Réf. : Cass. com., 9 octobre 2024, n° 22-18.093, FS-B N° Lexbase : A291159P
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par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences en droit privé, Université de Rouen Normandie
le 20 Novembre 2024
Mots clés : cautionnement • sous-cautionnement • prescription extinctive • point de départ • déclaration de créance • redressement judiciaire • liquidation judiciaire • accessoire
La déclaration de créance à la procédure collective du débiteur principal, effectuée par la caution qui a payé aux lieu et place de ce dernier, interrompt la prescription de son action contre celui-ci et contre la sous-caution, jusqu'à la clôture de la procédure collective.
Par un arrêt récent, la Cour de cassation contribue à l’édification du régime du sous-cautionnement. Cette sûreté, consacrée par le législateur à l’occasion de la dernière réforme du droit des sûretés (C. civ., art. 2291-1 N° Lexbase : L0133L8G), protège non pas le créancier mais la caution, dans l’exercice de son recours en remboursement contre le débiteur. Si ce dernier ne rembourse pas sa dette, la caution peut alors se retourner contre la sous-caution [1]. Dans la présente décision, la Chambre commerciale vient préciser les règles de prescription applicables à ce recours, lorsque le débiteur principal fait l’objet d’une procédure collective.
Au cas d’espèce, un prêt consenti à une société est garanti par un cautionnement. Les gérants de la société débitrice s’engagent, à l’égard de la caution, en qualité de sous-cautions. Le 22 mai 2013, le débiteur principal est placé en redressement judiciaire. La caution, appelée en paiement, procède alors au règlement de la dette. Puis, le 22 janvier 2014, le redressement est converti en liquidation judiciaire, si bien que la caution déclare sa créance le 31 mars suivant. Enfin, la caution assigne les sous-cautions en remboursement le 9 juillet 2019, soit deux mois précisément avant la clôture de la liquidation judiciaire.
Alors qu’un jugement de première instance condamne les sous-cautions au paiement, la cour d’appel de Rennes rend un arrêt infirmatif [2]. Elle déclare en effet irrecevable l’action de la caution qui a désintéressé le créancier aux motifs qu’elle « ne peut se prévaloir de l'effet interruptif de la prescription de sa déclaration de créance au passif du débiteur principal s'il est avéré qu'elle a mis en œuvre tardivement le sous-cautionnement dont elle disposait ».
Le pourvoi formé par la caution pose alors une question inédite relative au régime du sous-cautionnement qui, au surplus, convoque le droit des entreprises en difficulté et celui de la prescription. La question posée est celle de savoir si l’interruption du délai de prescription, à la suite de la déclaration de créance au passif du débiteur principal effectuée par la caution solvens, produit ses effets à l’égard de la sous-caution.
La Haute juridiction répond par l’affirmative et retient, au visa des articles 2241 N° Lexbase : L7181IA9 et 2246 N° Lexbase : L7176IAZ du Code civil, que l’interruption de la prescription déploie ses effets tant à l’égard du débiteur que de la sous-caution. À première vue, la réponse n’est pas des plus évidentes. D’abord, au regard du droit positif du sous-cautionnement qui se réduit à une disposition légale – laquelle n’est d’ailleurs pas applicable à l’espèce, dont les faits sont antérieurs à son entrée en vigueur. La solution n’est pas plus intuitive au regard de la complexité du sous-cautionnement, qui implique un double rapport triangulaire entre, d’une part, le créancier, le débiteur et la caution et, d’autre part, le débiteur, la caution et la sous-caution. De ces deux rapports s’infère spontanément l’idée qu’ils seraient autonomes, en ce que les engagements des deux garants ne couvrent pas la même dette, ni ne protègent la même personne. L’effet interruptif de la déclaration de créance à l’endroit de la sous-caution peut alors interroger.
En réalité, la solution retenue doit être pleinement approuvée, en ce qu’elle respecte les règles du droit de l’insolvabilité, comme celles de la prescription et contribue à définir la nature comme le régime du sous-cautionnement. Ce dernier est, en effet, un cautionnement comme les autres [3], donc une sûreté accessoire (I) qui justifie alors que la déclaration de créance effectuée par la caution interrompe la prescription de son action contre la sous-caution (II).
I. Le caractère accessoire du sous-cautionnement
La nature juridique du sous-cautionnement. L’engagement de la sous-caution consiste à rembourser à la caution ce que le débiteur peut lui devoir. Dès lors, la dette de remboursement dont le débiteur principal est tenu à l’égard de la caution solvens détermine l’existence et l’étendue de la dette de la sous-caution. Le caractère accessoire qui unit la dette principale au cautionnement se retrouve à l’identique entre le cautionnement et le sous-cautionnement. En effet, le caractère accessoire se retrouve simplement « déplacé » : la caution solvens prend le rôle de créancier à l’égard du débiteur principal lorsqu’elle paye à sa place. Cette créance de remboursement devient l’obligation principale, dont l’engagement de la sous-caution est alors l’obligation accessoire. Ce caractère avait d’ailleurs été confirmé par la Cour de cassation, qui appliquait au sous-cautionnement la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement [4]. Ainsi, malgré sa dénomination, le sous-cautionnement reste un cautionnement comme un autre : les protagonistes changent, mais la mécanique est identique.
