La lettre juridique n°991 du 11 juillet 2024 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Le relevé de forclusion de plein droit et l’omission de la liste

Réf. : Cass. com., 3 juillet 2024, n° 23-15.715, F-B N° Lexbase : A57965MM

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N9898BZM

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 12 Juillet 2024

Mots-clés : déclaration de créance • dépassement du délai • relevé de forclusion • omission du débiteur dans l’établissement de la liste • contestation de l’existence de la créance par le débiteur • indifférence (oui) • relevé de forclusion pour omission dans l’établissement de la liste (oui)

Lorsqu’un créancier ne figure pas sur la liste des créanciers, sa demande de relevé de forclusion de celle-ci doit être accueillie, le débiteur ne pouvant valablement soutenir qu'il n'avait pas à le mentionner sur la liste de ses créanciers au motif qu'il ne peut lui être imposé de déclarer pour le compte d'un créancier une créance dont il conteste l'existence.


 

Traditionnellement, depuis la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), les créanciers qui ne déclarent pas leur créance dans les délais peuvent être relevés de forclusion sur la démonstration que la défaillance à déclarer dans les délais n’est pas due à leur fait.

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT) a ajouté un second motif de relevé de forclusion, lorsque le créancier démontre avoir été victime d’une omission volontaire de la part du débiteur.

Dans le souci de renforcer la protection des créanciers et de faire jouer un rôle encore plus important à la liste des créanciers établie par le débiteur à l’ouverture de sa procédure collective, l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326, art. 29 N° Lexbase : L7194IZH) a encore assoupli le relevé de forclusion. Elle supprime l’exigence de la démonstration du caractère volontaire de l’omission. Désormais, en vertu de l’article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce N° Lexbase : L9127L78, il faut, mais il suffit de démontrer l’omission du débiteur dans l’établissement de la liste. Mais encore faut-il s’entendre sur la notion d’omission dans l’établissement de la liste. Tel est tout l’intérêt de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 3 juillet 2024.

En l’espèce, un jugement du 29 mars 2019, a condamné la société FCM services (la société FCM) à payer à la société Fraikin Assets la somme de 64 887,40 euros et a ordonné la compensation de cette somme avec celles de 6 793,75 euros et de 22 391,23 euros que la société FCM avait versées à la société Fraikin Assets à titre de dépôts de garantie. Contestant être débitrice d'une quelconque somme envers la société Fraikin Assets, la société FCM a fait appel du jugement.

Un jugement du 26 novembre 2019 du tribunal de commerce ayant mis la société FCM en redressement judiciaire, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption d'instance.

Le 19 mai 2021, la société Fraikin Assets, qui n'avait pas déclaré sa créance dans les deux mois de la publication d'ouverture de la procédure collective, a demandé au juge-commissaire du tribunal de commerce de Nanterre d'être relevée de forclusion puis a, le 14 novembre 2021, formé opposition à l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté sa demande.

La cour d’appel [1] a, pour sa part, accepté le relevé de forclusion en retenant l’omission dans l’établissement de la liste émanant du débiteur, ce dernier n’y ayant pas fait figurer le créancier.

La société FCM a alors formé un pourvoi en cassation.

La question posée à la Cour de cassation est la suivante : lorsque le débiteur ne reconnaît pas l’existence d’une créance, y a-t-il une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6 du Code de commerce justifiant le relevé de forclusion du créancier ?

Rejetant le pourvoi, par un arrêt de section appelé à la publication au Bulletin ( F+B), la Cour de cassation va répondre par l’affirmative à la question : «  En premier lieu, il résulte de l'article L. 622-24 du Code de commerce [LXB=] que la créance portée par le débiteur, conformément à l'obligation que lui fait l'article L. 622-6 du même code N° Lexbase : L3680MBW, à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l'article R. 622-24 du même code N° Lexbase : L6120I33, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire, dans la limite du contenu de l'information donnée au mandataire judiciaire, ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bien-fondé de cette créance, de sorte qu'il peut ultérieurement la contester.

En second lieu, selon l'article L. 622-26 du Code de commerce, l'omission du créancier par le débiteur sur la liste prévue à l'article L. 622-6 précité permet à ce créancier d'être de plein droit relevé de la forclusion par le juge-commissaire.

Ayant relevé que la société Fraikin Assets ne figurait pas sur la liste des créanciers, l'arrêt retient exactement que la demande de relevé de forclusion de celle-ci doit être accueillie, la société FCM ne pouvant valablement soutenir qu'elle n'avait pas à la mentionner sur la liste de ses créanciers au motif qu'il ne peut lui être imposé de déclarer pour le compte d'un créancier une créance dont elle conteste l'existence ».

La solution posée par la Cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne d’un autre arrêt récent par la Cour de cassation, qu’il faut rappeler pour comprendre la solution qu’elle pose ici. Dans un arrêt du 23 mai 2024, la Cour de cassation a en effet jugé que « « La créance portée par le débiteur, conformément à l'obligation que lui fait l'article L. 622-6 du Code de commerce, à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l'article R. 622-24 du même code, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire, dans la limite du contenu de l'information donnée au mandataire judiciaire, ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bien-fondé de cette créance, de sorte qu'il peut ultérieurement la contester » [2].

