La lettre juridique n°991 du 11 juillet 2024 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Rappel par la Cour de cassation, à travers l’ISF, de la distinction entre résultat comptable, bénéfice fiscal, dividende, et revenu imposable

Réf. : Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-18.988, F-B N° Lexbase : A01895BM

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N9924BZL

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par Adèle Chikouche, Avocate, Droit des affaires

le 10 Juillet 2024

Mots-clés : ISF • sociétés civiles • impôt sur les sociétés

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation en date du 10 mai 2024, apporte une clarification cruciale concernant l'application de l'impôt de solidarité sur la fortune aux revenus issus de sociétés civiles non soumises à l'impôt sur les sociétés.

Cette décision revêt l’intérêt de préciser avec rigueur la distinction entre les bénéfices comptables et les revenus fiscaux, apportant ainsi un éclairage utile et nouveau reposant sur un raisonnement qui sera transposable à d’autres impôts.

Le présent commentaire portera sur l’étude de l’arrêt susvisé, reprenant les faits, la procédure, et l’étude du raisonnement adopté par les Juges du droit.

Ceci étant fait, il sera alors exposé ce pour quoi le raisonnement des juges de la Cour d’appel de Paris était erroné.

Finalement, seront mises en avant, les conséquences pratiques qui découlent de l’arrêt du 10 mai 2024 commenté. 


 

Petit rappel des faits et de la procédure

L'origine de cette affaire remonte aux démarches fiscales entreprises par [P] [M], associée de deux sociétés de gestion de portefeuille, Verte Forêt et Océane, qui n'avaient pas opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.

En 2010, [P] [M] a déclaré son ISF en appliquant les dispositions de l'article 885 V bis du Code général des impôts N° Lexbase : L2912LCT, qui prévoit un plafonnement du montant de cet impôt en fonction des revenus.

Ces dispositions, dorénavant abrogées, prévoyaient au moment des faits : « L'impôt de solidarité sur la fortune du redevable ayant son domicile fiscal en France est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, calculés avant imputation des crédits d'impôt et des retenues non libératoires, et, d'autre part, 85 % du total des revenus nets de frais professionnels de l'année précédente après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée par l'article 156, ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu réalisés au cours de la même année en France ou hors de France et des produits  soumis à un prélèvement libératoire. Cette réduction ne peut excéder une somme égale à 50 % du montant de cotisation résultant de l'application de l'article 885 V ou, s'il est supérieur, le montant de l'impôt correspondant à un patrimoine taxable égal à la limite supérieure de la troisième tranche du tarif fixé à l'article 885 U.

Les plus-values sont déterminées sans considération des seuils, réductions et abattements prévus par le présent Code.

Pour l'application du premier alinéa, lorsque l'impôt sur le revenu a frappé des revenus de personnes dont les biens n'entrent pas dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune du redevable, il est réduit suivant le pourcentage du revenu de ces personnes par rapport au revenu total ».

L'administration fiscale, adoptant une interprétation stricte des règles en vigueur, a considéré que la quote-part des résultats de ces sociétés, créditée sur le compte courant d'associé de [P] [M], devait être incluse dans le calcul du plafonnement, entraînant ainsi la suppression du plafonnement et la notification d'un redressement fiscal.

Suite au décès de [P] [M], ses héritiers, Mme [K] [G] et M. [X] [G], ont poursuivi le litige devant la Cour d'appel de Paris, qui a confirmé la position de l'administration fiscale.

Cette décision a été contestée par un pourvoi en cassation.

La question centrale soumise à la Cour de cassation portait sur l'intégration des bénéfices comptables, incluant des gains latents inscrits en compte courant d'associé, dans le calcul du plafonnement de l'ISF pour les sociétés civiles n'ayant pas opté pour le régime de l'impôt sur les sociétés.

Il s'agissait de déterminer si ces gains latents devaient être considérés comme des revenus réalisés et donc, imposables.

Quel a été le raisonnement de la Cour ?

La Haute juridiction a rendu sa décision au visa des articles 8 N° Lexbase : L1176ITQ, 885 V bis N° Lexbase : L2912LCT, 885 E N° Lexbase : L8780HLR, 125-0 A N° Lexbase : L5649MAH et 238 bis K N° Lexbase : L3844KWB du code général des impôts, dans leur version alors applicable.

Ainsi, tout d’abord, résultait de ces textes que l'ISF du redevable est réduit de la différence entre, d'une part, le total de cet impôt et des impôts dus en France et à l'étranger au titre des revenus et produits de l'année précédente, d'autre part, 85 % du total des revenus nets de frais professionnels de l'année précédente après déduction des seuls déficits catégoriels dont l'imputation est autorisée ainsi que des revenus exonérés d'impôt sur le revenu réalisés au cours de la même année en France ou hors de France et des produits soumis à un prélèvement libératoire.

