Réf. : Cass. com., 5 février 2025, n° 23-22.380, F-B N° Lexbase : A60606TM
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)
le 19 Février 2025
Mots-clés : déclaration des créances • créancier public • redressement fiscal • demande d’admission à titre définitif de la créance • délai de conversion de l’admission à titre provisionnel en admission à titre définitif • délai aligné sur le dépôt de compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire • distinction selon que la procédure de redressement fiscal a commencé avant ou après le jugement d’ouverture (non)
L'article L. 622-24, alinéa 4 du Code de commerce, qui permet au Trésor public de faire admettre à titre définitif sa créance, en cas de procédure administrative d’établissement de l’impôt, jusqu’au dépôt du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire, n'exige pas que la procédure administrative d'établissement de l'impôt ait été engagée avant le jugement d'ouverture de la procédure collective.
On sait que les créanciers publics connaissent des règles particulières de déclaration de leur créance. Ils ont le droit, mais aussi et surtout, l’obligation de procéder en deux temps lorsque leurs créances ne sont pas au jour de leur déclaration, couverte par un titre exécutoire. En ce cas, ils doivent, dans le délai ouvert à tout créancier, déclarer leur créance à titre provisionnel. Ces créances sont alors systématiquement admises de plein droit, à titre provisionnel, par le juge-commissaire. Cela n’ouvre en réalité aucun droit aux créanciers publics, si ce n’est celui d’éviter la forclusion de leur déclaration à titre provisionnel et de pouvoir, dans un second temps, transformer leur admission à titre provisionnel en une admission à titre définitif.
Pour cela, ils doivent liquider leur créance, se délivrer à eux-mêmes, grâce aux privilèges préalables, qui détermine au demeurant le domaine d’application de la déclaration provisionnelle, le titre exécutoire, et solliciter leur admission à titre définitif, c’est-à-dire selon l’expression de la pratique, passer du provisionnel au définitif. Et pour cela, ils sont enfermés dans des délais.
Le principe est simple et imposé par l’article L. 624-1 du Code commerce N° Lexbase : L7294IZ8 : « Dans le délai fixé par le tribunal, le mandataire judiciaire établit, après avoir sollicité les observations du débiteur, la liste des créances déclarées avec ses propositions d'admission, de rejet ou de renvoi devant la juridiction compétente. Il transmet cette liste au juge-commissaire ». Ainsi, il appartient au tribunal de fixer, dans le jugement d’ouverture, le délai imparti au mandataire judiciaire – la règle vaut évidemment pour le liquidateur – pour établir la liste des créances déclarées avec ses observations, autrement dit de vérifier le passif.
Or, ce délai de vérification du passif est aussi le délai imparti au créancier public pour passer du provisionnel au définitif. C’est ce qu’indique l’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4 : « Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 624-1 ».
Ce délai n’est pas susceptible d’allongement, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), contrairement à la solution retenue sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW, et plus précisément de l’article 72 du décret du 27 décembre 1985 (décret n° 85-1388 N° Lexbase : L9117AGR, décret d’application de la loi du 25 janvier, qui prévoyait une possibilité pour le créancier public de demander l’allongement du délai pour solliciter l’admission à titre définitif d’une créance déclarée à titre provisionnel [1].
Toutefois, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, les choses ne sont pas aussi claires. En effet, il faut tenir compte de la possibilité pour le liquidateur de solliciter la reprise de la procédure, une fois le délai de l’article L. 624-1 du Code de commerce expiré, lorsque cette reprise apparaît utile. Selon l’alinéa 3 de l’article L. 641-4 du code N° Lexbase : L3692MBD, « lorsqu’il apparaît nécessaire de reprendre la vérification des créances, le juge-commissaire fixe pour y procéder un délai supplémentaire qui ne peut excéder six mois ».
En pratique, c’est le cas lorsque le liquidateur est contraint de devoir utiliser la passerelle pour passer d’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à une procédure de liquidation judiciaire du régime général. Le liquidateur ne vérifie en effet que les seules créances susceptibles de venir en rang utile, dans la liquidation judiciaire simplifiée, alors que si l’on bascule dans la liquidation judiciaire du régime général, le liquidateur aura l’obligation de vérifier toutes les créances privilégiées.
C’est également le cas lorsque le liquidateur s’aperçoit que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif doit être diligentée contre le dirigeant social ou, désormais, contre l’entrepreneur individuel. Alors qu’il avait été dispensé de vérifier le passif chirographaire, dès lors qu’il apparaissait que le produit de la réalisation des actifs serait entièrement absorbé par les créanciers privilégiés, il est préférable, pour le liquidateur, de vérifier tout le passif, et par conséquent le passif chirographaire, s’il veut caractériser une insuffisance d’actif correspondant à l’exact trou creusé par le dirigeant social, selon le cas, par entrepreneur individuel , ce qui va lui permettre de demander une indemnisation supérieure à la personne recherchée en comblement de l’insuffisance d’actif.
