La lettre juridique n°637 du 17 décembre 2015 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Cession d'une dépendance du domaine privé : à quel(s) prix ?

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 375577, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3716NTS)

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par Samuel Deliancourt, premier conseiller, cour administrative d'appel de Marseille, Centre Michel de l'Hospital - Ecole de droit - Université d'Auvergne

le 17 Décembre 2015

Dans sa décision n° 375577 du 14 octobre 2015, le Conseil d'Etat rappelle qu'une commune ne peut céder une dépendance de son domaine privé à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé que si cette cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. Et de préciser -c'est l'apport de cet arrêt qui sera publié au recueil Lebon- que, s'agissant de cette seconde condition, il appartient au juge d'identifier les contreparties que comporte la cession en tenant compte de leur nature et de leur effectivité. Il doit ensuite estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé. Dans ce litige était contestée la légalité de la délibération adoptée le 9 décembre 2011 par un conseil municipal autorisant la cession de plusieurs parcelles communales pour un montant de cinq euros hors taxes par m². L'estimation réalisée par France Domaine était de trente euros par m². Deux habitants ont contesté cette délibération devant le tribunal administratif de Dijon. La qualité de membre du conseil municipal (1) comme celle de contribuables leur confèrent un intérêt pour agir. Les contribuables sont en effet "personnellement intéressés à ce que les actes de gestion du patrimoine communal soient accomplis dans les conditions prescrites par la loi" (2). C'est ce qu'a eu l'occasion de rappeler le Conseil d'Etat dans un arrêt du 10 avril 2015, en jugeant que tout contribuable peut contester une délibération relative à la gestion du patrimoine de la commune et cédant un élément du patrimoine de la collectivité, puisque celle-ci est de nature à affecter les ressources communales en cas de sous-estimation du prix de vente retenu (3).

Le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande des intéressés par jugement (4) du 5 mars 2013 en annulant la délibération querellée. La commune a interjeté appel devant la cour administrative d'appel de Lyon, qui a rejeté sa requête par arrêt (5) lu le 19 décembre 2013. Elle a certes considéré que cette cession, qui était justifiée par la volonté de la commune de doter d'un logement décent de nombreuses familles issues de la communauté des gens du voyage occupant ce terrain dans des conditions d'hygiène et de salubrité sommaires, était justifiée par un motif d'intérêt général local, mais a estimé que la contrepartie imposée interdisant la vente de ce terrain qu'à prix coûtant, majoré du coût de la construction éventuellement édifiée, et ce pendant les dix premières années suivant la vente initiale, ne pouvait être regardée comme constituant une contrepartie suffisante à cette cession inférieure à sa valeur vénale.

Cet arrêt est annulé pour erreur de droit par le Conseil d'Etat dans la décision rendue le 14 octobre 2015 au motif que si la cour lyonnaise devait prendre en compte, pour apprécier les contreparties suffisantes, l'obligation de revente à prix coûtant pendant la décennie suivant la vente, elle devait aussi prendre en considération les autres contreparties dont la commune se prévalait, à savoir les avantages en matière d'hygiène et de sécurité publiques, la possibilité d'économiser le coût d'aménagement d'une aire d'accueil pour les gens du voyage, ainsi que les coûts d'entretien des terrains irrégulièrement occupés jusqu'à présent (6).

I - Les modalités de cession d'une dépendance du domaine privé

Le domaine public des personnes publiques est inaliénable, ainsi que le rappellent les articles L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L7752IPS) et L. 1311-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7342HIR), à la différence d'une dépendance du domaine privé.