Il en résulte également que les membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées à l'article 206, 1 du Code général des impôts N° Lexbase : L5210MMW et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter N° Lexbase : L4961HLC, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 N° Lexbase : L4844IQH et 35 N° Lexbase : L3342LCR du même Code, sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondants à leurs droits dans la société.

Ces textes ancraient le fait que la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l'activité de la société et que les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France sont soumis à l'impôt sur le revenu lors du dénouement du contrat.

Par voie de conséquence, si une société civile établit ses bénéfices en tenant compte de la valeur vénale réelle des éléments composant son actif net, la part de gains latents qu'ils comportent du fait de ce mode de calcul statutaire ne peut être incluse, à concurrence de la quote-part de chaque associé, dans les revenus imposables de celui-ci au titre de l'année en cause, peu important les modalités de détermination du résultat de la société civile telles qu'arrêtés par ses statuts.

L’arrêt de la Cour de Cassation revient ensuite le développement tenu par la Cour d’appel pour rejeter la demande d'annulation de la décision de rejet de la réclamation contentieuse de décharge du supplément d'ISF au titre de l'année 2010.

Que retenait l’arrêt attaqué ? En quoi le raisonnement de la Cour d’appel de Paris était-il erroné ?

L’arrêt attaqué retenait que, par application des articles 1856 du Code civil N° Lexbase : L2053ABN et 17 de leurs statuts, les sociétés doivent rendre compte de leur gestion à leurs associés au moins une fois par an et établir des comptes en conformité avec les usages et la réglementation applicables et procéder à la déclaration de leurs revenus qui seront reportés sur la déclaration de revenus personnelle de chaque associé, au prorata de leur participation.

Il ajoutait que les sociétés ont présenté des résultats comptables au passif de leur bilan 2009, approuvés expressément en tant que « bénéfices » par les deux assemblées générales respectives du 30 juin 2010, que ceux-ci ont fait l'objet d'une affectation en totalité aux comptes-courants d'associés en proportion de leurs droits dans le capital social, notamment au bénéfice de [P] [M].

Il soutenait, enfin, que l'affectation du bénéfice des sociétés sur les comptes courants de leurs associés privait de fondement la distinction entre les notions de bénéfice fiscal et de résultat comptable et confirmait la disponibilité du bénéfice réalisé sans que soit démontré un lien avec la détention de contrats de capitalisation.

À la lumière de ce raisonnement, la Cour de cassation a jugé que la cour d'appel de Paris qui a retenu le bénéfice comptable réalisé par les sociétés civiles et son inscription en compte courant comme un revenu imposable alors qu'aucun résultat bénéficiaire n'était taxable au titre des contrats de capitalisation, a violé les textes susvisés.

Par cette décision, la Cour de cassation a établi une distinction fondamentale entre les bénéfices comptables et les revenus imposables.

En soulignant que les gains latents, résultant de l'évaluation comptable des actifs, ne peuvent être considérés comme des revenus effectivement réalisés, la Cour a jugé que ces gains ne devaient pas être inclus dans le calcul du plafonnement de l'ISF.

Les bénéfices comptables inscrits en compte courant d'associé ne constituent pas des revenus disponibles, et leur inclusion dans le calcul du plafonnement de l'ISF était donc incorrecte.

La Cour a rappelé que le calcul du plafonnement de l'ISF doit se baser uniquement sur les revenus effectivement perçus.

Dès lors, en se référant à l'article 885 V bis du Code général des impôts, la Cour a souligné que les gains latents ou non réalisés ne doivent pas être pris en compte, protégeant ainsi les contribuables contre une imposition excessive et non justifiée.

Quelles conséquences pratiques ?

Rappelons que l’arrêt commenté repose sur l’impôt sur la fortune. 

Pour mémoire, l’ISF était un impôt progressif par tranches, réglé chaque année par les contribuables dont le patrimoine excède 1,3 million d’euros. Le patrimoine taxé englobe tous les biens mobiliers et immobiliers, les droits (usufruits, droits d’usage, etc.), les placements et les liquidités détenus par l’assujetti au 1er janvier de l’année d’imposition.

Toutefois, conformément à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le gouvernement a confirmé la disparition de l’impôt sur la fortune (ISF) en 2018, a été remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Ainsi, l’arrêt du 10 mai 2024 pourrait comporter, à première vue, une portée totalement désuète.

Il n’en est rien.

En effet, le présent arrêt est riche en enseignements, rappelant qu’un résultat comptable, ne revêt  pas nécessairement la caractérisation d’un bénéfice fiscal. De plus, la perception d’un dividende, ne constitue pas nécessairement un revenu imposable.

En clarifiant ces notions et les nuances qu’elles comportaient, les Juges du droit offrent de précieuses lumières aux contribuables et aux praticiens du droit fiscal, dont le raisonnement sera indubitablement transposable à l’impôt sur la fortune immobilière.

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