Le Quotidien du 10 mars 2025 : Propriété intellectuelle

[Questions à...] La tendance « Pingti », un risque supplémentaire pour les maisons de luxe ? Questions à Pierre Perot (Counsel) et Camille Abba (Avocate) du cabinet August Debouzy

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[Questions à...] La tendance « Pingti », un risque supplémentaire pour les maisons de luxe ? Questions à Pierre Perot (Counsel) et Camille Abba (Avocate) du cabinet August Debouzy. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/116446151-questions-a-la-tendance-pingti-un-risque-supplementaire-pour-les-maisons-de-luxe-questions-a-pierre-
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le 03 Mars 2025

Mots clés : luxe • contrefaçon • propriété intellectuelle • logos • Asie

Un nouveau phénomène de contrefaçon voit le jour en Chine : les « Pingti ». Les consommateurs s’étant lassés des contrefaçons grossières et de piètre qualité, les contrefacteurs se sont adaptés et s’orientent désormais vers des matières nobles et quasiment équivalentes au produit d’origine, avec évidemment un prix bien inférieur, sans pour autant reproduire les marques. Cette nouvelle tendance semble saisir les classes aisées en Asie et préfigure ce qui pourrait arriver sous peu en Europe et aux États-Unis, interpellant les acteurs du luxe pour qui la protection de leurs actifs immatériels est un enjeu économique et réputationnel considérable. Pierre Pérot et Camille Abba, avocats au cabinet August Debouzy, répondent à nos questions*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de la protection de la PI des marques ?

Pierre Perot et Camille Abba : Pour l’ensemble des entreprises et en particulier celles qui opèrent dans l’industrie de la création, de la mode et du luxe, les actifs immatériels constituent une valeur essentielle et un élément de différenciation sur le marché.

Les stratégies de protection de ces actifs mises en place par les entreprises sont multiples et généralement cumulatives : politique de dépôts de titres de PI (marques, modèles, brevets), mise en place de processus de conservation d’éléments de preuve notamment en terme de date de création afin d’établir des antériorités et assurer la pleine titularité de l’entreprise, politique de contractualisation avec les employés créateurs et prestataires tiers, introduction d’actions judiciaires et administratives, etc.

Sur ce dernier point, la stratégie contentieuse des entreprises est susceptible d’être mise en œuvre à l’égard d’une grande diversité d’acteurs, tels que les contrefacteurs présumés, les intermédiaires (plateformes de e-commerce ou de réseaux sociaux), offices de propriété intellectuelle ou autorités douanières.

Outre les outils juridiques, une stratégie de protection efficace passe par une veille du marché, des tendances, des nouveaux entrants et de ses principaux concurrents, afin de se tenir informé des atteintes aux droits de propriété intellectuelle commises par les tiers, et y réagir dans un délai raisonnable.

Lexbase : Cette protection a-t-elle jusqu'ici été efficace concernant les marques de luxe ?

Pierre Perot et Camille Abba : Ces stratégies de protection, lorsqu’elles sont réfléchies, coordonnées et mises en œuvre de manière rapide en réaction à une atteinte constituent des outils efficaces pour assurer la protection des droits de propriété intellectuelle de l’entreprise.

Néanmoins, il convient de conserver à l’esprit que la portée des droits de propriété intellectuelle est limitée, ceux-ci étant par nature des exceptions au principe de liberté du commerce et de l’industrie, ce que la jurisprudence rappelle de manière régulière. Ainsi les tribunaux jugent-ils, par exemple, qu’en « l'absence de tout droit privatif, le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n'est pas fautif » [1].

En outre, si ces droits sont juridiquement efficaces et opposables vis-à-vis des tiers, leur mise en œuvre, notamment sur le plan contentieux, reste coûteuse et soumise à un aléa, notamment s’agissant de l’évaluation adaptée du préjudice subi, dans l’hypothèse de la reconnaissance d’une atteinte avérée.

