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N2124B33
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par Robert Rézenthel, docteur en droit
le 23 Avril 2025
Mots cles : domaine public • droit de propriété • contravention de grande voirie • lais et relais • pêche
Depuis l'Édit de Moulins du 15 février 1566 consacrant le domaine public et son inaliénabilité, les riverains de la mer doivent subir les caprices des flots [1], depuis notamment l'Ordonnance d'août 1681 sur la marine définissant le rivage de la mer. Les propriétaires concernés par la submersion marine sont impuissants face aux phénomènes météorologiques, s'ils peuvent tenter de se protéger à partir d'ouvrages réalisés sur leur terrain, toute occupation sur le domaine public maritime doit être préalablement autorisée par l'État [2].
I. La consistance du domaine public maritime
Il existe des exceptions à la domanialité publique maritime mais elles sont d'interprétation stricte [3]. Ainsi, les détenteurs de lettres patentes ne peuvent revendiquer la propriété des terrains qu'ils occupent sur le bord de mer en raison de l'imprécision des titres qu'ils détiennent.
L'appréciation de la consistance du domaine public maritime appartient à l'État. Selon le Tribunal des conflits, en l'absence de voie de fait, même lorsqu'un arrêt d'une cour d'appel devenu irrévocable admet l'existence du droit de propriété d'une personne sur des prés salés, les juridictions administratives sont compétentes pour apprécier la consistance dudit domaine [4].
Aucun texte législatif ou réglementaire n'affirme clairement que les propriétaires de terrains littoraux submergés par la mer perdent leur droit de propriété. Cette circonstance se déduit du caractère inaliénable et imprescriptible du domaine public. En d'autres termes, dès lors que ces terrains sont submergés ils font partie du domaine public. Même en cas de retrait des eaux, la domanialité publique subsiste contrairement à ce qu'avait jugé la Cour de cassation [5]. La Haute Juridiction précise toutefois que le droit de propriété subsiste sauf si la submersion a été de longue durée. C'est-à-dire selon le Conseil d'État qu'elle doit être « habituelle » [6] ou « régulière » [7].
L'interprétation de ces critères est laissée à l'appréciation des juges qui bénéficient semble-t-il d'un pouvoir discrétionnaire étendu. Il a été jugé en matière fiscale que « La condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence » [8] ; une telle interprétation n'est pas transposable à la submersion marine. Si l'effondrement de pans de falaises notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France conduit à une submersion d'éboulis par la mer, dans cette hypothèse le propriétaire concerné par ce phénomène ne peut pas contester l'incorporation dans le domaine public maritime de la partie de son terrain en surplomb de la falaise qui s'est effondrée. En revanche, il est plus discutable qu'une telle incorporation résulte d'une submersion d'une partie d'un village lors d'une violente tempête, comme ce fut le cas en février 2010 avec la tempête Xynthia. À la suite d'une rupture de digue, le territoire de la commune de la Faute-sur-mer fut recouvert par près de 2 mètres d'eau.
Dans le cadre de la police de la contravention de grande voirie, le Conseil d'État rappelle [9] que le juge administratif n'est pas tenu par les arrêtés de délimitation du domaine public maritime naturel, il lui appartient de déterminer la consistance de ce domaine en se fondant sur les critères scientifiques fixés par les articles L. 2111-5 N° Lexbase : L0583LZM et R. 2111-5 N° Lexbase : L5580L7S du Code général de la propriété des personnes publiques. Ces arrêtés ne représentent que l'un des éléments d'appréciation. Cependant, ces critères sont imprécis et l'article R. 2111-5 n'indique pas s'ils sont ou non cumulatifs. Ce texte vise : « Les procédés scientifiques auxquels il est recouru pour la constatation sont les traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques ».
Dans les ports maritimes, les travaux d'endiguement ont pour effet d'incorporer ipso facto dans le domaine public maritime les terrains gagnés sur la mer. On soulignera le surprenant arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux qui a estimé que les terrains formés par des sédiments résultant d'une opération de dragage du chenal d'un port de plaisance relevait de la gestion du concessionnaire du port « quand bien même les terrains en cause n'étaient pas matériellement inclus dans le périmètre de cette délégation [de service public], compte tenu de leur création postérieure à l'action portant concession » [10].
