Réf. : Cass. com., 30 juin 2015, n° 13-27.064, FS-P+B (N° Lexbase : A5393NMP)
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N8824BUD
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 10 Septembre 2015
I - Intérêt de la qualification de la mise à disposition de conteneurs
La question est de savoir ce qu'est, juridiquement parlant, la mise à disposition de conteneurs par le transporteur. Le droit français ne le précise pas, ce qui s'explique aisément. Les grandes lois maritimes françaises, les fameuses lois "Rodière ", datant des années 1960 (la codification du 28 octobre 2010 n'étant qu'à droit presque constant (2)), elles ne pouvaient traiter des problématiques soulevées par les conteneurs. En effet, même si le conteneur existait déjà à cette époque (3), la conteneurisation massive du transport maritime ne s'est réalisée que postérieurement. Si l'on qualifie la mise à disposition de conteneurs de contrat de louage de meubles, elle obéit au régime juridique prévu pour ce contrat. En l'absence de dispositions spéciales, elle relève donc du droit commun. L'inconvénient est alors de traiter fort différemment les diverses phases de l'opération de transport : la mise à disposition des conteneurs, passage obligé dans bien des cas du fait de la généralisation du transport sous cette forme obéira au droit commun, tandis que le reste de la convention relèvera du droit maritime. Les délais de prescription, notamment, seront alors différents : cinq ans pour le droit commun (C. com., art. L. 110-4 N° Lexbase : L4314IX3), un an pour le droit maritime (C. transp., art. L. 5422-11). Au contraire, si l'on considère que la mise à disposition s'intègre au contrat de transport, elle en suit le régime juridique. En particulier, elle sera soumise à la prescription abrégée imposée par l'article L. 5422-11, selon lequel "toutes actions contre le chargeur ou le destinataire sont prescrites par un an". La solution est alors moins favorable au transporteur, qui devra agir rapidement. Cette rigueur est renforcée par la Cour de cassation qui, appliquant strictement l'article 55 du décret du 31 décembre 1966, estime que le point de départ du délai de prescription est la date de la livraison (4). La solution peut sembler sévère puisque, s'agissant de frais d'immobilisation de conteneurs, elle aboutit à faire courir le délai de prescription alors même que la créance n'est pas encore exigible (5).
En énonçant très clairement que "la mise à disposition de conteneurs par le transporteur maritime, qui concourt à l'acheminement de la marchandise, constitue l'exécution d'une obligation accessoire de ce contrat", la Cour de cassation retient la seconde qualification, faisant de la mise à disposition un élément du contrat de transport.
II - Opportunité de la qualification retenue
Voir dans la mise à disposition de conteneurs par le transporteur maritime une obligation accessoire au contrat de transport n'est pas dénué de logique. Lorsque la marchandise a vocation a être chargée sur un navire porte-conteneurs, comment imaginer que le transporteur puisse assumer son obligation principale, qui est de transporter la marchandise d'un point A à un point B, s'il ne permet pas au chargeur d'empoter sa marchandise dans un conteneur ? La mise à disposition du conteneur apparaît ainsi comme un préalable nécessaire à l'exécution du transport.
La cour d'appel fondait l'indépendance de la mise à disposition en retenant qu'elle "s'étend sur une durée qui commence bien avant les opérations d'embarquement et se poursuit au-delà des opérations de débarquement". La cour de Saint-Denis de la Réunion, en adoptant pareille solution, allait à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation (6), mais se plaçait dans la lignée d'autres décisions d'appel qui avaient pu considérer que la location de conteneurs est un "engagement spécifique et accessoire du transport et n'est pas soumis aux règles du transport maritime" (7), ou encore que le transporteur maritime qui met un conteneur à disposition du chargeur peut invoquer le délai de prescription de droit commun dans le cadre de son action en remboursement des frais de stationnement du conteneur (8).
