accordée à un syndicat de copropriété à l'encontre d'une société. L'ordonnance avait été signifiée le 29 avril 2014 au débiteur qui a formé opposition le 26 mai 2014. Le 12 juin 2014, la juridiction du Président du TGI de Metz a apposé la formule exécutoire sur l'ordonnance. L'accomplissement de cette formalité n'était pas possible en raison de l'opposition formée par le débiteur dans le délai d'un mois de l'article 1416 du Code de procédure civile qui a suivi la signification à la personne de la société. On sait en effet, comme l'a précisé la Cour de cassation "qu'une ordonnance d'injonction de payer n'est une décision de justice, au sens de l'article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L9124AGZ) -l'actuel article L. 511-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5914IRH)-, qu'en l'absence d'opposition dans le mois de sa signification" (7). La doctrine conclut "que cet arrêt conduit à analyser l'ordonnance monitoire en une décision de justice conditionnelle. En effet, la qualification de l'ordonnance monitoire en décision de justice dépend d'une condition suspensive, d'un élément incertain -le silence possible du débiteur pendant le délai d'opposition -. Plus précisément, il s'agit d'une condition suspensive négative -l'absence d'opposition du débiteur- qui est aussi une condition potestative, placée sous le contrôle, théorique du moins, du débiteur qui, par son comportement, décidera du destin de cette ordonnance" (8). L'opposition du débiteur "suffit à mettre à néant l'ordonnance portant injonction de payer" (9). La cassation de l'ordonnance était donc imparable, mais seulement, comme le précise l'arrêt en ce qu'elle est revêtue de la formule exécutoire. Du fait de l'opposition, l'affaire sera donc débattue dans le cadre d'une procédure contradictoire à l'issue de laquelle le TGI de Metz se prononcera sur le fond de l'affaire.
L'article 208 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a modifié le Code civil en ajoutant un article 1244-4 (N° Lexbase : L1619KG3) ainsi libellé : "une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances peut être mise en oeuvre par un huissier de justice à la demande du créancier pour le paiement d'une créance ayant une cause contractuelle ou résultant d'une obligation de caractère statutaire et inférieure à un montant défini par décret en Conseil d'Etat. Cette procédure se déroule dans un délai d'un mois à compter de l'envoi par l'huissier d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception invitant le débiteur à participer à cette procédure. L'accord du débiteur, constaté par l'huissier, suspend la prescription. L'huissier qui a reçu l'accord du créancier et du débiteur sur le montant et les modalités du paiement délivre sans autre formalité un titre exécutoire. Les frais de toute nature qu'occasionne la procédure sont à la charge exclusive du créancier. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article, notamment les règles de prévention des conflits d'intérêts lors de la délivrance par l'huissier de justice d'un titre exécutoire".
Conséquence de ce qui précède, l'article 2238 du Code civil (N° Lexbase : L2011KGL) a également été modifié par ce même texte en prévoyant que "[...] la prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article 1244-4. [...] En cas d'échec de la procédure prévue au même article 1244 -4, le délai de prescription recommence à courir à compter de la date du refus du débiteur, constaté par l'huissier, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois".
Enfin, l'article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2012KGM) recense dans son 5° un nouveau titre exécutoire délivré par l'huissier de justice "en cas d'homologation de l'accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l'article 1244-4 du Code civil".
La loi "Macron" crée ainsi une nouvelle procédure simplifiée de recouvrement des petites créances ayant une cause contractuelle ou résultant d'une obligation de nature statutaire inférieures à un montant défini par décret en Conseil d'Etat qui ne devrait pas dépasser 2 000 euros. Destinées à permettre aux PME et TPE de recouvrir rapidement et à moindre frais leurs petites créances impayées, cette nouvelle procédure est sans conteste originale à un double titre. Tout d'abord, dans la mesure où, sur saisine du créancier, l'huissier de justice par lettre recommandée avec accusé de réception invite le débiteur à participer à la procédure. Si le débiteur accepte cette proposition, ce que l'huissier doit constater, la prescription extinctive est suspendue. L'huissier qui recueille l'accord du créancier et du débiteur sur le montant et les modalités du paiement délivre, sans autre formalité, un titre exécutoire. Ensuite, dans la mesure, là encore, où un titre exécutoire délivré par un huissier de justice ne sera soumis au contrôle d'aucun juge sauf éventuellement celui du juge de l'exécution en cas de difficultés d'exécution. Il convient d'attendre le décret d'application pour connaître le détail de la mise en oeuvre de cette nouvelle procédure qui tend à concurrencer celle prévue par le Code de procédure civile d'injonction de payer jugée trop lourd et dissuasive pour ce qui concerne les petites créances. Nous reviendrons donc prochainement sur cette procédure.
(1) Cass. avis 16 septembre 2002, n° 02-00003 (N° Lexbase : A7546CHX), rapport de Mme Bezombes, conclusions de M. Benmakhlouf, RTDCiv., 2003, p. 142, obs. R. Perrot ; Cass. civ. 2, 11 décembre 2008, n° 08-10.141, FS-P+B (N° Lexbase : A7285EBG), Bull. civ. II, n° 4, J.-M. Sommer C. Nicolitis, Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation, D., 2009, p. 757, n° 2.
(2) R. Perrot, obs. sous Cass. com., 23 novembre 2004, n° 02-11.992, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0236DEH), Procédures 2005, com. 39.
(3) Ph. Théry R. Perrot, Procédures civiles d'exécution, 3ème Dalloz, 2013, n° 402.
(4) Cass. avis, 8 mars 1996, n° 09-60001 (N° Lexbase : A5907CGU).
(5) J. Héron Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6ème éd., LGDJ, 2015, n° 586, note 104.
(6) F. Ghelfi-Tastevin, Le principe de "l'effet attributif immédiat" des saisies et le droit des entreprises en difficultés (1ère partie), LPA, 1999, n° 207, p. 6.
(7) Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, n° 06-14.730, FS-P+B (N° Lexbase : A2162DYQ), Bull. civ. II, n° 218, Procédures 2007, com., 250, obs. R. Perrot, RTDCiv., 2007, p. 813, obs. R. Perrot.
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