Le domaine public maritime naturel résulte de l'action des flots amplifiée par les courants marins et les tempêtes et cyclones. Dans les ports il peut exister du domaine public naturel, mais dès son aménagement il intègre le domaine public artificiel [11].
Il y a lieu de relever que le recul du trait de côte, et donc la progression du domaine public maritime naturel, ne connaît pas de limite à l'intérieur des terres, alors que la limite côté terre de la zone des cinquante pas géométriques dans les départements et territoires d'outre-mer ne recule pas malgré les effets de l'érosion [12].
Les lais et relais constituent à certains égards une énigme pour les juristes. Ces notions sont surtout définies par la doctrine [13], mais aucune époque de leur formation n'est mentionnée dans les textes. Peut-on sérieusement affirmer que la « Roche de Solutré » qui a été formée par la mer constitue un lais de mer au sens de l'article L. 2111-4 3° du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L0402H4N, faisant partie du domaine public maritime naturel.
L'occupation de ce domaine public connaît-elle aussi des zones d'ombre sur le plan juridique ?
II. L'occupation du domaine public maritime et le caractère sibyllin de certains textes
Sous une apparente clarté, les dispositions concernant l'utilisation du domaine public maritime soulèvent des interrogations. Ainsi, la loi dispose que « en dehors des zones portuaires et industrialo-portuaires, et sous réserve de l'exécution des opérations de défense contre la mer et de la réalisation des ouvrages et installations nécessaires à la sécurité maritime, à la défense nationale, à la pêche maritime, à la saliculture et aux cultures marines, il ne peut être porté atteinte à l'état naturel du rivage de la mer... » [14]. Cette protection du rivage ne concerne en réalité qu'une faible partie du domaine public maritime naturel. Celui-ci comporte [15] en outre le sol et le sous-sol de la mer territoriale et des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer, les lais et relais de la mer, la zone des cinquante pas géométriques, et les terrains littoraux réservés pour des besoins d'intérêt public d'ordre maritime, balnéaire ou touristique et qui ont été acquis par l'État.
Plus généralement, l'article L. 2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L7962K9R dispose que « Les décisions d'utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques... ». L'expression « tenir compte de » doit s'interpréter comme une nécessaire compatibilité avec les espaces terrestres voisins, critère qui permet une grande liberté d'interprétation par le juge en cas de litige.
Mme A. Bretonneau, rapporteure publique devant le Conseil d'État, a déclaré dans ses conclusions que « la notion de compatibilité... traduit une exigence plus lâche que le rapport de conformité, impliquant seulement que la norme inférieure ne compromette pas l'application de la norme supérieure » [16]. Tandis que M. D. Labetoulle reconnaissait que « La notion de compatibilité ne se laisse que malaisément définir dans l'absolu.. » [17].
Le législateur laisse planer le doute par une formule imprécise en affirmant « Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique... » [18]. En d'autres termes, l'occupation du domaine public doit être conforme à sa destination. Il y a lieu de se reporter à la jurisprudence pour tenter de définir les contours de cette notion. Au XIX ème siècle, il a été jugé [19] que le domaine public maritime naturel devait permettre la baignade, la promenade, la pêche à pied, l'échouage des embarcations. Puis, dans le courant du XX ème siècle, ont été admis sur ce domaine : le déversement des eaux de drainage des marais [20], des équipements touristiques [21], et même une station de lagunage [22]. Dans le même temps, le Conseil d'État a considéré [23] que l'état du domaine public maritime peut constituer un aspect essentiel du site.
Plus récemment un établissement de dégustation de produits de la mer [24], ainsi qu'une activité de mareyage [25] ont été admis sur le domaine public maritime. C'est le cas également pour un parc éolien en mer, pour lequel il a été jugé que : « la réalisation de ce parc éolien participe à la mise en oeuvre des politiques publiques menées aux niveaux européen, national et local, en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la lutte contre le réchauffement climatique et plus globalement de la préservation de l'environnement et répond, eu égard à sa nature et aux intérêts économiques sociaux qu'il présente, à une raison impérative d'intérêt public majeur » [26]. On peut encore citer l'extraction de sable en mer qui constitue également une activité compatible avec la destination du domaine public [27].
