La lettre juridique n°637 du 17 décembre 2015 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Nullité de la clause de non-concurrence assortie d'une faculté de renonciation anticipée : la Cour de cassation n'en fait-elle pas trop ?

Réf. : Cass. soc., 2 décembre 2015, n° 14-19.029, FS-P+B (N° Lexbase : A6908NYI)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 17 Décembre 2015

La lecture de certaines décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation laisse parfois un goût amer, et le sentiment que dans un certain nombre d'affaires la mobilisation de principes salutaires sert des intérêts particuliers pas toujours dignes d'intérêt. C'est le sentiment éprouvé à la lecture d'un arrêt rendu par la Haute juridiction le 2 décembre 2015, qui affirme, pour la première fois à notre connaissance, que la clause de non-concurrence ne peut comporter de faculté de renonciation anticipée au bénéfice de l'employeur (I) et que la sanction doit être la nullité de la clause dans son ensemble, ce qui a pour effet de permettre au salarié de se faire embaucher au service d'un concurrent juste après sa démission (II).
Résumé

Est nulle dans son ensemble la clause de non-concurrence qui confère à l'employeur la faculté de renoncer à tout moment, avant ou pendant la période d'interdiction, aux obligations qu'elle faisait peser sur le salarié, ce dernier ayant été laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler.

Commentaire

I - La prohibition d'une faculté anticipée de renonciation à la clause de non-concurrence

Contexte. La reconnaissance, à partir de 2002, d'un droit à contrepartie financière du salarié lié par une clause de non-concurrence, a profondément modifié l'analyse que la jurisprudence fait des intérêts en présence. Jusqu'à lors, la clause apparaissait comme un frein à l'emploi ; désormais elle pourrait bien apparaître comme une source de revenus.

Ce changement de paradigme n'est pas sans effet sur la validité des clauses de renonciation stipulées au bénéfice des employeurs.

C'est en 2010, dans l'arrêt "société Dyneff", que la Chambre sociale de la Cour de cassation a, pour la première fois, affirmé que "le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler, la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite" (1).

Cette solution, qui concerne la renonciation au moment de la rupture du contrat et qui impose une renonciation immédiate, a été complétée en 2015 : lorsque le contrat permet à l'employeur de renoncer à la clause en notifiant cette décisions au plus tard huit jours après la rupture du contrat, ce dernier ne peut renoncer avant la rupture : "la clause de non-concurrence, dont la validité est subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière, est stipulée dans l'intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l'employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause, au cours de l'exécution de cette convention" (2).

L'arrêt semblait donc réserver la possibilité de stipuler une faculté de renonciation en cours d'exécution du contrat de travail. Or, c'est cette possibilité qui est niée dans cette décision.

Les faits. Un salarié, embauché en mars 2003 en qualité de technico-commercial et exerçant au moment de la rupture de son contrat de travail des fonctions de responsable secteur vente, a démissionné fin juillet 2010 pour entrer au service d'un concurrent, quinze jours après l'expiration de son préavis, en dépit d'une clause de non-concurrence, et a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes. Il demandait, notamment, l'annulation de sa clause de non-concurrence, en raison d'une stipulation particulière par laquelle l'employeur se réservait la faculté d'y renoncer à tout moment, avant ou pendant la période d'interdiction. Il a obtenu gain de cause et la cour d'appel de Montpellier a déclaré illicite sa clause de non-concurrence, lui a accordé, à ce titre, trois mille euros de dommages et intérêts, et a débouté ce dernier de sa demande en paiement de la somme forfaitaire en cas de non-respect de cette clause d'un montant de 23 683,12 euros.

Le pourvoi. Dans son pourvoi, l'employeur considérait que l'illicéité de la faculté de renonciation anticipée ne devait pas affecter l'ensemble de la clause de non-concurrence.

La cassation. Cet argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi et adresse au passage un satisfecit à la cour de Montpellier qui a "exactement" déduit ce ses observations que la clause devait être annulée "en son ensemble", dès lors que la "clause réservait à l'employeur la faculté de renoncer à tout moment, avant ou pendant la période d'interdiction, aux obligations qu'elle faisait peser sur le salarié" qui "avait été laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler".

II - La prohibition des facultés de renonciation à la clause de non-concurrence à tout moment

L'illicéité de la faculté de renonciation anticipée à la clause de non-concurrence. C'est à notre connaissance la première fois que la Haute juridiction se prononce explicitement sur la validité d'une faculté de renonciation anticipée à une clause de non-concurrence, pour l'exclure au nom du principe dégagé en 2010 selon lequel le salarié ne saurait être "laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler".

Cette extension de la jurisprudence "société Dyneff" aux facultés de renonciation anticipée nous semble discutable.

La Cour de cassation veillerait ainsi au respect d'une certaine sécurité juridique pour le salarié, ce qui explique qu'elle refuse qu'une faculté de renonciation puisse s'exercer sur une période trop longue, qu'il s'agisse de la période d'exécution du contrat de travail proprement dite, ce qui résulte de la décision commentée, ou, à plus forte raison, de la période d'exécution de la clause elle-même, ce qui résultait de l'arrêt "société Dyneff". Dans cette dernière hypothèse, la solution se comprend car le salarié qui quitte l'entreprise doit savoir sur quel type de poste il peut ou non candidater, selon que l'employeur entend ou non faire usage de la clause ; permettre à l'employeur de renoncer au bout de quelques semaines, voire de quelques mois, serait préjudiciable au salarié qui aurait pu laisser passer sa chance de trouver un emploi dans le même secteur d'activité et pour des fonctions comparables.

