La lettre juridique n°1004 du 28 novembre 2024 : Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Agression sexuelle par surprise et état de sidération : un pas de plus vers la protection du consentement sexuel !

Réf. : Cass. crim., 11 septembre 2024, n° 23-86.657, F-B N° Lexbase : A53365YB

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N0783B3E

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par Pierre-François Laslier, Docteur en droit privé et sciences criminelles

le 27 Novembre 2024

Mots-clés : agression sexuelle • surprise • sidération • abus de faiblesse • consentement  

Le fait d’accomplir des attouchements sexuels sur une victime endormie, puis prise d’un état de sidération, est constitutif du délit d’agression sexuelle par surprise. En clair, le consentement sexuel ne peut être déduit du mutisme de la victime qui s’explique par son état de prostration. Bien au contraire, envisagée comme une situation de faiblesse, la sidération peut être juridiquement rattachée à l’adminicule de la surprise, attestant une fois de plus des potentialités répressives de cette notion.


 

1. « Prouvez-moi qu’elle n’était pas consentante ! Elle ne s’est pas défendue, ne s’est pas débattue, n’a pas crié… C’est donc qu’elle était consentante » [1]. Cette affirmation extraite d’une tribune publiée dans Le Monde par le Professeur Darsonville et François Lavallière, magistrat, est symptomatique de l’idée selon laquelle le mutisme de la victime dans un ébat sexuel induirait, sans l’ombre d’un doute, son consentement. Pourtant, cette situation est loin d’être une hypothèse de non-droit pénal étant donné qu’elle peut être constitutive d’un abus de faiblesse ou de vulnérabilité, susceptible d’être qualifiée de viol ou d’agression sexuelle par surprise. En témoigne l’arrêt rendu le 11 septembre 2024 par la Chambre criminelle qui retient que l’état de sidération de la victime, loin d’établir un consentement à l’acte sexuel, peut être source d’abus dès lors que l’agent en profite pour accomplir des attouchements, justifiant ainsi de recourir à la qualification d’agression sexuelle par surprise.

2. Les faits concernaient une personne qui s’était livrée à des attouchements sur les jambes, le sexe, la poitrine et le ventre de sa nièce alors qu’elle était endormie. Par la suite, cette dernière s’était réveillée et s’était aperçue que son oncle était en train de lui toucher le sexe. Elle était alors prise d’un état de sidération et, nonobstant cet élément, le prévenu poursuivait ses agissements. Pour cette raison, l’agent est poursuivi du chef d’agression sexuelle. 

3. Toutefois, dans un jugement du 18 novembre 2021, le tribunal correctionnel relaxe le prévenu des chefs de la poursuite. Le ministère public interjette appel de cette décision. Dans son arrêt en date du 14 novembre 2023, la cour d’appel de Rennes infirme le jugement et condamne le prévenu à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux ans assortis de sursis simple. Pour justifier leur décision, les juges d’appel s’appuient sur un certain nombre de circonstances établissant que les actes sexuels ont été accomplis avec surprise. Tout d’abord, ils rappellent que la partie civile était endormie au moment des faits et s’est réveillée alors que le prévenu était en train de lui toucher le sexe. Elle a dès lors été prise d’un état de sidération qui, selon elle, l’empêchait de bouger, de crier, « comme si son corps ne lui appartenait plus et ne répondait plus », expliquant ainsi qu’elle n’ait pas été en mesure de s’opposer à l’intéressé. Ensuite, la cour d’appel souligne que la partie civile a toujours soutenu ne jamais avoir consenti aux faits et que le prévenu entretenait avec elle un rapport d’ascendance, car il était son oncle ainsi que son aîné d’une vingtaine d’années. Les juges relèvent dès lors qu’il est pour le moins curieux que le prévenu ne se soit pas plus interrogé sur le mutisme de sa nièce. À l’appui de ces éléments, la cour d’appel caractérise le délit d’agression sexuelle au motif que le prévenu s’est livré à des attouchements sur la victime endormie, puis a poursuivi alors qu’elle se trouvait dans un état de sidération. 