Mais c'est oublier que le contrat de transport ne consiste pas seulement dans le déplacement de la marchandise, mais suppose également que le transporteur réalise ce déplacement dans de bonnes conditions, ce que permet précisément la mise à disposition de conteneurs. Certes, le contrat de transport est le plus souvent défini comme le contrat par lequel le transporteur s'engage à déplacer des personnes ou des biens, avec la maîtrise de l'opération, moyennant paiement d'un prix (9). Le critère fondamental du contrat de transport est alors celui du déplacement : n'est contrat de transport que celui dans lequel l'obligation essentielle du prestataire est le déplacement de la marchandise ou de la personne. Il n'en demeure pas moins que l'existence d'autres obligations assumées par le prestataire (telles que des obligations de manutention, de stockage, d'emballage, etc.), ne font pas obstacle à la qualification de contrat de transport dès lors que le déplacement constitue l'obligation principale du contrat, les autres obligations ne présentant qu'un caractère accessoire (10).
La Cour de cassation réserve toutefois la possibilité pour les parties de déroger à cette qualification, en précisant que la mise à disposition des conteneurs est une obligation accessoire du contrat de transport, "à moins qu'elle ne fasse l'objet d'une convention distincte" de ce dernier. Le transporteur qui souhaiterait allonger le délai de prescription d'une éventuelle action contre le chargeur relative aux conteneurs (en particulier pour les frais d'immobilisation, ce qui est l'hypothèse la plus courante), pourra décider d'établir un contrat distinct de mise à disposition.
Cette dernière sera alors détachée du contrat de transport, elle recevra la qualification de louage de meuble, et relèvera du droit commun.
(1) CA Saint-Denis de la Réunion, 29 juillet 2013, n° 12/00612 (N° Lexbase : A2694KKY).
(2) Ph. Delebecque Je le croyais constant, il était infidèle ! : une codification à droit inconstant, Rev. dr. transp., octobre 2011, p. 1.
(3) On date son invention par Malcolm Mac Lean à 1956.
(4) Cass. com., 3 décembre 2013, n° 12-22.093, FS-P+B (N° Lexbase : A8478KQ3), DMF, 2014, p. 38, nos obs. ; DMF, 2014, HS 18, n° 72, obs. Ph. Delebecque ; RD transp., 2014, chron. 2, obs. Ch. Paulin ; D., 2014, p. 2272, obs. H. Kenfack ; LPA, 30 avril 2014 n° 86, p. 10, note C. Humann.
(5) Ph. Delebecque, obs. préc. sous Cass. com., 3 décembre 2013, préc..
(6) Cass. com., 3 décembre 2013, préc., note 3.
(7) CA Aix-en-Provence, 19 février1987, BT, 1988, p. 521 ; CA Aix-en-Provence, 25 mai 1988.
(8) CA Rouen, 2ème ch., 31 mars 2005, DMF, 2006, p.57.
(9) I. Bon-Garcin, M. Bernadet et Y. Reinhard, Droit des transports, Précis Dalloz, 1ère éd., 2010, n° 412 ; Ph. Delebecque, Pour une théorie du contrat de transport, in Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Dalloz, 2005, p.103, spéc. n° 9 ; B. Mercadal, Droit des transports terrestres et aériens, Dalloz, 1996, p.79, n° 125 ; Ch. Paulin, Contrat de transport, J.-Cl. Transports, fasc. 610, spéc. n° 1.
(10) Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-18.528, F-D (N° Lexbase : A1072IZQ), D., 2013, p.884, note Ch. Paulin. Cet arrêt rompait avec des années d'hésitations de la part de cette même Chambre commerciale : à propos du contrat de déménagement, v. par exemple Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-22.190 (N° Lexbase : A2497ACH) ; Cass. com., 16 mai 2006, n° 04-12.463, F-D (N° Lexbase : A6733DP3) ; à propos du contrat de collecte de déchets hospitaliers, v. Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-11.255, F-D (N° Lexbase : A2521HQG), RD transp., 2011., comm. 110, obs. Ch. Paulin.
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