Lexbase Affaires n°408 du 15 janvier 2015 :

[Jurisprudence] Formalisme et information dans le cautionnement d'un bail commercial

Réf. : CA Versailles, 9 octobre 2014, n° 12/02276 (N° Lexbase : A0874MYZ)

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 17 Mars 2015

La cour d'appel de Versailles a rendu, le 9 octobre 2014, un arrêt que l'on peut qualifier de confus.
Par acte sous seing privé signé en 2005, une SARL prend à bail commercial un ensemble immobilier à usage d'activité de stockage. Le gérant de la SARL locataire se porte caution solidaire des engagements de cette dernière. Quatre ans plus tard, certains loyers étant restés impayés, le locataire se voit condamné en référé au paiement de 32 322 euros, avec un délai de grâce de six mois. Moins d'un an plus tard, la société locataire fait l'objet d'une liquidation judiciaire. Les bailleurs décident donc, en 2012, d'assigner la caution en paiement. Le tribunal de grande instance de Versailles les a débouté de leur action, au motif que le cautionnement était nul, pour non-respect de l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT). D'après le tribunal, en application de ce texte, l'engagement souscrit par la caution doit comporter sa signature ainsi que la mention, écrite de sa main, de la somme en toutes lettres et en chiffres de toute obligation déterminable au jour de l'engagement. La caution contestant être l'auteur de la mention manuscrite portée sur l'acte de cautionnement, le TGI en a déduit que les formalités de l'article 1326 n'étaient pas respectées, et que cette irrégularité formelle devait entraîner la nullité de l'acte de cautionnement et le débouté des demandes formées par les bailleurs.
Ces derniers interjettent appel de ce jugement, en soutenant notamment que l'omission de la formalité prévue à l'article 1326 n'a pas porté atteinte aux droits de la caution et que le cautionnement donné par une caution qui exerce des pouvoirs dans l'entreprise cautionnée a un caractère commercial et peut donc être prouvé par tous moyens. Ils ajoutent qu'il n'est pas établi que la caution n'ait pas écrit la mention litigieuse de sa propre main. La cour d'appel de Versailles, dans son arrêt du 9 octobre 2014, confirme le jugement entrepris en ce qu'il déboute les bailleurs de leurs demandes. Mais la motivation de cette décision est à ce point confuse qu'elle mérite quelques développements. En effet, confrontée à un problème assez simple d'application, ou non, de l'article 1326 du Code civil, la cour commence par écarter ce texte (I), avant de débouter, sans véritable fondement, les créanciers de leur action contre la caution (II).

I - L'exclusion de l'article 1326 du Code civil

En première instance, le TGI de Versailles avait débouté les créanciers de leur action contre la caution, sur la base d'un raisonnement juridique erroné. En effet, le tribunal avait considéré que les formalités de l'article 1326 n'étant pas respectées, le contrat de cautionnement était nul. Une telle affirmation ne peut que surprendre. Il y a bien longtemps que la jurisprudence n'annule plus les cautionnements non conformes à ce texte. Certes, pendant une petite décennie, à partir de 1984, la Cour de cassation faisait de l'article 1326 une règle de fond, de protection de la caution, sanctionnée par la nullité du contrat (1). Néanmoins, depuis 1992, la Haute juridiction affirme très clairement que l'acte de cautionnement dépourvu de mention manuscrite ou comportant une mention manuscrite insuffisante n'est pas nul, mais simplement dépourvu de force probante (2). Il constitue un commencement de preuve par écrit, devant faire l'objet d'un complément de preuve.

L'argumentation retenue par le tribunal en première instance était donc complètement désuète.

La cour d'appel ne relève cependant pas l'anachronisme, puisqu'elle écarte purement et simplement l'article 1326 des débats. La cour rappelle très justement que ce texte, imposant un formalisme probatoire, ne s'applique pas lorsqu'il s'agit, à l'égard des commerçants, de prouver des actes de commerce. Nous ne nous attarderons pas sur le fondement textuel utilisé par la cour d'appel, à savoir l'article 109 du Code de commerce (N° Lexbase : L6117CZL), abrogé cinq ans avant la signature du cautionnement litigieux (3)...