La loi désigne parfois des activités compatibles avec la destination du domaine public maritime naturel comme, la promenade, la pêche et les cultures marines [28]. À présent, l'objectif principal consiste à assurer la protection du caractère naturel de ce domaine, c'est ainsi que le législateur veut éviter l'implantation pérenne d'ouvrages exploités à des fins économiques, en interdisant la reconnaissance de droits réels sur le domaine public naturel [29]. Plus contestable est l'absence de reconnaissance par la loi du droit d'exploiter un fonds de commerce sur ce domaine [30]. En effet, si pendant longtemps la jurisprudence judiciaire considérait que le bail commercial constituait l'élément principal du fonds de commerce, la Cour de cassation a écarté ce critère et a jugé que le fonds de commerce était une « universalité mobilière » [31]. C'est-à-dire que le commerçant exerçant sur le domaine public pourrait être titulaire d'un fonds de commerce sans pour autant avoir le droit de se maintenir dans les lieux à l'expiration de son contrat d'occupation.
Sur le domaine public portuaire artificiel, on peut s'interroger sur le point de savoir si les bâtiments à usage commercial constituent ou non des biens de retour. Ceux-ci existent, selon la jurisprudence « lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique » [32], ils font partie des biens de retour qui appartiennent en principe au concédant dès leur construction ou acquisition [33].
Les bâtiments commerciaux construits et exploités dans les ports maritimes ne participent pas, en principe, au fonctionnement du service public, ils sont implantés sous le régime de l'autorisation d'occupation temporaire, et ne font pas l'objet de contrôles comme c'est le cas pour les biens des concessions. Il ne s'agit donc pas de biens de retour. A l'expiration des autorisations domaniales, c'est le droit commun qui s'applique, c'est-à-dire comme le prévoit l'article L. 2122-9 du Code de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4000IPT : « À l'issue du titre d'occupation, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l'autorisation, soit à ses frais, à moins que leur maintien en l'état n'ait été prévu expressément par le titre d'occupation ou que l'autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition ». En l'absence de stipulations dans l'autorisation domaniale ou dans le cahier des charges de la concession, le propriétaire des locaux n'est pas tenu de les remettre en état à l' expiration de ladite autorisation.
Conclusion
Tandis que l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 N° Lexbase : L1294A9S prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux du régime du droit de propriété, la jurisprudence reconnaît un large pouvoir d'appréciation aux juges pour déterminer la consistance et les conditions d'occupation du domaine public maritime. Un effort devrait être accompli pour améliorer la lisibilité des textes afin d'assurer la sécurité juridique qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle [34].
[1] M. Querrien, Le rivage de la mer ou la difficulté d'être légiste, EDCE, 1972, n° 25, p. 75 ; R. Hostiou, Le domaine public maritime naturel : consistance et délimitation, Rev. Jurid. de l'environnement, 1990, n° 4, p. 469 à 481.
[2] L'article 33 de la loi du 16 septembre 1807, relative au dessèchement des marais dispose qu'il appartient aux propriétaires riverains du rivage d'assurer la protection de leurs biens et que tout aménagement à cette fin sur le rivage doit être autorisé préalablement par l'État.
[3] CE Sect. 10 juillet 1970, n° 74606 N° Lexbase : A7354B71.
[4] T. confl., 24 février 1992, n° 2685 N° Lexbase : A8421BDA.
[5] Ass. Plén., 23 juin 1972, n° 70-12.960 N° Lexbase : A8937AYN.
[6] CE, 10 juillet 1981, n° 18331, 18332 et 18334 N° Lexbase : A3987AKU.
[7] CE, 22 octobre 2017, n° 400727 N° Lexbase : A7446WSL, concl. G. Pellissier.