4. Un pourvoi en cassation est formé, dont seul le premier moyen est examiné par la Cour de cassation. Selon ce moyen, pris de la violation de la loi, l’infraction d’agression sexuelle suppose d’établir la conscience chez l’agent de l’absence de consentement de la victime. Or, le demandeur soutient qu’il n’a légitimement pas pu déceler un consentement vicié en raison du mutisme total de la partie civile durant les faits. En outre, il s’appuie sur le fait que cette dernière était partie se coucher dans son lit et sur les déclarations de certains témoins selon lesquelles la jeune fille « avait peut-être une attirance pour lui ». Se prévalant d’une méprise sur les intentions de la partie civile, le demandeur fait dès lors grief à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si celui-ci avait véritablement eu conscience de l’absence de consentement de l’intéressée. Dès lors, il considère que la cour d’appel a privé sa décision de motifs, violant l’article 222-22 du Code pénal N° Lexbase : L2618L4Q

Dans son arrêt du 11 septembre 2024, la Chambre criminelle rejette toutefois l’argumentation développée par le pourvoi et confirme la décision de la cour d’appel, bien qu’elle la rectifie à quelques termes près. Au lieu de viser le défaut de consentement de la victime, comme l’avaient fait les juges du fond, la Cour de cassation s’attache plutôt aux actes de l’auteur constitutifs de la surprise [2]. S’appuyant sur les éléments de fait relatés par les juges du second degré, la chambre criminelle relève en effet que le prévenu s’est rendu coupable du délit d’agression sexuelle par surprise en procédant à des attouchements sur la victime alors que celle-ci était endormie, puis en poursuivant ses gestes qui ont créé chez elle un état de sidération. La Chambre criminelle confirme dès lors les motifs de la cour d’appel selon lesquels le prévenu ne peut se prévaloir de l’absence d’élément intentionnel étant donné qu’il a lui-même constaté l’état de sidération de la victime, établissant in fine sa connaissance du défaut de consentement de cette dernière. En somme, l’arrêt rendu est à la fois classique et inédit. Il est classique car, dans la continuité d’une jurisprudence constante, la Chambre criminelle s’appuie sur l’état de sommeil de la victime pour qualifier initialement l’agression sexuelle par surprise (I.). Mais il est également inédit étant donné qu’il qualifie, de façon supplétive, cette infraction en s’appuyant directement sur l’état de sidération de la victime (II.).

I. L’agression sexuelle par surprise qualifiée initialement par l’état de sommeil de la victime

6. Dans son arrêt, la Chambre criminelle ratifie la qualification d’agression sexuelle retenue par les juges du fond en relevant, qu’initialement, l’agent a accompli des attouchements sexuels sur la victime alors que celle-ci était endormie. L’atteinte sexuelle, constitutive du délit d’agression sexuelle, est donc caractérisée au vu des attouchements (A.) imposés à la victime endormie (B.).  

A. Une atteinte sexuelle caractérisée par des attouchements sexuels

7. Contact physique. - S’appuyant sur la motivation des juges d’appel, la Chambre criminelle relève tout d’abord que le prévenu a accompli des attouchements sur la victime, caractéristiques du délit d’agression sexuelle. L’article 222-22 du Code pénal dispose en effet que l’agression sexuelle est constituée par « toute atteinte sexuelle commise avec violence, menace, contrainte ou surprise ». Cela suppose dès lors d’établir l’existence d’un contact physique ou corporel entre l’auteur et la victime [3], relayé soit par un acte de pénétration – viol [4] – soit par des attouchements – autres agressions sexuelles [5]. Cette atteinte physique est ainsi envisagée comme un élément constitutif du délit d’agression sexuelle. Plus encore, ce contact corporel figure comme un élément qualifiant de cette infraction [6], puisqu’il permet de distinguer l’agression sexuelle d’autres infractions sexuelles commises en l’absence d’atteinte physique, telles que le harcèlement sexuel [7] ou l’exhibition sexuelle [8].

