Le Quotidien du 20 décembre 2024 : Baux d'habitation

[Jurisprudence] Location meublée et contrat d’adhésion : attention aux clauses abusives entre particuliers !

Réf. : TJ Bonneville, 18 septembre 2024, n° 22/00781 N° Lexbase : A99216B3

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N1171B3R

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par Julien Laurent, Professeur à l'Université de Toulouse Capitole, Agrégé des facultés, Centre IEJUC

le 19 Décembre 2024

Mots-clés : location meublée saisonnière • clauses abusives • contrat d’adhésion • limitation du nombre d’occupants • visite au domicile • ménage • état des lieux • acceptation sans réserve • domotique • visite du propriétaire • préjudice de jouissance • atteinte à la vie privée • dispositif anti-abus

Sont jugées abusives et dès lors réputées non écrites, les clauses suivantes d’un contrat de bail meublé saisonnier, qualifié de contrat d’adhésion :

  • la clause limitant le nombre de personnes qui peuvent être hébergées par les locataires et qui donne arbitrairement la possibilité aux propriétaires d’accepter ou de refuser des couchages supplémentaires ;
  • la clause interdisant aux locataires toute visite au domicile qu’ils ont loué ;
  • la clause imposant une servitude de ménage sans possibilité de refus et à des horaires non aménageables, ni négociables ;
  • la clause d’état des lieux imposant aux locataires d’accepter « sans réserve », avant la prise de possession de la location et sans possibilité de vérification, l’état des lieux communiqué par le propriétaire ;
  • la clause interdisant l’accès général à la domotique ;
  • la clause imposant aux locataires d’accepter la visite du propriétaire, sans aucun motif, sans possibilité de refus, sans préavis, ni limitation de fréquence.

 

C’est une affaire peu courante – nous l’espérons – que rapporte ce jugement du tribunal judiciaire de Bonneville, à propos d’une location meublée de chalet, qui démontre l’utilité du dispositif de lutte, en droit commun, contre les clauses abusives, tel qu’il résulte des articles 1110 N° Lexbase : L1974LKC et 1171 N° Lexbase : L1981LKL du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK (et de la loi de ratification du 18 avril 2018 N° Lexbase : L0250LKH).

En l’espèce, un couple avait loué à une famille de vacanciers, durant les congés d’hiver, par contrat de bail meublé saisonnier, un chalet en Savoie. Le litige concernait principalement – entre autres reproches – l’application d’une clause du contrat interdisant la présence de « tout visiteur » et de « toute personne supplémentaire » sans l’accord du bailleur, pendant la durée du séjour, sous peine de « rupture immédiate du contrat ». Or, les locataires avaient invité, pour fêter le réveillon, notamment leurs parents, déclenchant l’ire du bailleur et, en cascade, toute une série de clauses du contrat dont celle de résiliation immédiate. Le problème était que les bailleurs avaient été alertés sur la présence des intrus via le système de surveillance dont ils s’étaient servis, photographies à l’appui, pour espionner les locataires et leurs invités…

Sur quoi les locataires assignèrent les bailleurs, pour diverses demandes et préjudices. Outre l’atteinte à leur vie privée (incontestable et d’ailleurs condamnée par le tribunal) et quelques manquements contractuels plus véniels (arrivée en retard du bailleur lors du check-out, restitution de la « caution »), la principale demande concernait la neutralisation de toute une série de clauses contractuelles, relativement usuelles, dont celle sur les visiteurs et invités, sur lesquelles l’attention du tribunal devait se porter : étaient-elles des clauses abusives ou non ?

Droit applicable. Une première question concernait le texte applicable : le contrat de location meublée relevait-il du droit commun du contrat d’adhésion, issu du Code civil, ou de l’article L. 212-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B ? On se souvient, en effet, que, depuis un important arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation considère qu'« il ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant ladite ordonnance, que l'intention du législateur était que l'article 1171 du Code civil, qui régit le droit commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du Code de commerce N° Lexbase : L0496LQG et L. 212-1 du Code de la consommation » [1]. Autrement dit, ce n’est qu’à la condition que le contrat ne relève pas des dispositions spéciales du Code de commerce ou du Code de la consommation sur le déséquilibre significatif, qu’il sera soumis à l'article 1171 du Code civil.