A - L'estimation de France Domaine, un élément d'information des élus

Le conseil municipal étant seul compétent pour administrer les propriétés communales (7), l'assemblée délibérante peut autoriser la cession d'un immeuble relevant du domaine privé et autoriser le maire à signer la vente. Lorsque la commune comprend plus de 2 000 habitants, l'article L. 2241-1, alinéa 3, du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2287IEG) exige que la cession donnant lieu à délibération, laquelle doit être motivée et porter sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles, soit précédée de la consultation de France Domaine. Cet avis doit être demandé en temps utile et il est réputé délivré à l'issue d'un délai d'un mois à compter de sa saisine. Les informations délivrées aux élus, en particulier lorsque la commune compte plus de 3 500 habitants et qu'une note de synthèse doit leur être préalablement envoyée (8), doivent être suffisantes pour leur permettre de se prononcer en toute connaissance de cause (9). Cependant, l'avis de France Domaine n'a pas à leur être communiqué, seulement sa teneur (10), à moins que les membres du conseil municipal demandent expressément à en prendre connaissance préalablement à la séance du conseil municipal (11). Cette consultation a donc pour seul objet d'informer les élus (12). C'est pourquoi, alors que l'avis de France Domaine est considéré comme une garantie en matière de préemption (13), il n'en est pas une dans le cadre d'une cession d'un immeuble du domaine privé, ainsi qu'il l'a jugé dans l'arrêt de Section du 23 octobre 2015 (14). Il s'agit seulement d'un élément d'information destiné à éclairer le conseil municipal afin que cette assemblée puisse se prononcer en connaissance de cause (15). Aussi, en cas de litige, "il appartient [...] au juge saisi d'une délibération prise en méconnaissance de cette obligation de rechercher si cette méconnaissance a eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée" (16).

La procédure de cession n'a pas à être précédée d'une quelconque procédure, ni le terrain à être cédé au plus offrant (17). En effet, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation aux communes ou à leurs établissements publics de recourir à une adjudication publique pour l'aliénation de biens immobiliers relevant de leur domaine privé (18). La seule exception concerne l'hypothèse où la cession est comprise dans une opération soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique (19).

B - Nature du contrat de cession et acte détachable

Le contrat de cession (20) conclu présente le caractère d'un contrat privé (21), à moins qu'il ne comporte des clauses exorbitantes du droit commun (22), c'est-à-dire une "clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs" (23). La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des actions qui y seraient relatives. Telle est la position rappelée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 29 avril 2013 : "les contestations portant sur le contrat de vente d'un bien appartenant au domaine privé d'une personne publique doivent, sauf dispositions législatives contraires et dès lors que ce contrat ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun, être portées devant le juge judiciaire" (24).

La juridiction administrative est en revanche compétente, comme en l'espèce, pour connaître de la contestation de la délibération autorisant la cession. D'une part, une telle délibération constitue un acte détachable du contrat de cession (25) susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir. D'autre part, un acte de cette nature affecte le périmètre et la consistance du domaine privé, dans la lignée de la jurisprudence "Brasserie du Théâtre" (26).

Le contrôle juridictionnel est limité à l'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du principe comme du montant de la cession (27). Ainsi que l'a résumé le Conseil d'Etat, "l'appréciation à laquelle se livrent leur organes délibérants lors de ces cessions, placée sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, doit être exempte d'erreur de droit, d'inexactitude matérielle des faits, d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir" (28).

En cas d'annulation de la délibération, la collectivité devra déterminer les conséquences à tirer de cette annulation en fonction de la nature de l'illégalité commise. S'il s'agit par exemple d'un vice de forme ou de procédure affectant les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, elle pourra procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l'annulation sur le contrat lui-même. La collectivité concernée pourra dans ce cas adopter un nouvel acte d'approbation avec effet rétroactif (29). Il s'agit de purger le vice affectant l'acte détachable afin de garantir le maintien du contrat (30) et, par là-même la transaction et la sécurité juridique des cocontractants.

II - Les conditions de cession d'une dépendance du domaine privé pour un montant inférieur à sa valeur vénale

La cession d'une dépendance du domaine privé communal à une personne privée, physique ou morale, entreprise ou association, doit être en principe réalisée au prix de la valeur vénale, c'est-à-dire celle du marché. Il s'agit de ne pas brader le domaine privé, étant rappelé que les collectivités publiques sont astreintes au respect du principe de bonne gestion de celui-ci (31).