On peut, en revanche, douter de la nécessité de prohiber toute faculté de renonciation pendant la durée de vie du contrat, c'est-à-dire avant même que la clause n'entre en application, au regard même des principes posés.

En premier lieu, rappelons que la clause de non-concurrence se justifie avant tout par la nécessité de protéger les intérêts de l'entreprise, compte tenu du risque de voir le salarié révéler à la concurrence des éléments stratégiques. Or, cet intérêt dépend étroitement des fonctions occupées par le salarié, et on sait d'ailleurs que la justification de la clause se vérifie d'abord au regard de ces fonctions. Si le salarié change de fonctions, alors l'intérêt de la clause peut disparaître, ce qui justifie la possibilité reconnue à l'employeur de renoncer à une clause devenue sans intérêt. Quant à la nécessité de permettre au salarié d'être fixé sur l'étendu de ses droits, cette exigence se justifie au moment où le contrat de travail est rompu lorsque le salarié cherche un nouvel emploi, mais pas pendant la vie du contrat, puisque par hypothèse, il n'est pas censé rechercher un nouvel emploi. Dans la mesure où il sait que l'employeur peut renoncer à la clause en cours d'exécution du contrat, il ne sera, par ailleurs, pas surpris s'il exerce cette faculté, qui plus est si c'est au moment d'un changement de fonctions.

En second lieu, la solution repose en réalité sur l'idée, exprimée dernièrement dans l'arrêt "société Delta", que la clause est stipulée dès le départ aussi dans l'intérêt du salarié, et que ce dernier doit pouvoir compter sur son versement au moment de la rupture du contrat de travail. Or, nous contestons cette affirmation car la clause de non-concurrence est d'abord stipulée dans l'intérêt de l'entreprise, le versement d'une contrepartie financière n'étant qu'une compensation, et non la promesse d'un salaire d'inactivité (3).

L'illicéité affectant l'ensemble de la clause. Dans cette affaire, le demandeur avait certainement jugé préférable de ne pas se battre sur l'illicéité de la faculté de renonciation unilatérale, ce qu'il aurait sans doute dû également faire, et de concentrer ses efforts sur l'étendue de la sanction. Dans la mesure où il n'avait pas renoncé à la clause et qu'il cherchait au contraire à la sauver pour l'opposer au salarié, il avait intérêt à admettre que la faculté de renonciation était réputée non écrite, et pouvait d'ailleurs se prévaloir des termes mêmes de l'arrêt "société Dyneff" (4) et d'un certain nombre de décisions ayant neutralisé certains éléments de clause, notamment celles restreignant les hypothèses dans lesquels la contrepartie financière serait due (5).

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui admet que cette faculté anticipée rendait la clause nulle dans son ensemble, ce qui interdit à l'employeur, qui n'a pas renoncé, de s'en prévaloir, pire, qu'il soit condamné à des dommages et intérêts en raison de ce caractère illicite, et ce, alors que le salarié était presque immédiatement après sa démission entré au service d'un concurrent.

Cette solution, sévère, pour ne pas dire injuste, pour l'employeur, peut également être discutée dans la mesure où il aurait été parfaitement possible de séparer cette stipulation du reste, si la Cour avait un tant soit peu l'intention de faire vivre la clause de non-concurrence, comme d'ailleurs cela résultait de l'arrêt "société Dyneff". Faut-il le rappeler, dans la décision commentée il ne s'agissait pas de savoir si la renonciation de l'employeur était valable, comme c'était le cas dans les autres affaires, mais bien au contraire de savoir si le salarié pouvait entrer au service d'un concurrent, alors qu'il était lié par une clause, sous prétexte que cette dernière était assortie d'une faculté de renonciation unilatérale au bénéfice de l'employeur, qui n'avait pas été mise en oeuvre !

La Cour ne fait donc ici aucun effort pour sauver la clause, au nom du respect d'un hypothétique intérêt du salarié, comme si l'intérêt économique de l'entreprise passait au second plan derrière l'intérêt immédiat du salarié, oubliant sans doute un peu rapidement que l'intérêt de l'entreprise, ce n'est pas l'intérêt uniquement de l'employeur, mais que c'est aussi celui de ses salariés ... auxquels leur ancien collègue joue ainsi un bien vilain tour...


(1) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y) et nos obs., Heurs et malheurs de la faculté de renonciation à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 406 du 2 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0341BQP). Dans le même sens Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 08-45.341, F-D (N° Lexbase : A2159GA9).
(2) Cass. soc., 11 mars 2015, n° 13-22.257, FS-P+B (N° Lexbase : A3163NDI) et nos obs., Les modalités de renonciation à la clause de non-concurrence doivent être définies avec clarté et précision par le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 606 du 26 mars 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N6557BUE).
(3) En ce sens, notre comm., sous l'arrêt du 11 mars 2015, n° 13-22.257, FS-P+B, préc.
(4) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R, préc. : "le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler, la clause par laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture, de renoncer à la clause de non-concurrence à tout moment au cours de l'exécution de celle-ci doit être réputée non écrite".
(5) Cass. soc., 8 avril 2010, n° 08-43.056, FS-P+B (N° Lexbase : A5805EUK) ; Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-11.590, FS-P+B (N° Lexbase : A4389IB8) ; Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-25.847, FS-P+B (N° Lexbase : A5250NGK).

Décision

Cass. soc., 2 décembre 2015, n° 14-19.029, FS-P+B (N° Lexbase : A6908NYI).

Rejet (CA Montpellier, 16 avril 2014)

Textes : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots clef : clause de non-concurrence ; renonciation anticipée ; nullité.

Lien base : (N° Lexbase : E8734ESB).

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