8. Contact sexuel. – Pour être constitutif du délit d’agression sexuelle, ce contact physique doit également présenter une charge sexuelle en ce qu’il doit être réalisé sur une partie sexuelle du corps de la victime, ou bien sur une partie non sexuelle dès lors que le contexte au sein duquel l’acte est réalisé présente lui-même une dimension lubrique [9]. Dans la présente décision, ces différentes conditions – une atteinte physique et sexuelle – sont relevées par les juges du fond et la Chambre criminelle. La Cour de cassation valide en effet l’arrêt d’appel en ce qu’il a considéré que le prévenu s’était « livré à des attouchements sur les jambes, le sexe, la poitrine et le ventre » [10] de la victime. Parce que des attouchements ont été accomplis sur des parties corporelles qui revêtent une dimension sexuelle, telles que le sexe ou la poitrine, aucun doute n’était alors de mise quant à l’existence d’une atteinte sexuelle constitutive du délit d’agression sexuelle. En réalité, l’enjeu de la présente décision se situe à un autre niveau, à savoir celui de la caractérisation d’une atteinte sexuelle imposée qui, en l’espèce, s’infère de la réalisation d’actes sexuels sur une victime endormie. 

B. Une atteinte sexuelle imposée au regard de l’état de sommeil de la victime

9. Absence de consentement et actes positifs. - Après avoir établi l’existence d’une atteinte corporelle, la Chambre criminelle constate ensuite que les actes sexuels ont été imposés à la victime puisque celle-ci était endormie. Cette précision fait écho à la seconde composante constitutive du délit d’agression sexuelle : l’absence de consentement de la victime à l’acte sexuel. Mais à la différence de certains droits étrangers, tels que le droit canadien [11] ou le droit belge, le législateur français ne fait pas de l’absence de consentement un élément constitutif à part entière du viol ou de l’agression sexuelle, bien que des propositions actuelles tentent d’y remédier [12]. Cette donnée subjective est en réalité objectivée par la démonstration d’actes positifs de l’auteur, regroupés sous la forme d’adminicules listés par l’article 222-22 du Code pénal, à savoir la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cette méthode législative se veut avant tout respectueuse de la prévisibilité de la norme pénale [13]. Elle fonde en effet la répression, non pas sur un élément subjectif négatif et source d’aléas – l’absence de consentement - mais sur le constat d’actes positifs aisément observables [14]. En premier lieu, la violence, la menace ou la contrainte permettent d’établir que le consentement de la victime a été forcé [15] car atteint dans sa liberté.

10. Surprise. – En second lieu, le consentement de la victime peut être atteint dans sa lucidité [16], en ce sens qu’il n’est pas donné en connaissance de cause. Sous cet angle, l’agression sexuelle est accomplie par voie de surprise. Dans la présente décision, c’est cet adminicule qui est retenu par les juges du fond et la Chambre criminelle puisqu’ils relèvent que le prévenu a agi par surprise « en procédant à des attouchements sur la victime alors que celle-ci était endormie ». 

11. Surprise et abus de faiblesse de la victime. - La surprise est ainsi caractérisée par le fait que l’agent a profité du sommeil de la victime pour accomplir sur cette dernière des actes sexuels. Le raisonnement ne saurait surprendre étant donné que la Chambre criminelle juge la surprise établie, en l’absence de toute manœuvre mensongère, par le simple « fait de profiter, en connaissance de cause, du sommeil d’une personne pour pratiquer sur elle des gestes à caractère sexuel comportant un contact corporel » [17]. Reste qu’une partie de la doctrine considère comme discutable le lien opéré entre l’abus de l’état de sommeil et l’hypothèse de la surprise. Selon eux, la situation mériterait davantage d’être analysée comme un cas de contrainte étant donné que la victime ne commet aucune erreur sur l’acte sexuel réalisé par l’agent ; elle ne s’en rend tout simplement pas compte en raison de son état de sommeil [18]. La critique n’est pas insurmontable dès lors que la surprise consiste à surprendre le consentement de la victime, de sorte qu’elle ne saurait se confondre avec la surprise exprimée par cette dernière [19]. Précisément, outre le recours à un stratagème trompeur [20], la surprise peut être caractérisée par l’abus de la situation de faiblesse ou de vulnérabilité de la victime [21], la privant ainsi de sa capacité à consentir à l’acte sexuel. Or, cette faiblesse peut résulter à la fois de facteurs permanents, tels que le handicap ou la minorité, ou de facteurs temporaires [22] à l’image de l’ivresse ou bien, et c’est le cœur de l’arrêt, du sommeil de la victime. Bref, la surprise réside ici dans l’exploitation de la faiblesse de la victime, due à son sommeil, pour réaliser à son insu des attouchements sexuels. La qualification de l’agression sexuelle par surprise ne prête dès lors nullement à discussion. Est en revanche inédit le fait pour la Chambre criminelle de caractériser supplétivement la surprise en raisonnant sur l’état de sidération de la victime, consécutif aux attouchements réalisés durant son sommeil.