Le prix fixé ou convenu peut cependant être inférieur à la valeur du marché, mais la jurisprudence constitutionnelle comme administrative ont posé les conditions cumulatives énoncées plus avant : la cession doit motivée un motif d'intérêt général et doit également comporter des contreparties suffisantes ou appropriées.

A - La protection constitutionnelle du droit de propriété des personnes publiques

La protection du droit de propriété par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi la propriété de l'Etat comme celle des autres personnes publiques (32). C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986 que "la Constitution s'oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ; que cette règle découle du principe d'égalité invoqué par les députés auteurs de la saisine ; qu'elle ne trouve pas moins un fondement dans les dispositions de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ; que cette protection ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques" (33). Il réaffirmera que "ces principes font obstacle à ce que des biens faisant partie du patrimoine de personnes publiques puissent être aliénés ou durablement grevés de droits au profit de personnes poursuivant des fins d'intérêt privé sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine" (34). A cette exigence de contrepartie appropriée imposée par le Conseil constitutionnel (35), le Conseil d'Etat contrôle l'existence de contreparties suffisantes.

B - Les cessions à un prix symbolique en contrepartie de la création d'emplois

Un immeuble communal, construit ou non, peut, sous conditions, être cédé à une personne privée pour un prix inférieur à la valeur du marché. Eu égard à la position constitutionnelle susrappelée, le Conseil d'Etat exige, ainsi qu'il le rappelle dans la décision présentement commentée, que l'opération soit justifiée par une finalité d'intérêt général et que la collectivité cédante dispose de contreparties suffisantes (36). Ce sont ces dernières qui ont vocation à rééquilibrer le prix de la cession afin que l'opération de vente ne puisse être considérée comme une libéralité, ce que ne peut jamais faire une personne publique (37). C'est ainsi qu'une vente au profit d'une société "à un prix très inférieur" à l'estimation du service des domaines, par exemple 30 %, a été considérée comme entachant d'illégalité la délibération (38). Est également illégale la délibération autorisant un échange entre l'immeuble d'un particulier au profit de la commune qui lui cède le sien, sans que le particulier ne participe à la poursuite de l'intérêt général, alors que l'estimation de son immeuble est cent fois moindre que l'immeuble communal (39).

La cession pour un euro symbolique (40) peut l'être au profit d'une entreprise lorsque cette dernière va s'installer, grâce au terrain cédé par la commune, sur le territoire de cette dernière et permettre ainsi localement la création d'emploi(s). Il s'agit d'une forme d'incitation à l'implantation, une aide à l'immobilier d'entreprise. La contrepartie est constituée par la garantie de la création d'emplois et, si tel est le cas, elle est suffisante. C'est ce qu'a jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 3 novembre 1997 (41), dans lequel il a considéré que "la cession par une commune d'un terrain à une entreprise pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des fins d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes" (42). Dans cette affaire, la légalité de la délibération a été admise au motif que la cession autorisée par le conseil municipal avait pour contrepartie l'engagement de l'entreprise de créer cinq emplois dans le délai de trois ans, assortie, en cas d'inexécution de cet engagement, de l'obligation de rembourser à la commune le prix du terrain tel qu'il avait été évalué par le service des domaines. Les contreparties devant être justifiées et effectives, il a été jugé qu'une cession pour un montant symbolique ayant pour unique contrepartie l'engagement de l'acquéreur du terrain, de créer, dans un délai de deux ans, deux emplois de nature indéterminée dans l'établissement devant être édifié sur ce terrain, ne pouvait être regardée comme suffisamment importante, même en prenant en compte la taxe professionnelle versée par la société exploitant les bâtiments, compte tenu de l'avantage ainsi consenti et de la valeur vénale du terrain en cause (43).

