Réf. : Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-17.649, F-P+B (N° Lexbase : A5465NMD)
Lecture: 5 min
N8822BUB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse 1 Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 10 Septembre 2015
Le 26 avril 2006, le liquidateur judiciaire de l'un des associés de la SCI a formé une tierce-opposition à l'encontre du jugement du 5 mai 1993 qui a constaté et fixé à un certain montant la créance de la banque. C'est alors qu'est intervenu volontairement à l'instance le mandataire ad hoc de la SCI désigné par une ordonnance du 2 mars 2006. Le 10 décembre 2007, le tribunal a rétracté le jugement du 5 mai 1993 et fixé à une somme moins élevée la créance de la banque qui a formé appel, tandis que le mandataire ad hoc a relevé appel incident.
C'est en pareilles circonstances que le liquidateur de la SCI a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 17 décembre 2013, rendu sur renvoi après cassation de celui de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 26 mai 2010 (2) qui a déclaré la banque recevable à agir. A l'appui de son recours, l'intéressé invoque le moyen selon lequel le créancier était une société dissoute par l'arrivée de son terme du fait que n'était pas valable la décision de prorogation, faute d'avoir respecté la clause statutaire prévoyant "qu'en l'absence de toute prorogation expresse ou tacite de sa durée, la société est dissoute par l'arrivée de son terme, sa personnalité morale ne subsistant que pour les besoins de la liquidation".
Le liquidateur fait donc grief à la juridiction d'appel d'avoir considéré comme régulière la prorogation de la société au seul motif qu'elle a eu lieu avant l'arrivée du terme, peu importe que la décision de prorogation soit intervenue sans se conformer au délai fixé dans les statuts qui n'a été édicté que dans l'intérêt des associés. Approuvant la décision d'appel, le juge du droit rejette, en l'espèce, le pourvoi formé contre celle-ci.
II - L'arrivée du terme provoquant la dissolution de plein droit de la société (3), la prorogation doit être prononcée avant que soit consommée la dissolution. Une prorogation hors délai, donc, tardive, s'avèrerait inefficace, quand bien même serait-elle assortie d'une clause de rétroactivité (4) ou serait-elle décidée à l'unanimité des associés (5).
Rien n'empêche, toutefois, d'insérer dans les statuts des clauses particulières, notamment celle autorisant la prolongation automatique de la société pour une certaine durée, en l'absence d'opposition d'un ou de plusieurs associés. La Cour de cassation a fait référence à une telle clause dans un arrêt où elle visait la prorogation "tacite" sous-entendant par-là que, si la décision qui l'introduisant dans les statuts n'avait pas été annulée, elle aurait pu jouer et ainsi éviter la dissolution de la société (6).
Cela a également été le cas d'une clause prévoyant une durée de prorogation courte de cinq ou dix ans, mais pouvant être tacitement reconduite, en l'absence de volonté contraire d'un associé (7).
En dépit des prorogations tacites prévues dans le contrat initial, la durée de la société demeure limitée dans le temps. Effectivement, pareilles clauses ne sont valables qu'à condition que par le jeu successif des prorogations, la durée totale n'excède pas 99 ans.
La présente espèce concerne une clause prévoyant que la prorogation d'une société intervienne deux ans avant son terme, cette prorogation étant valable dès lors qu'elle a été décidée avant l'arrivée du terme. Or, la société en cause s'était prononcée favorablement sur la prorogation de sa durée, avant d'exercer un recours en appel d'un jugement obtenu contre une société civile immobilière (SCI) qu'elle avait poursuivie en paiement d'une créance.
Le liquidateur judiciaire d'un associé de la SCI arguait de l'irrecevabilité de la société commerciale à agir au motif que la prorogation avait été décidée en violation de ladite clause stipulant l'exigence d'une décision de prorogation prise deux ans avant la date d'expiration de la société. Faute, d'avoir été régulièrement prorogée avant l'arrivée du terme, c'est-à-dire conformément à la clause statutaire, la société avait été dissoute et, par conséquent, privée de la personnalité morale l'autorisant à intervenir en justice.
La Cour régulatrice, consacrant la position de la cour d'appel de Toulouse, écarte cette argumentation sur le fondement selon lequel les tiers ne peuvent se prévaloir de la clause des statuts qui organise les modalités de prorogation de la durée d'une société. En conséquence, la société commerciale était tout à fait habilitée à agir, dès lors que la prorogation avait été décidée avant l'arrivée de son terme.
La solution ne saurait surprendre ; en effet, traditionnellement en droit des sociétés, les statuts sont inopposables aux tiers, si bien qu'ils ne peuvent créer d'obligations à leur charge, pas plus qu'ils ne peuvent être invoqués par eux. Il s'agit là de l'application du principe de l'effet relatif des contrats de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK).
Par ailleurs, l'inobservation des dispositions statutaires échappe à toute annulation, à moins qu'il ait été fait usage de la faculté offerte par une disposition impérative d'aménager conventionnellement la règle instaurée par celle-ci (8).
Seule est susceptible d'être sanctionnée par la nullité, la décision de prorogation prise dans des conditions irrégulières, la société étant réputée dissoute depuis l'expiration de sa durée initiale. C'est le cas lorsque la prorogation est intervenue après l'arrivée du terme de la société, ou lorsque les associés n'ont pas adopté avant terme et dans des conditions régulières une nouvelle décision de prorogation. Il en été jugé ainsi dans une espèce où une décision des associés ayant inséré dans les statuts une clause de reconduction tacite de la durée de la société avait été annulée en justice, la Cour de cassation a précisé que cette annulation a entraîné la dissolution de la société en l'absence de "toute prorogation expresse ou tacite de sa durée" antérieurement à l'arrivée du terme (9).
(1) C. civ., art. 1844-7, 1° (N° Lexbase : L7356IZH).
(2) Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-14.241, FS-D (N° Lexbase : A7304EXS).
(3) C. civ., art. 1844-7, 1°.
(4) CA Paris, 21 octobre 1994, Bull. Joly Sociétés, 1995, p. 43, note M. Jeantin.
(5) CA Paris, 28 avril 2000, n° 2000/00653 (N° Lexbase : A2505A4K), Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 399, note J.-M. Bahans.
(6) Cass. com., 23 octobre 2007, n° 05-19.092, FS-P+B (N° Lexbase : A8447DYI), RJDA 2/2008, n° 141.
(7) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.715, FS-P+B (N° Lexbase : A8789IB7), Bull. civ. IV, n° 12 ; D. 2012, p. 435, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly Sociétés 2012, p. 290, note J.-F. Barbiéri ; Ch. Lebel, Une société est dissoute par l'arrivée de son terme et en l'absence de prorogation, Lexbase Hebdo n° 289 du 22 mars 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N0957BTM). faisant référence à une prorogation tacite de la durée sous le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).
(8) Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL), RJDA, 8-9/2010, n° 850, J.-B. Lenhof, Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N3079BPQ) ; Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.283, F-P+B (N° Lexbase : A7014KCR), RJDA, 6/2013, n° 533
(9) Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-19.092, préc., note 5.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448822