L’autonomie du sous-cautionnement est parfois avancée, comme c’est le cas en l’espèce par le défendeur au pourvoi. L’engagement de la sous-caution étant étranger aux intérêts du créancier, il serait alors autonome par rapport à la dette du débiteur principal. L’argument réduit la dette du débiteur à celle qui l’unit au créancier. En ce sens, l’autonomie à l’égard de la sous-caution peut se comprendre. Or, le débiteur est aussi tenu à l’égard de la caution, du reste lorsque celle-ci paye à sa place. C’est précisément cette dette que la sous-caution garantit et ce, de manière accessoire. Ce caractère, lorsqu’il est bien compris, explique que les règles de prescription applicables à la caution puissent être étendues à la sous-caution.
La prescription applicable à la caution, donc à la sous-caution. La Haute juridiction vise l’article 2241 du Code civil, qui prévoit qu’une demande en justice interrompt le délai de prescription et l’article 2246 du même code, aux termes duquel : « L'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution ». Selon une interprétation littérale de ce dernier texte, que la défense propose justement, seule la caution est concernée, pas la sous-caution. Certes, les termes laissent à penser que la règle ne s’applique qu’au rapport entre le débiteur principal et la caution de premier rang. Une interprétation plus large semble devoir être préférée, pour la raison précédemment exposée : la sous-caution est une caution comme les autres. À défaut, la sous-caution serait tenue plus sévèrement que la caution alors que rien ne justifie une telle différence de traitement – en matière de prescription comme à d’autres égards. Plus largement, nombre de textes seraient inapplicables à cette sûreté singulière au motif qu’ils ne le mentionnent pas expressément. Techniquement, l’application des règles de prescription que l’arrêt opère au bénéfice de la sous-caution est alors indiscutable, quoique le caractère accessoire ne soit pas expressément mentionné. La solution trouve ainsi à s’appliquer à cette demande en justice particulière qu’est la déclaration de créance.
II. L’interruption de la prescription, à l’égard de la sous-caution, de la déclaration de créance effectuée par la caution
La déclaration de créance : une demande en justice. La déclaration de créance, par le créancier, à la procédure collective de son débiteur a pour effet d’interrompre la prescription à son égard (C. com., art. L. 622-25-1 N° Lexbase : L7238IZ4). La raison tient au fait que cette déclaration de créance est assimilée à une demande en justice [5]. Il est acquis, par ailleurs, que son effet interruptif s’étende au recours exercé contre la caution [6], sur le fondement du caractère accessoire de son engagement [7]. La dette étant la même, la déclaration produit logiquement un effet interruptif à l’égard de tous ceux qui y sont tenus.
La qualité décisive du déclarant. L’identité de la personne qui procède à cette déclaration est toutefois décisive, s’agissant de la prescription à l’égard de la sous-caution. S’il s’agit du créancier, cela n’aura aucune influence sur la situation de la sous-caution, leurs engagements étant étrangers l’un à l’autre. Seule la caution pourra bénéficier de cette déclaration, car elle disposera alors d’un recours subrogatoire contre le débiteur principal, lequel pourra être particulièrement utile si le créancier disposait d’autres sûretés. Au contraire, la sous-caution reste étrangère aux effets de cette déclaration dont la caution ne peut se prévaloir à son égard [8]. Inversement, si la caution solvens procède elle-même à la déclaration de créance, c’est dans la perspective d’être remboursée par le débiteur au terme de la procédure ou, à défaut, par la sous-caution. Le caractère accessoire du sous-cautionnement vis-à-vis du cautionnement déploie ici ces effets : la créance déclarée est unique, qui réside dans le remboursement de ce que la caution a payé. Cette déclaration doit donc valoir tant pour le débiteur principal que pour la sous-caution [9].
Appliqué à l’espèce, le raisonnement permet ainsi de sauvegarder les chances de remboursement de la caution solvens. Après avoir payé la dette du débiteur le 31 aout 2013, la liquidation judiciaire est ouverte le 22 janvier 2014 à laquelle la caution déclare sa créance le 31 mars. Elle assigne les sous-cautions le 9 juillet 2019, puis la liquidation est clôturée le 9 septembre suivant. Ainsi, la caution ayant agi avant que l’effet interruptif de prescription ait fini de produire ses effets, il ne saurait lui être reproché d’avoir trop tardé.