Ces jurisprudences sont toutefois considérées comme étant devenues obsolètes depuis l'intervention du législateur et la rédaction de l'article L. 1511-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2696IX7) modifié à la suite du vote de l'article 1er de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4) (44). Selon la rédaction actuelle de cette disposition, "le montant des aides que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer, seuls ou conjointement, sous forme [...] de rabais sur le prix de vente [...] de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés est calculé par référence aux conditions du marché, selon des règles de plafond et de zone déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ces aides donnent lieu à l'établissement d'une convention et sont versées soit directement à l'entreprise bénéficiaire, soit au maître d'ouvrage, public ou privé, qui en fait alors bénéficier intégralement l'entreprise [...]". Le montant est fixé par référence à la valeur vénale des terrains et bâtiments d'après les conditions du marché (45).

C - La cession à un prix inférieur à la valeur de l'immeuble au profit de particuliers ou d'associations

La cession peut aussi être réalisée au profit de personnes publiques (46), comme elle peut également l'être au profit de particuliers. A par exemple été jugée légale la délibération d'un conseil municipal décidant de vendre des terrains communaux à des prix différents selon si les acheteurs étaient ou non de jeunes ménages envisageant d'y édifier leur résidence principale, eu égard à l'intérêt que présente pour une commune l'installation de ceux-ci sur son territoire afin de la revitaliser par une augmentation et un rajeunissement de la population sédentaire (47). Cet objectif a été regardé comme n'étant pas étranger aux intérêts généraux dont la commune a la charge.

Les bénéficiaires de la vente peuvent encore être des associations. Selon les principes posés et réaffirmés dans un arrêt du 25 novembre 2009 (48), "si la liberté reconnue aux collectivités territoriales par les dispositions précitées du Code général des collectivités territoriales d'accorder certaines aides ou subventions à des personnes privées pour des motifs d'intérêt général local ne peut légalement s'exercer que dans le respect des principes constitutionnels, la cession par une commune d'un terrain à une association locale pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général, et comporte des contreparties suffisantes". Le Conseil d'Etat a admis dans cette affaire la légalité de la cession autorisée en considérant que la différence de prix, sensible, entre l'estimation de l'immeuble par France Domaine à hauteur de 137 500 euros et le prix de cession convenu avec les associations pour 35 065 euros, s'analysait comme une aide apportée à ces dernières. Bien que le prix ne corresponde pas à la valeur du bien, la Haute juridiction administrative considère que la première condition est remplie dès lors que cette cession répond au double motif d'intérêt général tendant tant à une meilleure insertion d'habitants d'origine étrangère au sein de la commune par la création d'activités collectives que par le renforcement de la sécurité publique notamment pour la circulation en centre ville. Le second critère, celui de la contrepartie suffisante, est également satisfait : cette opération "a pour contreparties suffisantes, de permettre à ces associations de mener à bien, dans le cadre de leurs statuts, leurs projets et de disposer d'un lieu de réunion adapté à la réalisation de ceux-ci par sa dimension et ses accès ; qu'ainsi, en déniant à cette opération un caractère d'intérêt communal, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis". Ainsi que le relevait le Professeur F. Melleray, la seconde condition se confond avec la première (49). L'intérêt de cet arrêt vient du fait que l'intérêt général poursuivi par le bénéficiaire de la cession a trait à son activité en elle-même.

D - L'appréciation du caractère suffisant des contreparties lorsque l'opération répond à un intérêt général

Dans l'affaire présentement commentée soumise au Conseil d'Etat, le prix de cession était six fois moindre (cinq euros le m² pour une valeur vénale de trente euros le m²), ce qui nécessitait des contreparties. Ce qui pose difficulté en pratique pour les praticiens, qu'ils soient élus, services administratifs, conseils, avocats ou juges, est l'appréciation de leur nature et de leur caractère suffisant lorsqu'elles ne revêtent pas un caractère onéreux (50). Les contreparties attendues ne présentent en effet pas toujours un caractère monétaire. C'est justement sur ce point que l'arrêt du 14 octobre 2015 apporte des précisions. Le Conseil d'Etat explicite le raisonnement à tenir une fois que la cession est justifiée par un motif d'intérêt général, qui constitue le premier temps du raisonnement, la condition première à remplir. Le second temps porte alors sur les modalités d'appréciation des contreparties invoquées par la collectivité cédante : il s'agit d'"identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c'est-à-dire les avantages que, eu égard à l'ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s'assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ; qu'il doit, enfin, par une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé". C'est pour méconnaissance de ce principe que le Conseil d'Etat annule pour erreur de droit l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon.