Ainsi, puisque le fait d’indiquer une créance sur la liste ne vaut pas reconnaissance de celle-ci, le débiteur est, dans la vision de la Cour de cassation, obligé de procéder à cette indication de la créance, la contesterait-il. S’il ne le fait pas, il se rend coupable d’une omission dans l’établissement de la liste.

Ces préalables posés, la suite du raisonnement ne peut souffrir la discussion. Dès lorsqu’il y a omission dans l’établissement de la liste, il y a place à un relevé de forclusion. La Cour de cassation rappelle ici, au passage, que ce relevé de forclusion est « de plein droit », et non pas, « automatique ». Il n’y a place ici à aucune appréciation du juge-commissaire.  Par conséquent, peu importe l’attitude du créancier. Il peut ainsi, a priori, être soutenu que le créancier, titulaire d’une sûreté publiée, est informé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception d‘avoir à déclarer sa créance, ne déclare pas sa créance dans les deux mois de l’avertissement, il a le droit d’être relevé de forclusion s’il ne figure pas sur la liste établie par le débiteur, puisque le relevé de forclusion pour omission dans l’établissement de la liste est « de plein droit ». On mesure par conséquent la portée de l’affirmation.

Ce n’est pas la première fois que la Chambre commerciale s’appuie, en matière de relevé de forclusion, sur une construction personnelle pour en induire une autre solution. On se souvient de la jurisprudence rendue, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, sur la question de la déclaration de créance du créancier forclos. À l’époque, le créancier forclos ne disposait pas d’un délai particulier pour déclarer sa créance après avoir été relevé de forclusion, au contraire de la solution actuelle lui accordant un délai réduit de moitié par rapport au délai de déclaration de créance dont il était titulaire, pour déclarer sa créance, après avoir été relevé de forclusion. La Cour de cassation avait alors estimé que le créancier pouvait valablement déclarer sa créance avant même d’avoir été relevé de forclusion. S’appuyant sur cette solution toute prétorienne, elle a ensuite jugé que « si aucun texte n’oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans le délai préfix d’un an à compter de la décision d’ouverture de la procédure, même si le juge-commissaire n’a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion à l’intérieur de ce délai » [3]. La solution a ensuite été reproduite sous l’empire de la loi de sauvegarde [4].Il a été mis fin à cette jurisprudence très contestable par l’ordonnance du 12 mars 2014 qui a créé un délai particulier de déclaration de créance du créancier relevé de forclusion.

C’est une construction de même nature qui nous est ici proposée : puisque le fait pour le débiteur qui mentionne une créance sur la liste de ses créanciers ne vaut pas reconnaissance de dette de la part du débiteur, le débiteur doit mentionner un créancier, même s’il conteste en l’espèce l’existence  de la créance.

Cette façon de procéder par construction de puzzle jurisprudentiel ne nous apparaît pas convaincante. Pour parvenir à la même solution, il aurait été infiniment plus simple de relever qu’en 2014, le législateur a supprimé le caractère volontaire de l’omission dans l’établissement de la liste.  Par conséquent, peu importe le motif qui a conduit le débiteur à ne pas mentionner tel créancier sur la liste : que l’omission soit volontaire ou non, dès lors qu’il y a omission, elle doit conduire à un relevé de forclusion de plein droit pour omission dans l’établissement de la liste.

L’action en relevé de forclusion ne conduit pas à fustiger l’attitude du débiteur, mais à assurer la protection du créancier !


[1] CA Versailles, 10 janvier 2023, n° 22/01307 N° Lexbase : A869087Y.

[2] Cass. com. 23 mai 2024, n° 23-12.133, FS-B N° Lexbase : A86225CC, P.-M Le Corre, Lexbase Affaires, juin 2024, n° 798 N° Lexbase : N9551BZR. .

[3] Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-21.357, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1105DWT, D., 2007, AJ 1424, note A. Lienhard ; D., 2008, Pan. 577, obs. P.-M. Le Corre ; JCP E, 2007, Chron. 2119, n° 8, obs. Ph. Pétel ; RD banc. fin. 2007, n° 113, note F.-X. Lucas ; RTD com., 2008, 192, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 2007, 367, note Ph. Roussel Galle ; Defrénois, 2007, 1568, 38675, n° 8, note D. Gibirila ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, mai 2007, n° 261 N° Lexbase : N1642BBG.

[4] Cass. com., 23 avril 2013, n° 11-25.963, FS-P+B N° Lexbase : A6879KCR, D., 2013, Actu. 1129, obs. A. Lienhard ; D., 2013, Pan. 2372, note P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal., 12 juillet 2013, n° 193, p. 22, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2013/10, comm. 133, note P. Cagnoli ; Rev. proc. coll., 2013, comm. 110, note P. Cagnoli ; JCP E, 2013, Chron. 1434, n° 4, obs. Ph. Pétel ; RTD com., 2013, 583, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2013, comm. 129, note Legrand et Legrand.

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