En l’espèce, le tribunal rappelle qu’aux termes de l’article liminaire du Code de la consommation N° Lexbase : Z64063WK, est un professionnel « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ». Il rappelle en outre que les loueurs en meublé professionnel (LMP) bénéficient d'un régime particulier, prévu à l'article 155, IV, 2° N° Lexbase : L6174LU9 du Code général des impôts, qui fixe trois conditions pour leur conférer cette qualité :

  • l'inscription de l'un des propriétaires au RCS ;
  • des recettes provenant de l'activité de location supérieures à 23 000 euros ;
  • des recettes excédant les revenus nets professionnels du foyer fiscal, pour en déduire que les bailleurs n’avaient pas la qualité de professionnels. Quoi qu’il en soit, la qualification de potentiel contrat d’adhésion (c’est-à-dire relevant du domaine de l’article 1110 N° Lexbase : L1974LKC du Code civil) doit être approuvée ; au demeurant, c’est précisément le contrat type Airbnb que le Gouvernement avait donné en exemple en introduisant le dispositif.

Qualification de contrat d’adhésion. Aux termes de l’article 1110 du Code civil « Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. ».

S’agissant des deux critères exigés par la loi de la détermination à l’avance et du caractère non négociable, pour le tribunal, résultait « clairement » de la mention selon laquelle : « le locataire reconnaît avoir pris connaissance de toutes les conditions de ce contrat ferme et définitif sans aucune clause d’annulation possible et de les accepter sans aucune réserve ni restriction avant de prendre contact pour réserver avec le propriétaire et ne pourra pas ensuite dire qu’il ne connaissait pas toutes les clauses en cas de litige ». Comme le relève d’ailleurs le jugement, on sait qu’il ne suffit pas que les clauses n’aient pas été négociées, il faut démontrer en outre qu’elles ne pouvaient pas l’être. Il est clair à ce titre que la formulation de « ferme et définitif » ainsi que celle précisant que le locataire est tenu d’« accepter sans aucune réserve ni restriction avant de prendre contact [nous soulignons] » avec le propriétaire, peut être interprétée comme manifestant effectivement la volonté du bailleur donc de rendre « non négociables » un ensemble de (ou les) clauses du contrat, lesquelles étaient déterminées – ce point n’était pas discuté – à l’avance par le bailleur uniquement.

Clauses abusives. La qualification de contrat d’adhésion étant établie, il restait à examiner les clauses y figurant, pour vérifier si elles créaient, ou non, un déséquilibre significatif, au sens de l’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL. Deux éléments sont exigés : la clause visée doit faire partie de celles qui étaient non négociables ; et elle doit créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Toutes les clauses visées faisant partie d’un bloc non négociable, seul le second critère faisait débat.

L’expression de déséquilibre significatif, on le sait, est directement inspirée du droit de la consommation. Pour rappel, il ne peut porter, ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (C. civ., art. 1171, al. 2). L’équilibre financier du contrat (ici le prix) est donc hors contrôle. Le tribunal suit ici un examen, clause par clause, sans tenir compte de l’équilibre global du contrat comme cela avait été avancé par la doctrine [2]. Les critères sont en principe un défaut de réciprocité des droits, le caractère arbitraire des prérogatives octroyées ou encore des restrictions unilatérales imposées à l’adhérent.