Cette dernière a commis une erreur en estimant que ni les avantages en matière d'hygiène et de sécurité publiques, ni la possibilité d'économiser le coût d'aménagement d'une aire d'accueil pour les gens du voyage et les coûts d'entretien de terrains irrégulièrement occupés, dont la commune se prévalait devant elle, ne pouvaient être comptés au nombre des contreparties de la cession. Les conditions d'intérêt général et de contreparties suffisantes se confondent, à l'instar des faits ayant donné lieu à la décision "Commune de Mer" du 25 novembre 2009 citée plus avant (51). Les contreparties à prendre en considération ne se limitent pas au prix de cession, mais portent également sur les avantages autres pour la collectivité cédante que va lui procurer la vente du terrain ou, de manière plus générale, de l'immeuble. En l'espèce, les trois éléments mis en avant par la commune -hygiène et sécurité publiques, baisse des coûts d'entretien et économie quant à la réalisation d'une aire d'accueil des gens du voyage- devaient être pris en compte dans l'appréciation des deux conditions et devront l'être par la juridiction de renvoi. Les considérations ayant trait à l'hygiène relèvent des obligations de la commune, que ce soit au titre du service public s'agissant de l'hygiène (assainissement, etc.) et/ou de la police administrative s'agissant de la sécurité, devaient être prises en compte dès lors que la cession constitue un moyen de les satisfaire. Les deux autres étaient relatives aux finances locales et aux économies susceptibles d'être réalisées dès lors que la commune n'aura plus à supporter la charge financière des terrains devant être cédés et que cette opération réduit en même temps son obligation quant à la réalisation d'une aire d'accueil des gens du voyage qui pourra avoir une taille moindre, les bénéficiaires de la cession étant de gens de voyage sédentarisés. Les contreparties ne s'analysent donc pas que comme le versement du prix, mais également sur les avantages financiers (gains, et économies) espérés grâce à la cession opérée. Il s'agit d'un principe de compensation largement apprécié destiné à équilibrer la cession d'un immeuble communal à un prix inférieur à sa valeur vénale. Mais dès lors que ces contreparties attendues ont trait aux obligations d'une commune, s'agissant d'obligations légales dont certaines relatives aux services publics, il devient difficile de considérer que l'activité par laquelle une personne publique gère son domaine immobilier privé ne constitue pas une mission de service public (52) dès lors que cette gestion y participe.


