Réf. : Cass. civ. 2, 12 juin 2014, n° 13-20.358, F-P+B (N° Lexbase : A2281MRW)
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par Julien Bessermann, Avocat, Cabinet Granrut avocats
le 26 Juin 2014
Rares sont les hypothèses dans lesquelles l'assureur est en droit de procéder au rachat total d'un contrat d'assurance vie à son profit, c'est pourquoi il importe de revenir brièvement sur les faits de l'espèce.
La souscriptrice d'un contrat d'assurance sur la vie a sollicité, dans le courant de l'année 2007, une avance sur son contrat qui lui a été accordée sous réserve du respect des conditions générales des avances.
Ce document précisait notamment que l'assureur se réservait le droit de procéder au rachat du contrat si le montant des avances en cours dépassait 90 % de la valeur de rachat dudit contrat (1).
Dès lors que le montant des avances en cours représentait 101 % de la valeur de rachat du contrat, l'assureur a adressé à la souscriptrice un courrier recommandé avec demande d'avis de réception l'informant de ce que le montant de son avance excédait le pourcentage de la valeur de rachat du contrat autorisé en application du règlement général des avances.
Par ce courrier, l'assureur a également mis en demeure la souscriptrice de régulariser sa situation dans un délai de quatorze jours en précisant, qu'à défaut, il procéderait "sans aucune formalité, au rachat total de [son] contrat d'assurance".
C'est dans ces conditions que, postérieurement à l'expiration de ce délai de quatorze jours, la souscriptrice a adressé une lettre de renonciation à son assureur en invoquant des manquements de ce dernier à son obligation précontractuelle de remise d'une note d'information.
Il s'avère que l'assureur a refusé de faire droit à cette demande en raison du rachat total du contrat, arguant que celui-ci faisait obstacle à la renonciation formulée par la souscriptrice.
2. Le refus d'assimiler le rachat total à un simple acte d'exécution du contrat
La Cour de cassation a déjà eu l'occasion d'indiquer que le rachat total d'un contrat d'assurance vie y met fin et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée antérieurement (2) ou postérieurement (3).
L'analyse de ces décisions semblait démontrer que la renonciation était impossible, qu'elle soit exercée antérieurement ou postérieurement au rachat total, du fait de la disparition du contrat.
Cependant, la souscriptrice n'a pas désarmé et a soutenu que le rachat total était un simple acte d'exécution du contrat et qu'il ne pouvait donc avoir aucun impact sur la faculté de renonciation qui lui était ouverte.
Elle se fondait ainsi sur la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle la faculté de renonciation est "indépendante de l'exécution du contrat" (4) mais également sur une série de décisions rendues à l'occasion de rachats partiels ou de versements complémentaires effectués postérieurement à l'exercice du droit de renonciation.
La Cour a en effet pu relever que de tels actes ne pouvaient faire obstacle à l'exercice du droit de renonciation qu'à la condition de manifester "une volonté tacite dépourvue de toute équivoque de renoncer aux dispositions de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances" (5).
Il apparaissait de manière sous-jacente que la souscriptrice estimait que dès lors que le rachat avait été effectué par l'assureur, il ne pouvait constituer un acte manifestant sans équivoque sa volonté de renoncer aux dispositions des articles L. 132-5-1 (N° Lexbase : L9839HE7) et suivants.
Cet argument audacieux n'a pas ému la Cour de cassation qui a confirmé que le rachat total du contrat d'assurance vie faisait obstacle au droit de renonciation, non parce qu'il serait un acte d'exécution du contrat, mais bien parce qu'il y met fin de telle sorte qu'il est impossible de renoncer à un contrat qui n'existe plus.
3. L'indifférence de l'auteur du rachat total
Dès lors que la cour décidait que c'est la disparition du contrat du fait du rachat total qui faisait obstacle à la renonciation, la Cour Suprême ne pouvait que constater que "l'auteur" du rachat total était indifférent.
Dans la droite ligne de la décision précitée dans laquelle la Cour relève que le rachat total fait obstacle à la renonciation même s'il est exercé par la banque en qualité de créancier nanti (6), la Cour relève que "la demande de rachat total d'un contrat d'assurance sur la vie, qu'elle émane de l'assuré, ou de l'assureur l'ayant mis vainement en demeure de régulariser sous délai la situation de ce contrat au regard de ses conditions de fonctionnement, met fin à celui-ci et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée postérieurement à l'expiration de ce délai par l'assuré".
Cet attendu appelle quelques observations.
D'une part, il apparaît que la Cour a pris la précaution de relever qu'avant de procéder au rachat total du contrat, l'assureur a mis la souscriptrice en demeure de régulariser sa situation dans un certain délai et a également informé cette dernière qu'à défaut de régularisation, le contrat serait racheté.
On peut donc estimer qu'afin de protéger le souscripteur, la Cour de cassation veillera à ce que ces conditions soient réunies avant de s'opposer à une demande de renonciation.
D'autre part, la Cour indique expressément qu'est privée d'effet la renonciation exercée postérieurement à l'expiration du délai au terme duquel l'assureur a annoncé au souscripteur, dans son courrier de mise en demeure, que le rachat total serait acquis.
Ainsi, peu importe la date à laquelle le rachat est formellement notifié au souscripteur, seule compte la date à laquelle ledit rachat est effectivement acquis.
En outre, un doute subsiste s'agissant du sort de la renonciation exercée antérieurement au rachat total du contrat même s'il ne semble pas exister de raisons valables de ne pas étendre l'arrêt commenté à cette hypothèse.
En effet, l'exercice du droit de renonciation ne met pas fin au contrat d'assurance vie qui continue à être exécuté normalement, même après l'exercice du droit de renonciation par le souscripteur.
Ainsi, si le souscripteur ne respecte pas les dispositions contractuelles relatives aux l'avances l'assureur serait en droit d'en tirer toutes les conséquences (cette analyse semble d'ailleurs confirmée par l'arrêt du 19 février 2009 (6)6 puisqu'il n'est pas fait reproche à l'assureur d'avoir fait droit à la demande de rachat total formulée par le créancier nanti alors que le souscripteur avait déjà renoncé à son contrat).
4. Sur l'éventuelle mise en cause de la responsabilité civile de l'assureur sur le fondement du droit commun en dépit du rachat total du contrat
Si le rachat total fait obstacle à l'exercice du droit de renonciation par le souscripteur, il ne protège pas l'assureur contre une action mettant en cause sa responsabilité civile.
Ainsi, dans un arrêt en date du 23 mai 2013 (7), la Cour de cassation a relevé que "malgré le rachat total du contrat", les éventuels manquements de l'assureur à son obligation précontractuelle d'information "sont susceptibles d'engager sa responsabilité civile dans les conditions de droit commun".
Dans cette hypothèse, il appartient donc au souscripteur de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité, de sorte que l'issue de son action est nécessairement plus aléatoire que l'exercice du droit de renonciation entraînant la restitution de l'ensemble des primes versées assorties d'intérêts de retard au motif de simples manquements formels.
Pour autant, les sommes obtenues à titre de dommages et intérêts peuvent ne pas être négligeables dès lors que, dans l'arrêt précité, la Cour de cassation a confirmé l'arrêt d'appel qui avait évalué la perte de chance des souscripteurs à 70 % du montant de la moins-value apparue sur leurs contrats.
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