Réf. : Cass. com., 27 novembre 2024, n° 23-14.208, F-D N° Lexbase : A69526KP
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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre
le 20 Décembre 2024
Mots-clés : commissaire aux comptes • action en responsabilité • prescription • point de départ • procédure collective
La prescription triennale de l'action en responsabilité exercée contre un commissaire aux comptes court à compter du fait dommageable, lequel ne peut résulter que de la certification des comptes à laquelle il a procédé, l'ouverture d'une procédure collective étant sans effet sur le point de départ de la prescription. Par ailleurs, ce n'est que lorsque le commissaire aux comptes a eu la volonté de dissimuler des faits dont il a eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes que la prescription court à compter de la révélation du fait dommageable.
1. Rappel du cadre légal de la prescription de l’action en responsabilité civile du CAC. Le commissaire aux comptes (CAC) voit la prescription relative à l’action en responsabilité civile dont il est la cible définie par renvoi à une disposition relative aux dirigeants de la SA à conseil d’administration [1], l’article L. 225-254 du Code de commerce N° Lexbase : L6125AIP, aux termes duquel « l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié [de] crime, l'action se prescrit par dix ans ». Aux termes de cette disposition, le point de départ est donc le fait dommageable engageant la responsabilité civile du CAC, le report de ce point de départ étant toutefois possible dans l’hypothèse où le fait dommageable a été dissimulé.
2. Présentation de la décision et du litige. L’arrêt rendu le 27 novembre 2024 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, non publié au Bulletin, concernait une société ITNF qui avait eu pour commissaire aux comptes, à compter de 2011, la société HCA, au sein de laquelle exerçait M. [O]. Le 8 août 2018, ITNF se voyait placée en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire le 8 octobre suivant. Un rapport d'expertise comptable privé, dressé en mai 2018, avait révélé une « possible insincérité des comptes sociaux pour les exercices 2014 à 2016 », selon les termes de l’arrêt. Une expertise judiciaire était ordonnée en conséquence le 25 septembre 2018. Quelques semaines auparavant, le 6 septembre 2018, la société HCA, qui avait certifié en dernier lieu l'exercice 2016, le 23 juin 2017, avait adressé un signalement au procureur de la République. Près de trois ans après l’ouverture du redressement judiciaire, précisément le 3 août 2021, le liquidateur judiciaire assignait la société HCA et M. [O] en responsabilité civile professionnelle. Son action était cependant déclarée prescrite, ce qui le conduisait à former un pourvoi en cassation, qui est rejeté par la décision commentée. La Cour de cassation rappelle à cette occasion quatre éléments de solution distincts.
3. (1) Point de départ : le jour du fait dommageable. Le texte de l’article L. 225-254 du Code de commerce est clair sur ce point et fait démarrer la prescription triennale au jour du fait dommageable. Le demandeur au pourvoi plaidait cependant que le point de départ devait être situé au « jour où le fait dommageable a pu être constaté dans des conditions permettant à la victime d'exercer l'action en responsabilité », ce qui ne convainc pas la Cour de cassation. La jurisprudence a parfois été tentée de retarder le point de départ de la prescription à une date à laquelle la victime se trouvait effectivement en mesure d’agir. Cette solution, autrefois retenue en matière de CAC [2], l’est encore s’agissant de mettre en cause la responsabilité civile d’un expert-comptable [3]. Mais au-delà de la lettre claire de l’article L. 225-254, plusieurs arrêts de la Cour de cassation l’ont depuis longtemps écartée à propos de la responsabilité des CAC [4]. Disons-le néanmoins : le point de départ retenu, associé à la prescription triennale, contribue sans doute à rendre peu fréquent l’exercice de l’action en responsabilité visant le CAC.