(1) CE, 24 mai 1995, n° 150360 (N° Lexbase : A4125AN4), rec. p. 208.
(2) Voir CE, 6 avril 1906, Balliman, rec. p. 328 ; CE 9 novembre 1917, Buneau et autres, rec. p. 703.
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 10 avril 2015, n° 370223, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5030NGE), Contrats-Marchés publics, 2015, comm. n° 156, note J.-P. Pietri, RFDA, 2015, p. 926, concl. B. Bohnert.
(4) TA Dijon, 5 mars 2013, n° 1200312.
(5) CAA Lyon, 19 décembre 2013, n° 13LY01144 (N° Lexbase : A2098NZQ).
(6) Arrêt rapporté, BJCP, 2015, p. 294, concl. B. Bohnert, Contrats et marchés publics, 2015, comm. n° 156, note J.-P. Pietri, JCP éd. A, 2015, act. 871, note M. Touzeil-Divina.
(7) CGCT, art. L. 2122-21 (N° Lexbase : L9560DNE).
(8) CGCT, art. L. 2121-13 (N° Lexbase : L8562AAD).
(9) Voir CE, 8 juin 2011, n° 327515 (N° Lexbase : A5427HT8), au recueil, Contrats-Marchés publics, 2011, comm. n° 304, note J.-P. Pietri ; CE 3° et 8° s-s-r., 10 avril 2015, n° 370223, préc..
(10) CE, 11 mai 2011, n° 324173 (N° Lexbase : A8717HQW), rec. tables, p. 802, BJCL, 2011, p. 409, concl. N. Boulouis, Contrats-Marchés publics, 2011, comm. n° 269, note G. Eckert, JCP éd. A, 2011, 2282, note D. Dutrieux. Voir B. P.-Vantol, L'avis du service des domaines dans les transactions immobilières des collectivités territoriales, Defrénois, 2008, art. 38736, p. 624.
(11) CAA Marseille, 7ème ch., 22 avril 2014, n° 12MA00012 (N° Lexbase : A1513MMY), BJCL 6/2014, p. 391, nos concl..
(12) CGCT, art. L. 2121-13. Voir par ex. CAA Marseille, 2 décembre 2014, n° 11MA04789 (N° Lexbase : A2625NZA).
(13) CE, 23 décembre 2014, n° 364785 et n° 364786 (N° Lexbase : A8047M8K), rec. tables, p. 900, RD imm., 2015, p. 147, obs. P. Soler-Couteaux.
(14) CE, 23 octobre 2015, n° 369113 (N° Lexbase : A0318NUC), Contrats et Marchés publics, 2015, comm. n° 292, note M. Ubaud-Bergeron.
(15) Voir par ex. CAA Marseille, 7ème ch., 21 décembre 2012, n° 11MA00149 (N° Lexbase : A4426I4P), Droit de la voirie et du domaine public, 2013, n° 173, p. 138, nos concl..
(16) CE, 23 octobre 2015, n° 369113, préc..
(17) CE, 12 juin 1987, n° 71961 (N° Lexbase : A3798APD), rec. tables, p. 629 ; CE, 8 février 1999, n° 168043 (N° Lexbase : A4629AXQ) ; CE, 27 janvier 2010, n° 313247 (N° Lexbase : A7555EQU), rec. tables, p. 763, AJDA, 2010, p. 1282, note A. Legrand.
(18) CE, 24 janvier 1994, n° 127873 (N° Lexbase : A9293ARM).
(19) CAA Marseille, 25 février 2010, n° 07MA03620 (N° Lexbase : A1458E77), AJDA, 2010, p. 1200, concl. F. Dieu.
(20) Lire nos obs., Les contrats de cession d'immeubles du domaine privé, La Gazette des communes, 27 octobre 2008, p. 56.
(21) T. confl., 10 mai 1993, n° 02850 (N° Lexbase : A5900BKQ), rec. p. 399.
(22) T. confl., 15 novembre 1995, n° 03144 (N° Lexbase : A6678A7H), rec. p. 478 ; T. confl., 8 décembre 2014, n° 3979 (N° Lexbase : A6242M7C).
(23) T. confl., 13 octobre 2014, n° 3963 (N° Lexbase : A6721MYL), rec. p. 471, RFDA, 2014, p. 1068, concl. F. Desportes, AJDA, 2014, p. 2180, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, RDP, 2015, p. 869, note A. Basset, Contrats et Marchés publics, 2014, comm. n° 122, note G. Eckert.
(24) CE, 29 avril 2013, n° 364058 (N° Lexbase : A8818KCL), rec. tables, p. 592-764, JCP éd., A 2013, n° 2327, note J.-F. Giacuzzo.