II. L’agression sexuelle par surprise qualifiée supplétivement par l’état de sidération de la victime

12. Au-delà de l’état de sommeil de la victime, la Chambre criminelle retient que l’agression sexuelle par surprise est caractérisée du fait que l’agent a poursuivi ses agissements alors que la victime était en état de sidération, état qu’il a pu lui-même constater. La Cour de cassation déduit ainsi de cet élément sa connaissance du défaut de consentement de la victime. Inédit, l’arrêt l’est assurément en ce qu’il vise explicitement la notion de sidération pour établir à la fois la matérialité de l’agression sexuelle par surprise (A.) ainsi que son élément moral (B.). 

A. Sidération et matérialité de l’agression sexuelle par surprise 

13. En jugeant l’agression sexuelle établie par le fait que l’agent ait accompli des attouchements sur une victime en état de sidération, la Chambre criminelle réactive, une fois encore, les potentialités répressives de la notion de surprise. De façon négative d’abord puisque la Cour de cassation considère, logiquement, que le consentement ne saurait être déduit du mutisme ou du silence de la victime à un acte sexuel dès lors que cette passivité s’explique par son état de sidération. Positivement ensuite, elle retient que la sidération figure comme une circonstance de nature à paralyser le consentement sexuel de la victime, justifiant ainsi qu’elle soit rattachée à l’adminicule de la surprise. 

14. État de sidération et surprise. - Tirant son origine de la psychologie, la notion de sidération, lorsqu’elle est employée en matière de violences sexuelles, traduit l’idée d’une « effraction psychique » [23] ayant pour conséquence de paralyser la victime dans ses faits et gestes. Précisément, selon la littérature spécialisée en la matière, la sidération fonctionne comme un mécanisme cérébral de défense à partir duquel les personnes se trouvent « paralysées psychiquement et physiquement, pétrifiées, dans l’incapacité de réagir, de crier, de se défendre ou de fuir » [24]. La sidération place ainsi la personne dans un état de paralysie totale en réaction à une situation de stress extrême identifiée par l’amygdale cérébrale [25]. Bien que l’arrêt rattache cette hypothèse à un cas de surprise, il aurait également été envisageable d’analyser juridiquement cette circonstance comme un élément de la contrainte [26]. En cas de sidération, la victime n’est certes plus en état de consentir en connaissance de cause – consentement surpris – mais elle n’est également plus en état de le faire librement – consentement forcé. Le consentement sexuel est dès lors atteint à la fois dans sa lucidité et dans sa liberté. 

15. Abus de faiblesse. – Bien qu’elle puisse être assimilée à la contrainte, la sidération mérite toutefois davantage d’être rattachée à la surprise. Cet état plonge en effet la victime dans une profonde faiblesse, neutralisant ainsi sa pleine capacité à consentir. Dit autrement, la sidération est constitutive d’une situation de faiblesse, de sorte que l’accomplissement d’actes sexuels sur une personne, placée dans un tel état, s’apparente à un abus de faiblesse caractéristique de la surprise [27]. Tenant compte de l’état psychique de la victime, la surprise est ainsi appréciée concrètement par rapport à la vulnérabilité de la personne. Inédite en ce qu’elle recourt explicitement à la notion de sidération, l’interprétation demeure tout de même prévisible car elle coïncide, contrairement à l’avis de certains auteurs [28], à la définition pénale de la surprise. Preuve en est, la Chambre criminelle avait déjà pu considérer qu’était constitutif d’une agression sexuelle par surprise le fait d’accomplir des actes sexuels sur une victime en état de choc, prise d’un trouble paralysant, l’empêchant de protester et de s’enfuir [29].

