La lettre juridique n°576 du 26 juin 2014 : Éditorial

France : entre "Terre d'asile" et "maison qui rend fou" ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 26 Juin 2014


70 000 demandes chaque année ; deux ans de procédure ; 80 % des demandes déboutées. Le difficile équilibre entre aspérités généreuses du droit d'asile et efficacité du droit de l'asile revient sur le devant de la scène avec le prochain dépôt d'un projet de loi réformant la matière en France.

"Le boeuf mironton et le droit d'asile sont deux névroses typiquement françaises" cinglait Michel Audiard.

Bien entendu, le concept de l'asile n'est point gaulois. Pourtant, si l'on oublie l'asile hellénique conférant une protection sacrée des temples et des prêtres en cas de conquête ; si on met de côté l'asile romain regroupant et épargnant les criminels de tout poil sur le Capitole pour accélérer la colonisation ou le développement urbain ; et si on néglige l'asile chrétien accordant protection à quiconque franchit le seuil d'une église et se repent ; finalement... le droit d'asile, au sens politique du terme, est bien d'essence française. Il est difficile d'être plus clair que cet article 120 de la Constitution de 1793 : "Le peuple français donne l'asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse aux tyrans".

Depuis, l'idée à fait son chemin, surtout au XXème siècle, avec la nécessité de gérer les réfugiés russes, victimes de la Révolution d'Octobre, d'abord, puis celle d'accueillir les réfugiés juifs d'Allemagne, victimes des persécutions nazis dans les années 1930. Les premiers ont eu le privilège d'un "passeport Nansen" qui permettait aux réfugiés de retrouver une identité déchue par le régime bolchevique ; les seconds rencontreront assez rapidement les "mandarins" français chargés de limiter leur installation et de les refouler dans l'Allemagne hitlérienne par voie de circulaire dès le 4 décembre 1934.

On comprend, dès lors, qu'il y avait nécessité d'inscrire le droit d'asile sur le fronton des droits universels de la Déclaration éponyme de 1948 (art. 14) : "Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays" ; et de définir précisément le statut de réfugié, dans la Convention de Genève de 1951 : "le terme réfugié' s'appliquera à toute personne : [...] 2) Qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner".

Voilà pour les grands principes ("nécessaires à notre temps" comme l'édictait le Préambule de la Constitution de 1946).

60 ans plus tard, le droit d'asile est un casse tête et le droit de l'asile, c'est-à-dire l'encadrement législatif et réglementaire pour déterminer la qualité de réfugié, une "maison qui rend fou", tant les procédures sont complexes, les délais forts longs, l'appréciation quasi-souveraine, et les circulaires parfois contradictoires oscillant entre refoulement et régularisation. Obtenir le précieux sésame est presque aussi éprouvant que d'obtenir "le laissez-passer A-38" pour les intrépides gaulois dessinés !

La France est certes généreuse, mais pour limiter les abus et concentrer sa "générosité" sur la protection des "vrais" réfugiés politiques, et non économiques, elle n'a eu de cesse que de flirter avec, au mieux, l'inconventionnel, entendez par là le non-respect des prescriptions des Traités et normes notamment européennes, au pire, l'illégal, par le truchement de circulaires moins interprétatives que comminatoires... Et l'on ne s'étonnera pas que, comme dans l'oeuvre d'Uderzo et de Goscinny, il faille finalement contourner l'obstacle et demander un formulaire imaginaire (A-39) selon une circulaire (B-65) qui l'est tout autant, pour ébranler la technocratie française et obtenir gain de cause. En droit, c'est la Cour européenne qui a imposé le droit à un recours suspensif effectif à l'Etat Français, en 2007, quand le Conseil d'Etat, lui-même, ouvre, en 2013, un second guichet de demande d'asile lorsque le premier Etat sollicité n'accorde pas une protection suffisante aux réfugiés...

Mais, la nouvelle réforme du droit d'asile est, encore, l'expression de l'ambivalence française : souhaitant mieux accueillir les demandeurs d'asile en établissant un "schéma national" pour mieux gérer l'hébergement, déterminant avec plus de rigueur la liste des pays sûrs et réduisant les délais d'instruction -ce qui profitera assurément aux demandeurs admis au statut de réfugié-... la loi nouvelle entendrait garantir le refoulement des 80 % déboutés, via des "lieux d'aide et de préparation au retour" qui peineront à ne pas ressembler aux centres de rétentions, nouveaux "foyers Sonacotra" -désormais Adoma-.

De l'asile accueillant à l'asile ostracisant, de l'intégration des réfugiés à la mise à l'écart des contrevenants, la frontière reste ténue entre l'asile vertueux et l'asile honteux et il n'est pas certain que ce projet de loi donne un nouveau souffle à un système qui ne satisfait personne.

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