(25) Par ex. CE, 5 octobre 1988, n° 171737 (N° Lexbase : A8370ASS) ; CE, 8 février 1999, n° 168043 (N° Lexbase : A4629AXQ).
(26) T. confl., 22 novembre 2010, n° 3764 (N° Lexbase : A4408GLT), rec. p. 590, BJCP, 2010, p. 55, concl. P. Collin, RJEP, 2011, comm. 13, note G. Pélissier, Contrats-Marchés publics, 2011, comm. 26, AJDA, 2010, p. 2423, chron. D. Botteghi et A. Lallet, Dr. adm. 2011, comm. 20, note F. Melleray, AJDA, 2010, p. 841, note O. Févrot, JCP éd. A, 2011, act. 537, obs. G. Eveillard.
(27) Par ex. CE, 8 février 1999, n° 168043 (N° Lexbase : A4629AXQ) ; CAA Paris, 21 mars 2003, n° 01PA03769 (N° Lexbase : A0775B7T) ; CAA Versailles, 15 octobre 2009, n° 08VE00072 (N° Lexbase : A8304ENU).
(28) CE, 24 janvier 1994, n° 127873 (N° Lexbase : A9293ARM).
(29) CE, 8 juin 2011, n° 327515, préc..
(30) Voir par exemple pour le défaut de transmission de l'avis de France Domaine, CE 3° et 8° s-s-r., 10 avril 2015, n° 370223, préc..
(31) CE, Sect., 10 mars 1995, n° 108753 (N° Lexbase : A2925ANN), rec. p. 123, RFDA, 1996, p. 429, concl. H. Savoie, CJEG, 1995, p. 192, concl. H. Savoie, Dr. adm., 1995, comm. n° 577.
(32) Cons. const., décision n° 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010 (N° Lexbase : A1870GNL), JCP éd. A, 2011, n° 2002, note P. Yolka, Dr. adm., 2011, comm. n° 30, note J. Marchand.
(33) § 58, JORF, 27 juin 1986, p. 7978, AJDA, 1986, p. 575, note J. Rivero.
(34) Cons. const., déc. 24 juillet 2008, n° 2008-567 DC (N° Lexbase : A7893D99), AJDA, 2008, p. 1164, note Dreyfus, BJCP, 2008, p. 310, note Terneyre, Contrats-Marchés publics, 2008, repère 8, obs. Llorens et Soler-Couteaux ; D., 2008, J., p. 2356, note Apelbaum et Debouzy, Gaz. Pal., 8-9 août 2008, p. 2, note Linotte, JCP éd. A, 2008, n° 44, p. 37, note Gardères et Labayle-Pabet, LPA, 7 août 2008, p. 11, note Mouannès, RFDA, 2008, p. 1233, note Roblot-Troizier ; Cons. const., décision n° 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, préc..
(35) Voir également Cons. const., décision n° 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, préc., § 3.
(36) Voir à ce sujet, T. Rombauts, La relance des contreparties, Dr. adm., 2010, Etude 13.
(37) CE, Sect., 19 mars 1971, n° 79962 (N° Lexbase : A2915B8H), rec. p. 265, concl. M. Rougevin-Baville.
(38) Par ex. CE, 25 septembre 2009, n° 298918 (N° Lexbase : A3326ELR), rec. tables, p. 639-947, JCP éd. A, 2009, act. 1112, chron. C. Chamard-Heim, Dr. adm., 2009, comm. 148, F. Melleray (annulant une délibération cédant un bien estimé entre 710 000 euros et 770 000 euros, cédé pour un montant de 533 571 euros).
(39) TA Clermont-Ferrand, 27 février 2007,n° 0601642, LPA, 14 septembre 2007, n° 185, p. 9, nos obs..
(40) Voir C. Bosgiraud, Les ventes à l'euro symbolique consenties par les personnes publiques, JCP éd. A, 2011, n° 2359 ; S. Damarey, Le prix symbolique en droit public, AJDA, 2003, p. 2298.
(41) Voir P. Yolka, Sur un Lazare contentieux : l'arrêt Commune de Fougerolles, AJDA, 2010, p. 51.
(42) CE, 3 novembre 1997, n° 169473 (N° Lexbase : A5175ASH), Rec. p. 391, D. 1998, J., p. 131, note J.-F. Avignon, JCP éd. G, 1998, II, 10007, note R. Pastria, CJEG, 1998, p. 16, concl. L. Touvet, RFDA, 1998, p. 12, JCP éd. E, 1998, p. 270, note F. Chouvel, Dr. adm., 1997, comm. n° 387, obs. L.T., LPA, 6 février 1998, n° 16, p. 13, note J. Calvo.
(43) CAA Bordeaux, 8 novembre 2005, n° 02BX00744 (N° Lexbase : A6103DLM), JCP éd. A, 2006, n° 1041.