16. Débat sur l’intégration de l’absence de consentement. – Cet arrêt permet d’ailleurs de réactiver en filigrane le débat actuel concernant l’intégration ou non de l’absence de consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles [30]. Pour rappel, ce débat a en partie été lancé par une mission d’information parlementaire [31], alimentée par quelques propositions de loi [32], qui puise ses origines dans certaines évolutions qui ont cours en droit européen, à l’image de celles initiées par l’article 5 d’une proposition de directive de l’Union européenne du 8 mars 2023 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique [33]. À suivre ces propositions, le viol ou l’agression sexuelle seraient caractérisés en cas d’atteinte sexuelle, réalisée par voie de pénétration ou d’attouchement, « sans consentement donné librement » [34] par la victime. L’objectif consiste notamment à dépasser le carcan, de prime abord rigide, imposé par les adminicules de la violence, menace, contrainte ou surprise, afin d’appréhender d’autres situations de contrainte susceptibles de neutraliser le consentement sexuel de la personne. Cependant, à la lumière de l’arrêt commenté, les bénéfices escomptés d’une telle réforme semblent bien maigres au vu des potentialités répressives de la notion de surprise. En effet, comme l’illustre la solution commentée et à rebours de certaines idées avancées, l’état actuel du droit pénal est parfaitement en mesure de réprimer, via la notion de surprise, l’hypothèse dans laquelle la personne est dans l’incapacité de réagir, « de se débattre et de dire non sous l’effet de la peur, par crainte de représailles ou par sidération psychique » [35]. À la lumière de cet arrêt, il n’est donc pas certain qu’une redéfinition des termes du viol ou de l’agression sexuelle orientée sur l’absence de consentement de la victime, s’impose, dès lors que la notion de surprise appréhende déjà l’abus de vulnérabilité de la victime [36]. En analysant l’état de sidération comme une source potentielle de la surprise, la Chambre criminelle retient ainsi une interprétation redoutable de cet adminicule et ce d’autant plus qu’elle emporte des implications notoires sur la caractérisation de l’élément moral de l’agression sexuelle. En effet, dès lors que l’état de sidération est constaté par l’agent, la Cour de cassation en déduit sa connaissance du défaut de consentement de la victime à l’acte sexuel. 

B. Sidération et intentionnalité de l’agression sexuelle par surprise

17. Fond. – Dès lors que l’agent a constaté l’état de sidération de la victime, la Chambre criminelle en déduit que celui-ci « a agi en toute connaissance du défaut de consentement de cette dernière » [37]. La formule suscite d’emblée deux remarques. Sur le fond, d’une part, elle subordonne la caractérisation de l’élément moral à la connaissance, par l’agent, de l’état de sidération de la victime. Le raisonnement doit être ratifié puisqu’il coïncide avec la définition de l’intention pénale en matière d’agression sexuelle. Parce qu’il figure comme « la projection intellectuelle de l’infraction » [38], l’élément moral de l’agression sexuelle puise sa définition dans la matérialité de ce délit. Or, étant donné que les adminicules de la violence, menace, contrainte et surprise, ont pour objet d’établir l’absence de consentement de la victime, l’illicéité de l’infraction consiste, sur le plan psychologique, en la prise de conscience du défaut de consentement de la victime [39]. En somme, comme l’explique le Professeur Conte, l’intention pénale de l’agression sexuelle réside dans la « volonté de porter atteinte à la liberté sexuelle d’autrui » [40]. Or, cette volonté pénale est acquise dès lors que l’agent a connaissance d’un trouble affectant la victime dans sa capacité à consentir à un acte sexuel. Tel est précisément le cas lorsque la victime est frappée d’un état de sidération que l’agent a lui-même constaté. Dans cette situation, l’agent ne peut donc se prévaloir, comme cela était soutenu par le pourvoi, du mutisme total de la victime pour affirmer qu’il n’avait pas conscience de son absence de consentement aux actes sexuels réalisés. 