L’impossibilité d’agir contre le débiteur : un argument trompeur. En ce sens, l’argument avancé par la cour d’appel, d’après lequel l’action de la caution serait prescrite est infondé et procède notamment d’une confusion entre les effets de la déclaration de créances et ceux du jugement d’ouverture. La première, qui a un effet interruptif, est assimilée à une demande en justice. Le second, qui a un effet suspensif, entraîne l’impossibilité d’agir contre le débiteur qui bénéficie de la procédure collective, afin de laisser une chance que cette procédure trouve une issue favorable. En conséquence, sanctionner la caution solvens en retenant son action comme prescrite, au motif qu’elle n’aurait pas agi contre la sous-caution avant la clôture de la procédure ouverte contre le débiteur principal, revient d’une certaine manière à préjuger de l’issue nécessairement défavorable de cette procédure. Or, dans ce contexte, une caution qui attend n’est pas forcément une caution qui manque de diligence. Le raisonnement d’après lequel la caution aurait pu (aurait dû ?) agir contre la sous-caution avant la clôture de la procédure n’a pas lieu d’être, car il s’agit d’une faculté et non d’une obligation pour elle. L’impossibilité d’agir contre le débiteur ne signifie pas l’obligation d’agir immédiatement contre la sous-caution. Au rebours de ce qu’affirment les juges du fond, la caution n’a donc pas à justifier d’une quelconque autre cause de suspension ou d’interruption. En préservant le droit d’agir de la caution contre la sous-caution au-delà de la clôture de la procédure, la solution préserve l’éventualité que le débiteur puisse rembourser la caution, s’il en a les moyens. Dans le même temps, cela évite à la sous-caution de payer à sa place pour ensuite lui demander un remboursement.
Une solution opportune. Partant, la solution respecte la mécanique des garanties et des contre-garanties, lesquelles sont souscrites par des débiteurs secondaires qui ne contribuent pas à la dette. Il est donc plus logique que ce soit le débiteur principal qui paye directement le créancier ou qu’il rembourse directement le garant de premier rang. Les faits d’espèce permettent d’ailleurs de conjuguer la logique et l’opportunité. Dans la mesure où les sous-cautions gèrent l’entreprise débitrice principale, il est plus juste que la prescription à leur égard ne soit pas acquise et qu’elles soient tenues au règlement d’une dette à laquelle elles ont, au moins indirectement, un intérêt. Par ailleurs, la solution préserve l’efficacité et l’intérêt du sous-cautionnement, en lui faisant produire ses effets plus longtemps. In fine, ce sont aussi les chances de paiement de la dette principale qui sont renforcées. De fait, son recours contre la sous-caution étant ménagé, la caution aura peut-être moins de réticence à régler la dette du débiteur principal.
Un régime à parfaire. Par cette décision bienvenue, le régime du sous-cautionnement se construit peu à peu. Son introduction dans le Code civil se limite en effet à deux textes. L’article 2291-1 pose sa définition ; l’article 2304 N° Lexbase : L0155L8A impose à la caution de communiquer à la sous-caution les informations qu’elle a reçues du créancier. A leur lecture, le sous-cautionnement fait figure de parent pauvre, auquel seules quelques règles éparses du cautionnement trouvent à s’appliquer. Il reste à espérer que la Haute juridiction poursuive dans la même voie la construction de son régime en transposant les autres règles du cautionnement, dont le sous-cautionnement n’est qu’une espèce.
[1] Sur ce mécanisme, v. not. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes, garanties indemnitaires, LexisNexis, « Traités », 5ème éd., 2015, spéc. n° 119 ; G. Piette, « Cautionnement », Rép. Civ. D., n° 55 et s. ; B. Saintourens, « Certificateurs de caution et sous-cautions : les oubliés des réformes du droit du cautionnement », in Mélanges M. Cabrillac, 1999, Dalloz-Litec, p. 397 ; C. Houin-Bressand, Les contre-garanties, Dalloz, 2006, préf. H. Synvet.
[2] CA Rennes, 5 avril 2022, n° 20/02484 N° Lexbase : A27277SS.
[3] A.-S. Barthez, Un sous-cautionnement est un cautionnement comme les autres !, RDC, décembre 2014, p. 653.
[4] Cass. com., 9 février 2022, n° 19-21.942, F-B N° Lexbase : A68137MB.
[5] V. not. Cass. com., 23 octobre 2019, deux arrêts, n° 18-16.515, FS-P+B N° Lexbase : A6498ZSH et n° 17-25.656, FS-P+B N° Lexbase : A6400ZST.
[6] V. not. Cass. com. 25 octobre 2023, n° 22-18.680, F-B N° Lexbase : A42891PK.
[7] Ph. Simler, Jcl civil, fasc. 45, V° Cautionnement, spéc. n° 4.
[8] V. déjà, en ce sens : Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-18.460, F-P+B N° Lexbase : A4930WDX.
[9] Un arrêt retient d’ailleurs cet effet en l’absence de déclaration de créance accomplie par le créancier : Cass. com., 29 mai 2001, n° 98-16.325 N° Lexbase : A5497ATR.
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