En l’occurrence, on plonge dans la méthode du juge qui commence opportunément par rappeler l’objet du contrat de location : le fait que le locataire a le droit de jouir « paisiblement des lieux » et, ajoute le tribunal, dans le respect de « sa vie privée et familiale ». Plus précisément, on ajouterait volontiers que le contrat de location emporte, pour le bailleur, la garantie de la jouissance paisible du bien loué ; pour le locataire, le droit d’user de la chose louée raisonnablement suivant la destination donnée au bail (ici l’habitation). C’est donc à l’aune de ce « noyau dur » que le jugement entreprend de déterminer si les clauses visées créent un déséquilibre significatif. Le juge aura pu d’ailleurs peut-être s’inspirer – mutatis mutandis car il ne s’agit pas d’une résidence principale – de l’article 4 de la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH qui répute abusive toute une série de clauses dans le contrat de location d’habitation.

  • La principale clause litigieuse prévoyait que « que le prix du loyer charges compris, est fait en fonction du nombre de personnes (maximum 10 personnes) et donc que toute personne supplémentaire n’est pas autorisée sans l’accord des propriétaires sous peine de rupture immédiat(e) du contrat (...) et à quitter les lieux avec une somme forfaitaire à payer aux propriétaires d’un montant de six cents euros/pers./semaine. ».

Selon le tribunal, cette clause revenait à interdire à toute personne inconnue du bailleur ou encore non prévue sur le bail, de séjourner dans le chalet. Or, insiste le jugement, d’une part, le locataire est en droit de compter sur le nombre de couchages prévu (ici dix), peu important le nombre d’occupants indiqué lors de la réservation. D’autre part, le locataire qui a droit au respect de sa vie privée et qui est libre de jouir paisiblement des locaux loués est autorisé à en faire bénéficier toute personne susceptible de partager sa vie en raison de liens de parenté et d'alliance. Il en va de même, pour le même motif, de la clause prévoyant que « tout visiteur est interdit ». Cette disposition fait partie des prérogatives arbitraires et rappelle d’ailleurs, d’une part, la clause abusive visée à l’article 4, n°) de la loi du 6 juillet 1989 et d’autre part, celle à l’article 4, g°), qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d'inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d'une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l'obligation d'user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée.

Cette clause crée donc un déséquilibre significatif entre les parties et est donc réputée non écrite.

  • Une autre clause prévoyait : « ménage obligatoire quotidien, deux heures, tous les jours pour l’entretien de la location (ménage), en plus des heures d’entrée et de sortie. La femme de ménage peut changer d’horaire en fonction de son planning et les locataires ne peuvent pas imposer un horaire ni refuser sa venue ». Pour le tribunal, cette clause qui impose aux locataires un ménage quotidien, pendant deux heures, « alors même que la nécessité d’une telle prestation quotidienne n’est aucunement justifiée, ne saurait résulter du seul fait que le chalet est de grand standing et a été livré très récemment ou encore des seules exigences des bailleurs, à des horaires non négociables et variables, alors même que les locataires ont droit au respect de leur vie privée et familiale et qu’ils sont libres de jouir paisiblement des - locaux, créé un déséquilibre significatif entre les parties ».
  • De même, une autre clause prévoyait que « le preneur ne pourra s’opposer à la visite des locaux si le bailleur ou son mandataire en font la demande ».

Ces deux clauses contreviennent à la jouissance paisible du preneur (art. 1728 N° Lexbase : L9302I3W du Code civil) et porte atteinte à sa vie privée [3]. Leur caractère déséquilibré tient dans leur caractère unilatéral et arbitraire des visites (dans le choix des horaires) et rappellent la clause abusive visée à l’article 4, a°), de la loi du 6 juillet 1989.

  • Également la clause relative à l’état des lieux d’entrée : « inventaire des biens et état des lieux du chalet fournis en annexe et dont le locataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté sans réserve (prévenir immédiatement le propriétaire de toute casse afin qu’il fasse le nécessaire) et prendre la location en ordre très propre et sans aucune réserve ».

Cette clause crée à l’évidence un déséquilibre significatif entre les parties dès lors qu’elle revient pour le locataire à reconnaître qu’il a reçu le bien en parfait état, y compris pour des désordres qui seraient antérieurs à son occupation des locaux, est également réputée non écrite.

