Réf. : Cass. soc., 2 octobre 2024, n° 23-12.844, FS-B N° Lexbase : A776857T
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par Marie-Noëlle Rouspide-Katchadourian, Maître de conférences à l'Université de Caen Normandie, Avocate associée, cabinet Fidal
le 11 Octobre 2024
► La Cour de cassation précise que le dommage causé par la stipulation d'une clause de non-concurrence illicite est soumis à la prescription biennale ; le délai court à compter de la mise en œuvre de la clause ;
En revanche, le délai de prescription de l’action en paiement de la contrepartie financière se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle cette créance est devenue exigible ;
La demande de dommages-intérêts pour non-application de la clause de non-concurrence et atteinte à la liberté du travail se prescrit, quant à elle, par deux ans à compter de la date à laquelle le salarié n’est plus tenu de respecter la clause.
Diversité des délais de prescription. L’arrêt rendu le 2 octobre 2024 par la Cour de cassation se situe dans le sillage de ses décisions récentes, en matière de prescription. Divers délais sont susceptibles de s’appliquer en droit du travail ; la difficulté consiste alors à déterminer, d’une part, celui qui a vocation à régir la demande en cause et, d’autre part, à en fixer le point de départ. Dans la présente affaire, étaient visés les articles L. 1471-1 N° Lexbase : L1453LKZ et L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH. Le premier de ces textes prévoit notamment que « toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ». Le second dispose que « l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En vue de déterminer la prescription applicable, la Cour de cassation invite à s’intéresser à la nature de la demande. Elle énonce, en effet, que « la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée » (Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932, FS-B N° Lexbase : A21214Y9).
Dans son arrêt du 2 octobre 2024, elle procède ainsi à une stricte application de ces règles, à propos de demandes liées à l’illicéité et au non-respect d’une clause de non-concurrence.
La clause de non-concurrence, objet de diverses demandes du salarié. Dans cette affaire, la démission d’un salarié en date du 23 octobre 2014 avait pris effet le 26 février 2015. Contestant la régularité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation, le salarié avait sollicité une conciliation le 9 septembre 2015. Les parties n’étant pas parvenues à un accord, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale le 26 février 2018. Il réclamait le versement de dommages-intérêts au titre de la nullité de la clause de non-concurrence. À titre subsidiaire, il sollicitait le paiement de la contrepartie financière, ainsi que des dommages-intérêts pour violation, non-application de la clause de non-concurrence et atteinte à la liberté du travail. La cour d’appel avait déclaré irrecevables comme prescrites les diverses demandes du salarié (CA Rennes, 24 novembre 2022, n° 19/06482 N° Lexbase : A18368WW). La Cour de cassation casse la décision de la cour d’appel en ce qu’elle déclare irrecevables comme prescrites les demandes en paiement de la contrepartie financière et la demande de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence.
Dommage né de la stipulation d’une clause de non-concurrence illicite. Le salarié réclamait tout d’abord des dommages-intérêts en réparation du dommage causé par la stipulation d’une clause de non-concurrence illicite. Sans surprise, la Cour de cassation retient que, conformément à l’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Elle rappelle, par ailleurs, que « la prescription d’une action en responsabilité civile court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance ». Une telle analyse découle, en effet, des termes de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC. Il en résulte que la prescription de deux ans s’applique à la demande de dommages-intérêts formulée par le salarié sur le fondement de la stipulation d’une clause illicite ; son point de départ se situe lors de la mise en œuvre de la clause, soit en principe lors de la rupture du contrat, et non au moment de la stipulation de la clause (v. aussi : Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-19.832, FS-B N° Lexbase : A10437PC). En l’espèce, la procédure de conciliation avait suspendu le délai de prescription pendant une durée de six mois. Reste que l’action était prescrite.
Paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. Le salarié sollicitait, à titre subsidiaire, le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. La Cour de cassation fait application de l’article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH, dont il résulte que la prescription des sommes ayant la nature de salaire est triennale. La solution, acquise, est logique dans la mesure où la contrepartie financière a la nature d’une indemnité compensatrice de salaire (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 00-40.461, publié N° Lexbase : A4899AZH). La Cour de cassation apporte, en outre, une précision relative au point de départ du délai de prescription. Elle retient qu’il court à compter de la date à laquelle la créance est devenue exigible. Ainsi, pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré (v. à propos du la prescription des salaires : Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, FS-P+B N° Lexbase : A6294KPS). Autrement dit, le point de départ de la prescription est glissant. En l’espèce, la prescription n’était donc pas acquise.
Non-application de la clause de non-concurrence et atteinte à la liberté du travail. Concernant la demande du salarié de dommages-intérêts pour non-application de la clause de non-concurrence et atteinte à la liberté du travail, la Cour de cassation se réfère logiquement à l’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ. Il en résulte que la prescription est biennale. Elle apporte une précision essentielle à cet égard, concernant le point de départ du délai de prescription. En effet, la cour d’appel avait déclaré irrecevable la demande de dommages-intérêts, car elle avait été formulée plus de 44 mois après la rupture. La Cour de cassation ne partage pas cette analyse et retient que le salarié se fondait sur des faits qui n’avaient cessé de produire effet qu’à la date à laquelle il n’était plus tenu de respecter la clause de non-concurrence, ce dont il résultait que le délai de prescription de la demande courait à compter de cette date. Dès lors, c’est à l’expiration du délai d’application de la clause que commence à courir la prescription. Ici encore, la prescription n’était pas acquise puisque la clause s’appliquait jusqu’au 26 février 2017.
Ces diverses précisions jurisprudentielles méritent d’être approuvées. Si la grille d’analyse que tend à élaborer la Cour de cassation en matière de prescription demeure perfectible, la présente décision contribue incontestablement à en favoriser l’intelligibilité.
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