L'exclusion de l'article 1326 par la cour d'appel, même si celle-ci ne le précise pas, se fonde sur l'idée que le cautionnement est commercial lorsque la caution a un intérêt patrimonial personnel à la réalisation de l'opération principale (4). Cet intérêt est même présumé pour les (4) dirigeants cautions de leur société (5). En l'espèce la caution était le gérant de la société débitrice (5) principale ; le cautionnement était donc commercial.

Si la nature commerciale du cautionnement ne faisait aucun doute, au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, une interrogation subsiste : la caution avait-elle la qualité de commerçant ? En effet, l'article L. 110-3 (et non 109...) du Code de commerce (N° Lexbase : L5547AIB) dispose que "à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens [...]" (6). Il en résulte que la nature commerciale du cautionnement est une condition nécessaire mais pas suffisante pour que la preuve soit libre. Il faut en outre que la caution ait la qualité de commerçant (7). Or, l'arrêt commenté n'apporte aucune précision à ce sujet. Le seul élément connu est que la caution était gérante de SARL, ce qui ne suffit pas à lui conférer la qualité de commerçant.

Malgré l'exclusion de l'article 1326, la cour d'appel déboute les requérants, sur un fondement qui est, c'est le moins que l'on puisse dire, incertain.

II - L'incertain fondement de l'arrêt

La cour d'appel ayant écarté l'article 1326 du Code civil des débats, il aurait été possible de penser qu'elle allait accéder à la demande des créanciers. La mention requise par ce texte n'ayant pas lieu d'être dans le cautionnement litigieux, il importait dès lors peu que la caution ait ou non rédigé une telle mention.

Pourtant, tel n'est pas le cas. Immédiatement après avoir écarté l'article 1326, la cour d'appel énonce que "la mention manuscrite portée par la caution sur le titre par lequel elle s'engage est dès lors suffisante sans qu'il soit nécessaire de porter le montant de la somme de façon manuscrite, pourvu que cette mention exprime de façon explicite et non équivoque la conscience qu'a la caution de la nature et de l'étendue de son engagement". En d'autres termes, alors même qu'elle considère que l'article 1326 n'a pas lieu de s'appliquer, la cour exige une mention, qui exprimerait que la caution a compris à quoi elle s'engageait.

La cour exige en outre que cette mention soit manuscrite, et rédigée de la main même de la caution, au motif que le contrat de cautionnement aurait "rappelé expressément cette nécessité". Qu'il nous soit permis de remarquer que cet usage du verbe "rappeler" est étonnant, puisque l'article 1326 (si c'est bien de lui qu'il s'agit, malgré l'exclusion trois lignes avant par la cour) n'exige plus une mention écrite de la main de la caution depuis la loi du 13 mars 2000 relative à la preuve électronique...

Pour la cour d'appel, cette mention "manuscrite" semble être le moyen de s'assurer que la caution avait compris la nature, la portée et les conséquences de son engagement. Et la suite est alors à peu près cohérente : la cour relève que la caution avait une faible instruction et que l'écriture de la mention et de la signature comportaient "une importante différence de graphie". La cour en déduit alors qu'aucun autre élément du dossier ne venant démontrer que la caution avait connaissance des conséquences juridiques de son engagement, elle n'avait pas conscience de l'ampleur des obligations qu'elle souscrivait. Il semblerait alors que le problème retenu par la cour d'appel soit le manque d'information de la caution.

La cour en arrive alors à ce résultat étonnant : elle confirme le jugement attaqué, lequel avait, rappelons-le, prononcé la nullité du cautionnement et donc débouté les créanciers. Mais la cour déboute ces derniers tout en affirmant : "sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement pour irrégularité formelle".

La cour paraît ainsi remettre en question l'annulation en première instance du cautionnement. Mais dans le même temps, elle confirme purement et simplement le jugement dans son dispositif...

Il nous semble que se posent alors deux questions. La première, la plus gênante de notre point de vue, est celle de savoir quel est le fondement juridique de la solution retenue par la cour d'appel. Ainsi qu'il a été précédemment remarqué, la cour semble reprocher aux bailleurs un manque d'information de la caution : pas de mention exprimant la conscience qu'a la caution de la nature et de l'étendue de son engagement, faible instruction de la caution, idée que les bailleurs "n'avaient pas souhaité informer [la caution] de manière complète sur la portée de son engagement", pas de "parfaite connaissance" des conséquences de son engagement, pas de conscience de l'ampleur des obligations souscrites.