(44) Sur le mécanisme d'aide et l'impossibilité pour les commune d'accorder des rabais sur le prix de vente des immeubles qu'elles cèdent aux entreprises dans la limite de 25 % de la valeur vénale évaluée aux conditions du marché, voir CE, 27 février 1995, n° 143050 (N° Lexbase : A2858AN8), rec. p. 108 ; RDImm., 1995, p. 738, note J.-B. Auby. Dans cette affaire était concernée la cession par la commune de deux locaux pour le franc symbolique à une société civile immobilière en vue de la réalisation d'une librairie, mais le plafond posé par le texte règlementaire n'était pas respecté. L'annulation de la délibération est confirmée, après que la Haute juridiction administrative a écarté comme étant inopérants les moyens tirés de ce que ces locaux, dont les charges de copropriété pesaient lourdement sur le budget communal (soit 190 000 francs), n'auraient trouvé aucun preneur depuis quinze ans et que l'opération aurait permis de redonner vie aux commerces du centre-ville pour justifier légalement ce prix de vente, alors que l'immeuble était estimé à 1,4 millions de francs.
(45) CGCT, art. R. 1511-4 (N° Lexbase : L3285I33), R. 1511-12 (N° Lexbase : L6419I37) et R. 1511-14 (N° Lexbase : L2672IG3).
(46) Voir, par exemple, s'agissant de la cession par une commune de trois parcelles, à un prix symbolique pour l'une et à une valeur moindre que la valeur vénale, au profit de la communauté urbaine afin que cette dernière puisse réaliser des équipements, telle qu'une piscine communautaire et permettre la construction d'un carrefour giratoire servant à la desserte d'une zone d'activité économique, CE, 15 mai 2012, n° 351416 (N° Lexbase : A0943IMU), jugeant que "la commune tirera de la construction de la piscine communautaire et de la réalisation du carrefour giratoire des avantages importants ; que si le prix de vente des parcelles est effectivement, pour l'une d'entre elle, symbolique, pour les deux autres, inférieur au prix du marché, le bénéfice attendu pour les habitants de la commune de ces équipements d'intérêt général est de nature à constituer une contrepartie suffisante à l'économie générale de cette cession".
(47) TA Nantes, 28 avril 1998, n° 97-4256 (N° Lexbase : A3652BTG), rec. tables, p. 773, Dr. adm., 1998, comm. n° 243. Confirmé en appel par CAA Nantes, 30 juin 2000, n° 00NT00040 (N° Lexbase : A6394BHB), rec. tables, p. 814-857-986, AJDA, 2000, p. 951 et 885.
(48) CE, 25 novembre 2009, n° 310208 (N° Lexbase : A1309EP8), rec. p. 472, AJDA, 2010, p. 51, note Ph. Yolka, Dr. adm., 2010, comm. 23, note F. Melleray, JCP éd. A, 2010, 2031, note C. Chamard-Heim, Contrats et Marchés publics, 2010, comm. n° 41, note G. Eckert.
(49) F. Melleray, note préc..
(50) Voir par ex. CAA Marseille, 22 novembre 2010, n° 08MA03509 (N° Lexbase : A7999GS3), AJDA, 2011, p. 171, nos concl. (pour un désistement dans le cadre d'une action en rétrocession en contrepartie d'une cession d'une dépendance communale).
(51) CE, 25 novembre 2009, n° 310208, préc..
(52) Par ex . en ce sens, T. confl., 24 novembre 1894, Loiseleur, rec. p. 631, D., 1896, III, 3 ; T. confl., 18 juin 2001, n° 3241 (N° Lexbase : A5606BQP), p. 743, Bull. civ. I, n° 16, D., 1896, III, 3 ; T. confl., 19 janvier 2004, n° 3375 (N° Lexbase : A9910DT9), rec. p. 510.

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