Le Quotidien du 17 septembre 2024 : Fiscalité des entreprises

[Brèves] L’abus d’abus est-il abusif ?

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 23 juillet 2024, n° 481894, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A34495TW

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[Brèves] L’abus d’abus est-il abusif ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/111482813-breveslabusdabusestilabusif
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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh et Associés

le 11 Septembre 2024

Dans le contexte récent de la multiplication du recours à la procédure de l’abus de droit prévue par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, une décision du Conseil d’État du 23 juillet dernier, semble de nature à tempérer les ardeurs de l’administration fiscale. Cette tempérance est d’autant mieux venue que, pour les redressements d’impôt dont le montant excède 100 000 euros, l’application de cette procédure signifie une transmission automatique au parquet qui fait courir au contribuable un risque de sanctions pénales.

Revenant à la lettre du texte, le Conseil d’État rappelle la nécessité pour l’administration d’écarter des actes pour pouvoir mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit.

Par trois actes conclus en 2002, 2005 et 2007, la société BancWestCorporation (BWC), immatriculée dans l’État du Delaware aux États-Unis et contrôlée en totalité par BNP Paribas SA, a cédé à cette dernière une participation minoritaire dans Bank of the West (BoW). Le produit des cessions était destiné au remboursement d’un emprunt.

Un pacte d’actionnaires entre BNP Paribas SA et BWC prévoyait des options d’achat et de vente avec des délais d’exercice différents. Le prix d’exercice de l’option d’achat prévoyait la majoration du prix de vente d’intérêts fixes capitalisés et sa minoration de dividendes reçus par BNP Paribas SA jusqu’à son exercice. Le prix de l’option de vente était égal à celui de l’option d’achat majoré de 45 millions de dollars, de sorte qu’il incitait fortement à l’exercice de l’option d’achat.

BNP Paribas SA a comptabilisé les sommes distribuées par BoW comme des dividendes, exonérés d’impôt au titre du régime des sociétés mères. Du point de vue américain, cette transaction caractéristique d’un hybride était traitée comme générant le paiement d’intérêts fiscalement déductibles.

En ayant recours à la procédure de répression des abus de droit et en soulignant que la société mère n’était en réalité pas exposée à un véritable risque d’actionnaire, l’administration fiscale a rehaussé le résultat fiscal de BNP Paribas SA en y réintégrant les dividendes ayant bénéficié à tort du régime des sociétés mères au motif que ceux-ci auraient dû être imposés comme des produits de créance correspondant aux intérêts dus dans le cadre d’une opération qui doit être assimilée à une pension sur titres, régie par l’article L. 211-27 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9922LGL et dont les produits sont exclus du bénéfice du régime d’exonération des dividendes.

Sans pour autant donner droit au fonds à la société requérante, le Conseil d’État rappelle toutefois que la procédure de l’abus de droit repose sur la nécessité de fonder le redressement fiscal sur le fait d’écarter un acte. La recaractérisation de l’opération en opération de pension relève de la simple requalification qui ne nécessite pas d’écarter les actes passés par la contribuable mais simplement de leur appliquer le traitement fiscal qui convient. Dans ses conclusions, le rapporteur public Romain Victor rappelle à cet égard la différence avec le raisonnement conduit dans des précédents concernant des opérations similaires pour lesquels l’abus de droit s’était révélé nécessaire pour la remise en cause d’interposition de sociétés, qui n’avait d’autre justification que de faire obstacle à la mise en évidence d’une pension, par la création d’une relation triangulaire apparente (CE 3° et 8° ch.-r., 31 mai 2022, n° 453175, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A61807YK).

Lire sur cet arrêt, A. Chikouche, L’exclusion de l’octroi du régime fiscal mère-fille à l’aune de la caractérisation d’un abus de droit, Lexbase fiscal, juin 2022, n° N° Lexbase : N2022BZW.

Comme le relève Romain Victor dans ses conclusions, en l’absence de symétrie avec les situations d’abus de droit rampant dans lesquelles le défaut de se placer dans la procédure d’abus de droit prive l’administration du droit de rectifier les résultats imposables (CE Plénière, 21 juillet 1989, n° 59970 N° Lexbase : A0784AQ4, l’abus de recours à la procédure d’abus de droit, lorsqu’il ne s’impose pas, ne peut être constitutif d’un vice de procédure compromettant la validité des rectifications opérées.

Aussi le caractère non justifié de la procédure d’abus de droit mise en œuvre n’explique pas la décision de cassation prise par le Conseil d’État sur un autre moyen soulevé par le contribuable entachant la décision de la cour administrative d’appel devant laquelle l’affaire est renvoyée, d’absence de motivation. En revanche, il devrait prémunir contre l’application des pénalités spécifiques et l’ouverture automatique d’une action au pénal.

 

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