Mais alors, que reproche exactement la cour d'appel aux bailleurs? Est-ce un vice du consentement, et plus particulièrement un dol (8) ? Ce fondement paraît exclu, puisque le dol est en principe sanctionné par la nullité, ce que semble exclure l'arrêt. Faut-il alors penser que la cour reproche aux créanciers une violation de l'obligation d'information de la caution et un défaut de mise en garde ? Un tel fondement paraît également exclu, puisqu'il est sanctionné par la responsabilité (et donc des dommages et intérêts) du créancier, sur la base d'une perte de chance de ne pas contracter (9). Or, l'arrêt ne se prononce nullement sur l'attribution de dommages et intérêts. En outre, le devoir de mise en garde est généralement exigé du créancier professionnel. Si les bailleurs relevaient de cette catégorie, pourquoi la Cour ne se fonderait-elle pas alors sur les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation, qui imposent des mentions manuscrites dans les cautionnements conclus par acte sous seing privé en faveur d'un créancier professionnel, quand bien même la caution personne physique serait un dirigeant de société (10) ?

La seconde question concerne le sort du cautionnement. La Cour ne semble pas vouloir l'annuler, mais confirme un jugement l'ayant annulé... Si le fondement de la décision, plus qu'incertain ainsi que l'on vient de le démontrer, permet de laisser subsister le cautionnement, on en arrive à la conclusion que celui-ci existe toujours, mais que les bailleurs ne peuvent s'en prévaloir (11).

Au final, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 9 octobre 2014 pose énormément de questions, sans apporter de véritable réponse, car il est entaché d'un certain nombre de zones d'ombres, voire d'erreurs: une référence périmée à l'article 109 du Code de commerce, une allusion à l'article 1326 du Code civil dans sa rédaction antérieure à 2000, aucune recherche de l'éventuelle qualité de commerçant de la caution, pas de critique expresse de l'erreur juridique du jugement attaqué, qui avait prononcé la nullité du cautionnement pour violation de l'article 1326. Et, bien plus grave, l'arrêt ne contient aucun fondement juridique clairement exprimé, et ajoute à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, en exigeant, malgré l'exclusion de l'article 1326, une mention exprimant la conscience qu'a la caution de la nature et de la portée de son engagement. Si un pourvoi est intenté à l'encontre de cet arrêt, il nous semblerait indispensable que la Cour de cassation éclaircisse ces ombres.


(1) Cass. civ. 1, 22 février 1984, n° 82-17.077 (N° Lexbase : A0566AA9), JCP éd G, 1985, II, 20442, note M. Storck.
(2) Cass. civ. 1, 20 octobre 1992, n° 90-21.183 (N° Lexbase : A5598AHS), JCP éd.G, 1993, I, 3680, n° 3, obs. Ph. Simler.
(3) Ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000, art. 4 (N° Lexbase : L2955AIB).
(4) Cass. req., 31 janv. 1872, DP, 1872, 1, p. 252; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Sûretés, publicité foncière, Dalloz, 6ème éd. 2012, n° 68.
(5) Cass. com., 5 octobre 1993, n° 91-12.372 (N° Lexbase : A5582ABD), Rev. sociétés, 1994, p. 47, note D. Legeais.
(6) C'est nous qui soulignons.
(7) Ph. Simler et Ph. Delebecque, Sûretés, publicité foncière, op. cit., n° 147.
(8) Idée accréditée par le fait que la cour suspecte que la mention n'ait pas été écrite par la caution, ce qui l'amène à penser que les créanciers ne voulaient pas informer trop précisément la caution.
(9) Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-20274, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2384EMA), Banque & Droit, novembre-décembre 2009, p. 62, obs. N. Rontchevsky.
(10) Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RTDCom., 2012, p. 177, obs. D. Legeais, RDBF, mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles, Rev. sociétés, mai 2012, p. 286, obs. I. Riassetto; Cass. civ. 1, 8 mars 2012, n° 09-12.246, F-P+B+I (N° Lexbase : A1703IES).
(11) Ce qui ne serait pas sans rappeler la sanction du cautionnement manifestement disproportionné édictée par l'article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C), même si ce texte est évidemment totalement étranger au problème juridique de l'espèce.

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