Or, lorsque le liquidateur obtient du juge-commissaire une autorisation de reprise des opérations de vérification du passif, il en résulte mécaniquement l’allongement du délai de l’article L. 624-1. Le texte de l’alinéa 3 de l’article L. 641-4 du code indique en effet que « la fixation de ce délai a les mêmes conséquences que celles prévues à l’article L. 624-1 ». Cela signifie en que le délai de conversion de l’admission provisionnelle d’une créance publique en une admission à titre définitif se trouve, à due concurrence, allongé.
Sous cette réserve, si dans le délai de l’article L. 624-1 du Code de commerce, le créancier public n’a pas demandé l’admission à titre définitif de sa créance, il est forclos.
Toutefois, cette solution est écartée dans certaines hypothèses, et c’est l’une d’elles qui nous intéresse plus spécialement dans le présent arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
En l’espèce, la société Flow Control Technologies a été mise en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaires, la société MJA étant désignée en qualité de liquidateur. Le 12 décembre 2019, le comptable public, responsable du pôle de recouvrement spécialisé du Tarn (le comptable public) a déclaré une créance fiscale d'un montant de 1 230 000 euros à titre privilégié et provisionnel au titre de l'impôt sur les sociétés, de la taxe sur la valeur ajoutée, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la cotisation foncière des entreprises pour les années 2017, 2018 et 2019.
Une procédure de vérification de comptabilité a été diligentée et a abouti à l'envoi, le 8 juin 2021, d'une proposition de rectification au titre de la taxe sur valeur ajoutée et de l'impôt sur les sociétés pour les années 2017 et 2018. Le 3 novembre 2021, le comptable public a adressé une requête aux fins d'admission de ses créances à titre privilégié et définitif à hauteur de 911 781 euros.
Le liquidateur fait grief à l'arrêt [2] d'admettre au passif la créance fiscale déclarée par le comptable public, alors « que le créancier public ne peut bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de sa créance fiscale à titre définitif au jour du dépôt au greffe du compte rendu de mission par le mandataire judiciaire que si une procédure administrative d'établissement de l'impôt a été mise en œuvre avant le jugement d'ouverture ; que pour admettre la créance fiscale à titre définitif, la cour d'appel a jugé que la procédure de vérification de la comptabilité de la débitrice mise en œuvre après le jugement avait pu proroger le délai de déclaration de la créance à titre définitif au jour du dépôt au greffe du compte rendu de mission par le mandataire judiciaire ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 622-24 du Code de commerce en sa rédaction applicable en l'espèce. »
La Cour de cassation va rejeter le pourvoi en jugeant que la cour d’appel a « énoncé à bon droit que l'article L. 622-24, alinéa 4, du Code de commerce n'exige pas que la procédure administrative d'établissement de l'impôt ait été engagée avant le jugement d'ouverture de la procédure collective et relevé que le comptable public avait mis en œuvre une procédure de vérification de comptabilité à l'encontre de la société Flow Control Technologies ayant abouti à des rectifications non contestées en matière d'impôts sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, l'arrêt retient exactement que ce dernier bénéficie, quand bien même cette mise en œuvre a été postérieure au jugement d'ouverture, du délai allongé prévu par le texte précité, qui expirait au jour du dépôt par le liquidateur de son compte-rendu de fin de mission au greffe ».
Pour comprendre la solution posée, il faut d’abord reproduire une partie des dispositions de l’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce. Selon ce texte, « si une procédure de contrôle ou de rectification de l'impôt a été engagée, l'établissement définitif des créances qui en font l'objet doit être réalisé avant le dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. Le délai de cet établissement définitif est suspendu par la saisine de l'une des commissions mentionnées à l'article L. 59 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L8958MCR jusqu'à la date de réception par le contribuable ou son représentant de l'avis de cette commission ou celle d'un désistement ».
Ainsi, lorsqu’il est question d’une procédure de redressement fiscal, le délai imparti au Trésor public pour passer d’une déclaration à titre provisionnel à une demande d’admission à titre définitif se trouve prolongé. Il n’expire plus au jour de la fin du délai de vérification des créances, mais au jour du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire ou du liquidateur.