18. Preuve. – D’autre part, encore faut-il néanmoins s’assurer que l’agent avait bel et bien connaissance de cet état de sidération, ce qui soulève des questionnements sur le plan de la preuve. Pour certains auteurs, la prise en compte de l’état de sidération s’inscrirait dans « un courant de subjectivisation du droit pénal » [41], soulevant à ce titre de nombreuses difficultés probatoires [42]. À vrai dire, il convient de distinguer deux situations qui n’emportent pas les mêmes complications en termes de preuve. La première est celle où l’état de sidération survient à la suite d’agissements sexuels réalisés avec violence, menace ou contrainte. En accomplissant de tels actes contraignants, l’auteur ne peut qu’avoir conscience que le silence consécutif de la victime s’explique vraisemblablement par sa prostration ou sa sidération. De ce point de vue, la connaissance de l’état sidération peut être déduite des actes de contrainte lato sensu réalisés antérieurement. La seconde situation concerne cette fois-ci le cas où l’état de sidération fait suite à des agissements sexuels réalisés avec surprise, à l’image d’un attouchement accompli de façon vive et impromptue sur la victime ou encore, d’attouchements accomplis durant son sommeil comme c’est le cas dans cet arrêt. Dans cette hypothèse, la preuve de la connaissance de l’état de sidération n’est pas non plus impossible à rapporter. Elle peut notamment résulter d’indices objectifs qui induisent de façon vraisemblable l’absence de consentement de la personne intéressée. En effet, le mutisme anormal de la victime, qui traduit un silence de son corps inapte à recevoir un acte sexuel, ne peut valablement être interprété par l’agent comme un signe de consentement.

 

[1] A. Darsonville et et F. Lavallière, Violences sexuelles : La France doit inscrire le consentement au cœur de l’infraction de viol, Le Monde, 22 novembre 2023 [en ligne]. 

[2] Sur cette substitution de motivation, v. J.-C. Saint-Pau, L’agression sexuelle par surprise constituée par l’exploitation de la vulnérabilité de la victime, JCP G., 2024, n° 43-44, act. 1270.

[3] V. not. Cass. crim., 7 septembre 2016, n° 15-83.287, FS-P+B N° Lexbase : A5127RZW : V. Malabat, obs., AJ Pénal 2016, p. 529 ; Cass. crim., 11 janvier 2017, n° 15-86.680, F-P+B N° Lexbase : A0754S8G : S. Mirabail, obs., D., 2017, p. 2501 ; P. Conte, obs., Dr. pén., 2017, comm. 71 ; Cass. crim., 23 mars 2022, n° 21-84.034, F-D N° Lexbase : A31907RL : P. Conte, Dr. pén., 2022, n° 6, comm. 105.

[4] C. pén., art. 222-23 N° Lexbase : L2622L4U.

[5] C. pén., art. 222-27 N° Lexbase : L7179ALH.

[6] V. J.-C. Saint-Pau, L’agression sexuelle par surprisein Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Teyssié, LexisNexis, p. 19.

[7] C. pén., art. 222-33 N° Lexbase : L6229LLB

[8] C. pén., art. 222-32 N° Lexbase : L2629L47.

[9] Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-82.399, FS-P+B+I N° Lexbase : A59494I8 : E. Dreyer, obs., D., 2021, p. 605 ; ibid., p. 2109, obs. S. Mirabail,; Y. Mayaud, obs., RSC, 2021, p. 341 ; J.-C. Saint-Pau, obs., JCP G., 2021, n° 15, act. 407 ; P. Conte, obs., Dr. pén., 2021, n° 5, comm. 81 ; P. Bonfils, obs., Dr. fam., 2021, n° 5, comm. 82.

[10] Cass. crim., 11 septembre 2024, n° 23-86.657, F-B N° Lexbase : A53365YB, § 7. 

[11] V. C. Le Magueresse, Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien, Arch. Pol. Crim., 2012/1, n° 34, p. 223.

[12] Sur ces propositions, v. infra n° 16.

[13] J.-C. Saint-Pau, L'agression sexuelle par surpriseop. cit.

[14] Op. cit.