  • Enfin, les clauses qui interdisent de toucher aux systèmes de surveillance extérieure ainsi qu’à l’alarme et toute autre automatisme et domotique dans tout le chalet et à tous les appareils programmés, créent également un déséquilibre significatif entre les parties, s’agissant de l’interdiction, ne serait-ce que de moduler le chauffage à l’intérieur du chalet, les bailleurs n’ayant aucun droit d’imposer la température des lieux.

Le tribunal juge ainsi que les clauses suivantes créent un déséquilibre significatif et doivent, en application de l’article 1171, être réputées non écrites :

  • « le prix du loyer charges comprises, est fait en fonction du nombre de personnes (maximum 10 personnes) et donc que toute personne supplémentaire n’est pas autorisée sans l’accord des propriétaires sous peine de rupture immédiat(e) du contrat [...] et à quitter les lieux avec une somme forfaitaire à payer aux propriétaires d’un montant de six cent[s] euros/pers./semaine. » ;
  • « tout visiteur est interdit ».-« ménage obligatoire quotidien, deux heures, tous les jours pour l’entretien de la location (ménage), en plus des heures d’entrée et de sortie. La femme de ménage peut changer d’horaire en fonction de son planning et les locataires ne peuvent pas imposer un horaire ni refuser sa venue » ;
  • « inventaire des biens et état des lieux du chalet fournis en annexe et dont le locataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté sans réserve (prévenir immédiatement le propriétaire de toute casse afin qu’il fasse le nécessaire) et prendre la location en ordre très propre et sans aucune réserve » ;
  • « il est interdit de toucher aux systèmes de surveillance extérieure ainsi qu’à l’alarme et tout autre automatisme et domotique dans tout le chalet »,- « tous les appareils programmés ne doivent pas être touchés, en aucun cas, seul un professionnel peut le faire » ;
  • « le preneur ne pourra s’opposer à la visite des locaux si le bailleur ou son mandataire en font la demande ».

Les bailleurs sont en conséquence condamnés à indemniser tous les locataires de leur préjudice de jouissance (dû à la rupture précipitée du contrat) et tous les occupants de leur préjudice moral pour atteinte à leur vie privée.

Attention à la rédaction ! En conclusion, le jugement offre un panorama fort éclairant des clauses interdites en location qui évoque le dispositif anti-abus de la loi du 6 juillet 1989. Il rappelle utilement que les rédacteurs particuliers de contrat de location meublée doivent se garder de truffer leurs contrats de clauses qui, visant totalement à corseter la jouissance du preneur et à le mettre littéralement sous surveillance (l’atteinte à la vie privée des résidents était évidente), contredisent la jouissance que le bailleur s’oblige pourtant à concéder. Donner et retenir ne vaut en somme !

 

[1] Cass. com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782, F-B N° Lexbase : A52937KA : D. 2022. 539, note Tisseyre ; ibid. 725, obs. Ferrier ; ibid. Chron. C. cass. 1419, obs. Bellino; ibid. 2023. 254, obs. Boffa et Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. Barbier ; RDC 2022/2. 10, note Latina ; ibid. 16, note Stoffel-Munck ; ibid. 2022/2. 103, note Julien ; ibid. 144, note Gerry-Vernières; ibid. 2022/3. 89, note Balat.

[2] F. Terré, Y. Lequette, P. Simler, F. Chénedé, Les obligations, 13e éd., 2022, Dalloz, n° 474.

[3] Rapp. Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-18.081, FS-P+B N° Lexbase : A3761DBW : D. 2004. IR 853, avec les obs. ; ibid. Somm. 1631, obs. Caron ; ibid. 2005. Pan. 753, obs. Damas ; AJDI 2004. 370, obs. Rouquet ; Defrénois 2004. 1721, obs. Aubert ; Rev. loyers 2004. 291, obs. Rémy ; Administrer 3/2005. 34, obs. Canu; Loyers et copr. 2004, no 102, obs. Vial-Pedroletti.

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