La jurisprudence a eu à préciser que cet allongement de délai du passage du provisionnel au définitif ne concerne que le cas de la procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt. Si tel n’est pas le cas, le dispositif est inapplicable et le créancier fiscal sera forclos faute d’avoir déclaré à titre définitif, dans le délai imparti par le tribunal, dans le jugement d’ouverture de la procédure collective, au mandataire judiciaire ou au liquidateur pour établir la liste des créances vérifiées avec ses propositions d’admission ou de rejet. La solution a été posée dans une espèce où il n’était pas question d’une procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt, mais qu’il s’agissait seulement de la détermination du calcul et de l’assiette de l’impôt [3] . Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation qui a jugé que «le nouveau délai introduit à l’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce […] autorisant l’établissement définitif des créances fiscales jusqu’au dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire, lorsqu’une procédure administrative d’établissement de l’impôt a été mise en œuvre, a pour finalité de prolonger le délai de déclaration définitive de la créance fiscale dans le seul cas d’engagement d’une procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt » [4].
Par conséquent, poursuit la Cour de cassation, s’il n’est question que de détermination de l’assiette de l’impôt et du calcul de son montant, ce délai est sans application, de sorte que le créancier fiscal ne respecte pas le délai imparti par le tribunal dans le jugement ouvrant la procédure collective.
Mais, dès lors qu’il est bien question, comme en l’espèce, d’une procédure de contrôle ou de rectification de l’impôt, autrement dit d’une procédure de redressement fiscal, l’allongement du délai pour passer du provisionnel au définitif profite au créancier public.
L’examen du texte de l’alinéa 4 de l’article L. 622-24 du Code de commerce permet de se rendre compte qu’il ne distingue pas selon que la procédure administrative d'établissement de l'impôt a été engagée avant ou depuis le jugement d'ouverture de la procédure collective. Par conséquent, l’interprète n’a pas davantage à distinguer. Cela conduit logiquement la Cour de cassation à rejeter le pourvoi prétendant que l’allongement du délai de l’article L. 624-1 postulerait que la procédure d’établissement de l’impôt ait été impérativement engagée avant le jugement d’ouverture.
Le rejet du pourvoi s’imposait donc.
On précisera, pour terminer, que le décret n° 2014-736 du 30 juin 2014 N° Lexbase : L5913I3E a complété le dispositif en prévoyant que « lorsque le mandataire judiciaire a été informé de la mise en œuvre d’une procédure administrative d’établissement de l’impôt, il en informe les comptables publics compétents par lettre recommandée avec demande d’avis de réception quinze jours au moins avant la date de ce dépôt » (C. com., art. R. 626-39, al. 2 N° Lexbase : L6273I3Q [5]). La solution est reproduite en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 643-19, al. 2 N° Lexbase : L6323I3L [6]).
Ainsi, le mandataire judiciaire qui prévoit de déposer son compte rendu de fin de mission doit anticiper de 15 jours ce dépôt, afin d’avertir les comptables publics qu’il leur reste 15 jours pour procéder à la déclaration à titre définitif de leur créance. À défaut de cet avertissement, la forclusion ne peut être encourue par le Trésor public [7].
[1] Sur la question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10ème éd., 2021/2022, n° 671.113.
[2] CA Paris, 5, 9, 14 septembre 2023, n° 22/10578 N° Lexbase : A49971MZ.
[3] CA Toulouse, 13 avril 2016, n° 15/05695 N° Lexbase : A6138RCC, Act. proc. coll., 2016/10, comm. 134, note F. Petit.
[4] Cass. com., 25 octobre 2017, n° 16-18.938, F-P+B+I N° Lexbase : A6299WW9 , Gaz. pal., 16 janvier 2018, no 2, 74, note P.-M. Le Corre; Rev. sociétés, 2017, 738, note L.-C. Henry ; BJE, 2018, 51, note G. Dedeurwaerder ; Act. proc., coll. 2017, comm. 299, note Lamulle; RTD com., 2018, 190, n° 2, note A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., septembre/octobre 2018, comm. 167, note R. Vabres ; P.-M. Le Corre, in Chron., novembre 2017, n° 530 N° Lexbase : N1279BXN.
[5] Rédaction issue du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, art. 62.
[6] Rédaction issue du décret n° 2014-736 du 30 juin 2014, art. 106.
[7] Cass. com., 2 février 2022, n° 20-16.985, FS-B N° Lexbase : A14127LU, D., 2022, chron. p. 1675, note F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2022/4, comm. 47, note B. Ghandour ; JCP E, 2022, Chron, 1163, n° 4, obs. A. Tehrani ; BJE, mai/juin 2022, BJE200p0, note G. Dedeurwaerder ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, février 2022, n° 705 N° Lexbase : A14127LU.
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