4. (2) Jour du fait dommageable : la certification des comptes. La décision commentée, après avoir rappelé la nécessité de constater le fait dommageable engageant la responsabilité du CAC, juge que ce fait « ne peut résulter que de la certification des comptes à laquelle il a procédé ». La formule, déjà présente dans des décisions antérieures [5], est excessivement restrictive en ce qu’elle semble exclure à la lettre que le CAC puisse engager sa responsabilité autrement qu’en procédant à la certification des comptes. Or, il existe de nombreuses autres hypothèses de fait dommageable – que l’on pense simplement à l’exercice tardif du devoir d’alerte du CAC. Disons que la formule retenue a toutefois le mérite d’exprimer une solution claire dans l’hypothèse – sans doute la plus fréquente en pratique – où la responsabilité de l’auditeur légal est recherchée sur le fondement d’une allégation de négligence ayant conduit à une certification sans qu’il ait interrogé davantage la société contrôlée. Elle est aussi favorable au CAC, en ce qu’elle suppose que le fait que la certification soit viciée par des fautes de négligence devrait apparaître par principe aux victimes éventuelles de ces fautes au jour même de la certification…
5. (3) Absence d’incidence de la procédure collective sur la prescription. Le liquidateur judiciaire, demandeur au pourvoi, plaidait que les juges du fond auraient dû rechercher si le point de départ de la prescription au 27 juin 2017 pouvait être opposé à la collectivité des créanciers, représentée par lui, alors que sa désignation était postérieure. Il invoquait notamment une violation du principe contra non valentem... Mais ainsi qu’elle l’avait déjà jugé à propos de la même question [6], la Cour affirme à nouveau que « l'ouverture d'une procédure collective [est] sans effet sur le point de départ de la prescription ».
6. (4) Report possible du point de départ uniquement en cas de dissimulation. La Cour de cassation juge enfin que « ce n'est que lorsque le commissaire aux comptes a eu la volonté de dissimuler des faits dont il a eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes [que la prescription] court à compter de la révélation du fait dommageable ». Là encore, on retrouve une solution déjà affirmée antérieurement, la qualification de dissimulation supposant que soit établie la volonté du CAC de cacher des irrégularités [7]. En l’absence d’une telle volonté, la prise de connaissance tardive du fait dommageable n’affecte pas le jeu de la prescription et n’en reporte pas le point de départ. Dit autrement, la « révélation du fait dommageable » à la date de laquelle peut être retardé le point de départ de la prescription, suppose d’établir de la part du CAC, et de lui seul [8], une volonté de dissimulation ; cette révélation ne se confond pas avec une simple prise.
[1] C. com., art. L. 821-38 N° Lexbase : L5473MKW, actuellement applicable. Avant l’ordonnance n° 2023-1142, du 6 décembre 2023 N° Lexbase : L5068MKW, le texte était l’article L. 822-18 du Code de commerce N° Lexbase : L5452MK7.
[2] V. ainsi Cass. com., 3 juillet 1984, n° 82-13.330, publié au Bulletin N° Lexbase : A3759AGC : Rev. sociétés, 1985, p. 422, note B. Bouloc.
[3] Cass. civ. 1, 29 juin 2022, n° 21-10.720, F-B N° Lexbase : A859778W, fixant la date de réalisation du dommage au jour du rejet définitif du recours exercé par le client ayant subi un redressement fiscal – Cass. com., 6 juillet 2022, n° 20-15.190, F-D N° Lexbase : A50498AA : Rev. sociétés, 2022, p. 684, note Th. Bonneau.
[4] V. ainsi Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié N° Lexbase : A4831A4P : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 267, note J.-F. Barbièri – Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B N° Lexbase : A2053DUL – CA Paris, 9 novembre 2007, RTD com., 2008, p. 138, obs. P. Le Cannu et B. Dondero.
[5] Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié, préc. – Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B, préc.
[6] Cass. com., 13 février 2007, n° 03-13.577, F-P+B, préc.
[7] Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-21.553, publié, préc. – Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-17.382 N° Lexbase : A0205DL8 : Dr. sociétés, 2006, comm. n° 59, note H. Hovasse.
[8] Il avait été précisé que la dissimulation commise par le dirigeant ne permet pas le report du point de départ de la prescription s’il n’est pas établi que le CAC avait eu « la volonté de cacher des faits dont il aurait eu connaissance par la certification des comptes » (Cass. com., 14 février 2006, n° 04-11.969, F-D N° Lexbase : A9810DMB : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 897, note J.-F. Barbièri).
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