La lettre juridique n°1004 du 28 novembre 2024 : Éditorial

[A la une] On ne peut plus rien dire

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par Dr Nicolas Catelan, Professeur associé, Université Sorbonne Abu Dhabi (SAFIR-CEDAG)

le 28 Novembre 2024

C’est connu, le temps est à la censure. Naguère et non jadis, on pouvait jouir du droit de dire ce que l’on pense (quitte à dire n’importe quoi). L’aletheia a toujours fonctionné ainsi de la Grèce à nos jours. Mais que voulez-vous il paraît que les temps ont changé.

Observons toutefois que dans les pays où on ne peut réellement rien dire, on ne peut même pas se plaindre de devoir se taire. Les temps ont certes changé mais sans doute dans le bon sens. Alors qu’il y a peu les pensées masculinistes décomplexées passaient comme lettres à la poste, celles-ci ne sont plus les bienvenues sauf évidemment sur le plateau rance de certaines chaînes de télévision délivrant micros et temps de parole à ceux qui, pauvres âmes égarées dans les méandres de la modernité, ne peuvent plus prononcer les mêmes outrances qu’auparavant.

Que cache maladroitement et dangereusement #notallmen ? Après #meetoo est arrivé le temps du procès Mazan qui met en lumière l’exceptionnel courage de Gisèle Pelicot et de l’autre côté l’indignité des accusés, hommes ordinaires, trop ordinaires pour cette fois-ci porter les masques du monstre. Et cette affaire de bousculer les hommes, le prototype de la masculinité forçant tout un chacun ou presque à regarder en face une production sociale qui a commencé il y a des générations et qui marque encore au fer rouge notre présent.

Si tous les hommes ne sont pas des violeurs il n’en demeure pas moins que quasi tous les violeurs sont des hommes et que les femmes ont raison de les craindre. Les chiffres sont têtus paraît-il. 98 % des personnes mises en cause en raison d’infractions sexuelles… sont de sexe masculin. Le déni pousse à ne pas regarder ces statistiques ou à les nier. Un fait social est pourtant là sous nos yeux avec une constance qui devrait nous ébranler : les violences de genre, physiques et sexuelles, se révèlent à nous, avec la couverture médiatique sans précédent de l’affaire Mazan : horreur des faits et ordinarité des profils se conjuguent pour pointer du doigt la racine du mal et sa banalité. Le temps permettra sans doute de tirer les leçons de ce qui se passe sous nos yeux. Pratiquer l’histoire à court terme est un exercice périlleux. Et sauf à avoir été particulièrement inattentif sur les bancs de la faculté, on sait que le droit a rarement devancé les évolutions sociétales. Toutefois, çà et là, des voix montent, chiffres et « affaires » à l’appui pour exiger non pas que l’impossible advienne mais que le nécessaire survienne. De la responsabilité juridique individuelle doit naître une responsabilité sociale et collective, un aggiornamento que les hommes doivent accepter et embrasser. Seule cette prise de conscience collective permettra d’amorcer le monde d’après. Car le déni que véhicule le mouvement #notallmem alimente inexorablement une inertie sordide et mortifère. Par-delà la sphère individuelle où se loge la responsabilité pénale, doit sourdre la responsabilité collective nourrie de nos aveuglements, de nos renoncements et de notre lâcheté quotidienne face à ce que chacun sait et que trop peu combattent.

Alors que le féminisme a heureusement progressé de toutes parts au point sans doute de laisser nombre d’hommes sans solution, c’est peut-être in fine la réflexion sur la masculinité qui permettra d’opérer un changement salutaire de civilisation. En interrogeant le fonctionnement de notre société dans sa lumière crue, nul doute que les juristes sauront trouver les outils à même d’accompagner la plus grande révolution sociale, celle dont nous avons éperdument besoin.

« Il faut entendre le grondement de la bataille ».

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