[15] Ibid. ; V. Malabat, Droit pénal spécial, Dalloz, coll. Hypercours, 10ème éd., 2022, p. 213, n° 338.

[16] J.-C. Saint-Pau, L'agression sexuelle par surpriseop. cit.

[17] Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 18-82.829, F-D N° Lexbase : A9701YS4 : C. Claverie-Rousset, obs., JCP G., 2019, n° 18, doctr. 496 ; P. Conte, obs., Dr. pén., 2019, n° 4, comm. 65 ; V. Malabat, obs., RPDP, 2019, p. 139.

[18] V. Malabat, op. cit., p. 215, n° 340. 

[19] Cass. crim., 25 avril 2001, n° 00-85.467 N° Lexbase : A1203AWH : A. Prothais, JCP G., 2003, II, 10001 ; Y. Mayaud, obs., RSC, 2001, p. 808.

[20] Sur l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de l’agent pour surprendre le consentement de la victime, v. Cass. crim., 23 janvier 2019, n° 18-82.833, FS-P+B N° Lexbase : A3070YUA : E. Dreyer, obs., D., 2019, p. 361 ; ibid., p. 945, obs. M. Daury-Fauveau ; D. Goetz, Viol par surprise : l’approche de la chambre criminelle, Dalloz actualité, 1er février 2019 [en ligne] ; A. Darsonville, obs., AJ Pénal, 2019, p. 153 ; Y. Mayaud, obs., RSC, 2019, p. 88 ; F. Rouvière, RTD Civ., 2019, p. 701 ; J.-C. Saint-Pau, obs., JCP G., 2019, n° 8, p. 365 ; ibid., n° 18, doctr. 496, obs. C. Claverie-Rousset ; F. Gauvin, Dr. pén. ; 2019, n° 3, comm. 42.

[21] J.-C. Saint-Pau, op. cit

[22] Sur cette distinction entre la faiblesse permanente ou temporaire pour apprécier la surprise, ibid.

[23] M. Salmona, La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-traum, Cahiers de la justice 2018/1, p. 70. 

[24] Ibid.

[25] M. Salmona, art. préc.

[26] Dans le même sens, v. J.-C. Saint-Pau, L'agression sexuelle par surprise constituée par l'exploitation de la vulnérabilité de la victime, op. cit. 

[27] Dans le même sens, ibid

[28] C. Le Magueresse, art. préc. : « la passivité, la sidération (…) qui sont des réactions habituelles face à ce qui est vécu comme une intrusion, un danger sont sans incidence dans la caractérisation du crime de viol ».

[29] Cass. crim., 13 mars 1984, n° 84-90.218 N° Lexbase : A8239AAE.

[30] Sur ce débat, v. not. C. Guerin, On crée le crime en le nommant : pour une redéfinition du viol, RSC, 2020, p. 255 ; A. Darsonville et F. Lavalière, art. préc. ; J.-C. Saint-Pau, Redéfinition du viol : le piège du consentement, Dr. pén., 2024, n° 6, p. 14. 

[31] Mission d’information parlementaire [en ligne].

[32] V. not. S. Legrain et al., Proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol, n° 2170.

[33] Art. 5, § 1, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, 8 mars 2022, 2022/066 (COD). 

[34] Ce libellé ne constitue bien évidemment qu’un exemple parmi les nombreuses propositions de redéfinition, v. S. Legrain et al., op. cit.

[35] A. Darsonville et F. Lavallière, art. pré.

[36] Dans le même sens, J.-C. Saint-Pau, Redéfinition du viol : le piège du consentementart. préc.

[37] Cass. crim., 11 septembre 2024, op. cit., § 17. 

[38] O. Décima, S. Détraz, et E. Verny, Droit pénal général, LGDJ, coll. « Cours », 5ème éd., 2022, n° 388.

[39] En ce sens, V. Malabat, op. cit., n° 341.

[40] P. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 6ème éd., 2019, n° 254. 

[41] D. Goetz, Agression sexuelle par surprise : le cas de la victime endormie puis en état de sidération, Dalloz actualité, 19 septembre 2024 [en ligne].

[42] Ibid.

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