Il est toutefois à noter l’effort des tribunaux dans le cadre de l’appréciation du préjudice aussi bien économique que moral, dans les affaires de contrefaçon, mais également en matière de concurrence déloyale et de parasitisme où la Cour de cassation permet désormais d’évaluer les dommages et intérêts de la victime d’un acte déloyal à la lumière de l’avantage indu retiré par l’acteur de l’acte.

Lexbase : Les méthodes de contrefaçon ont-elles évolué récemment ?

Pierre Perot et Camille Abba : De tous temps, les pratiques des contrefacteurs se sont adaptées aux stratégies de protection des entreprises, ainsi qu’aux demandes des consommateurs. Les vulgaires copies à l’identique de piètre qualité, désormais connotées négativement, tendent à devenir un phénomène résiduel.

La tendance récente était marquée par l’avènement des « dupes », encore très présents, qui s’inspirent des caractéristiques de produits authentiques de marques de luxe et des codes de ces maisons ; cette pratique vise à donner accès à un public, généralement jeune, les codes du luxe à bas prix, sans chercher à se faire passer pour la marque elle-même (laquelle n’est pas reproduite sur le produit).

Dans la lignée de cette tendance, avec l’apparition des « Pingti » (« leurre », en mandarin), les contrefacteurs visent désormais une population plus aisée, plus sensible à la qualité du produit, outre l’attrait de la reprise des codes et de l’ADN de la marque copiée. En effet, ce phénomène se distingue par le recours à des matières de qualité équivalente aux produits authentiques, en ayant parfois recours aux mêmes que les grandes maisons de luxe.

Selon les articles publiés à ce sujet, la popularité des « Pingti » semble croissante en Asie, à tel point que des consommateurs du luxe s’y convertissent, ce qui interpelle les titulaires de droit.

Outre ces phénomènes, qui visent à contourner les droits de propriété intellectuelle, on constate que des contrefacteurs aguerris ont compris que l’enregistrement de titres pouvait être un outil pour eux. On a ainsi pu constater auprès des offices une hausse de dépôts frauduleux (de marques ou de dessins et modèles notamment), afin de faire enregistrer de véritables contrefaçons et leur conférer un semblant de légitimité juridique.

Lexbase : Le phénomène des « Pingti » est-il considéré comme véritablement inquiétant pour les grandes maisons ?

Pierre Perot et Camille Abba : S’il existe une inquiétude causée par les « Pingti », en raison du détournement de clientèle potentiel et du préjudice commercial qui peut en résulter, les entreprises ne sont néanmoins pas dépourvues de toute voie d’action pour contrer de telles copies.

Certes, les enregistrements de marques sont inefficaces dès lors que ces « Pingti » n’y font pas référence, tout comme les dupes. Il reste possible d’agir à l’encontre de l’auteur des actes sur le fondement du droit d’auteur dès lors que les caractéristiques essentielles de forme d’un produit authentique sont reprises, à les supposer bien entendu originales.

Dans le cas où les entreprises ont mis en place une stratégie de dépôts de dessins et modèles (nationaux ou communautaires) pour protéger l'apparence de leurs produits, ce fondement pourrait également être pertinent pour lutter contre de telles copies.

En outre, la voie de la concurrence déloyale et parasitaire peut être utilisée, devant le tribunal de commerce, afin de sanctionner la recherche du risque de confusion ou la volonté de se placer dans le sillage du produit authentique et de la marque copiée.

En tout état de cause, le phénomène doit être relativisé, en raison du pouvoir d’attraction des marques de luxe, qui reste fort auprès de leur clientèle, ainsi que de la localisation principale de ce comportement nouveau, qui semble pour l’instant principalement focalisé sur le territoire asiatique et peu présent en Europe.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


[1] Cass. com., 9 juin 2004, n° 03-10.136, F-D N° Lexbase : A6247DCD.

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