[8] CE, 18 mars 2020, n° 425443 N° Lexbase : A95823IQ.
[9] CE, 25 septembre 2013, n° 354677 N° Lexbase : A9649KLX.
[10] CAA Bordeaux, 17 février 2022, n° 19BX02811 N° Lexbase : A3584737.
[11] CE, avis, 16 octobre 1980, n° 327217, note P. Delvolvé, Les modifications du domaine public maritime, RD imm. 1981, p. 291.
[12] Il s'agit de la déclaration du Gouvernement à l'occasion des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963, relative au domaine public maritime. R. Rézenthel, La zone des cinquante pas géométriques et l'ancien domaine colonial : des vestiges de la colonisation, Dr. Voirie, 2017, n° 199, p. 161.
[13] P.-M. Juret, Le domaine public maritime, Dalloz, 1964, p. 30.
[14] CGPPP, art. L. 2124-2 N° Lexbase : L0406H4S.
[15] CGPPP, art. L. 2111-4.
[16] A. Bretonneau, conclusions sous CE Sect., 31 mars 2017, n° 392186 et 396938 N° Lexbase : N8399BYQ. Pour illustrer la notion de compatibilité elle cite l'arrêt : CE Ass, 22 février 1974, n° 91848 N° Lexbase : A4996B8K, Rec. p. 145.
[17] Cité par M. A. Lallet, sous ses conclusions sous CE 27 juillet 2015, n° 370454 N° Lexbase : A0771NNU.
[18] CGPPP, art. L. 2121-1.
[19] CE, 30 avril 1863, Ville de Boulogne-sur-mer, Rec. p. 403 concl. Robert.
[20] CE Sect., 3 mai 1963, Ministre des travaux publics et des transports c/ Commune de Saint-Brévin-les-Pins, Rec. p. 259, AJDA 1963, II, p. 356.
[21] CE, 20 mai 1977, n° 94912 N° Lexbase : A3725B8H, Rec. T. p. 1000.
[22] CE, 8 novembre 1985, n° 47081, JCP éd. G, 1986, II, 20651 note R. Rézenthel.
[23] CE 2 novembre 1979, n° 7865, N° Lexbase : A1661AKQ, Rec. T. p . 852 et 927.
[24] CAA Nantes 17 novembre 2023, n° 22NT01730 N° Lexbase : A72371Z3.
[25] CAA Nantes 6 juillet 2021, n° 20NT00776 N° Lexbase : A65984YZ.
[26] CAA Nantes 3 juillet 2020, n° 19NT01583 N° Lexbase : A139074A.
[27] CE 4 juillet 1980 ,n° 12717, 12823 et 12725 N° Lexbase : A8482AIY.
[28] C. env., art. L. 321-9 N° Lexbase : L6113HIA. L'exploitation de cultures marines sur le domaine public maritime fait l'objet d'une réglementation (CE, 27 avril 1987, n° 50792 N° Lexbase : A4788APZ).
[29] L'article L. 2122-5 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L0404H4Q indique « Les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables au domaine public naturel ». Or, dans cette sous-section l'article L 2122-6 dudit code admet l'octroi de droit réel aux occupants du domaine public.
[30] CGPPP, art. L. 2124-35 N° Lexbase : L5019I3B disposant que « La présente section n'est pas applicable au domaine public naturel ». Or, dans cette section il y a l'article L 2124-32-1 selon lequel « Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre » ; CE 11 mars 2022, n° 453440, N° N° Lexbase : A38307QW.
[31] Cass. com., 12 novembre 1982, n° 90-20845 N° Lexbase : A4780ABN ; R. Rézenthel, L'exploitation du fonds de commerce sur le domaine public : vers la fin d'un malentendu, Gaz. Pal. 10 février 1998, p. 2.
[32] CE Ass., 21 décembre 2012, n° 342788 N° Lexbase : A1341IZP.
[33] R. Rézenthel, Les biens de retour dans les ports de plaisance et leur rapport avec le droit de propriété, Dr. Voirie, 2022, n° 228, p. 143.
[34] Cons const., décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020 N° Lexbase : A721138L.
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