Le Quotidien du 3 juin 2024 : Bancaire

[Brèves] Sort de l’aval figurant sur un billet à ordre dépourvu de date

Réf. : Cass. com., 23 mai 2024, n° 22-12.736, FS-B N° Lexbase : A86035CM

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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 31 Mai 2024

► Un billet à ordre, sur lequel figure la mention d’une première date ensuite raturée, puis d'une seconde date ajoutée au-dessus par une autre personne que le souscripteur dans des conditions indéterminées, doit être considéré comme dépourvu de date, de sorte qu'il ne vaut pas titre cambiaire et que, par voie de conséquence, l'aval donné sur ce titre est irrégulier.

Un billet à ordre est un effet de commerce par lequel une personne, le souscripteur, s’engage à payer une somme déterminée à une date déterminée à une autre personne, appelée bénéficiaire. Ainsi, contrairement à la lettre de change, c’est le débiteur qui s’engage ici directement en émettant le titre.

Le billet à ordre est régi par les articles L. 512-1 à L. 512-8 du Code de commerce N° Lexbase : L6735AIB trouvant leur origine dans la convention de Genève du 7 juin 1930 N° Lexbase : L6693HCU portant loi uniforme sur les lettres de change et les billets à ordre. On notera que les articles L. 512-3 à L. 512-6 N° Lexbase : L6737AID opèrent des renvois aux dispositions relatives à la lettre de change.

Or, l’article L. 512-1 du Code de commerce établit une liste de sept mentions obligatoires, à défaut desquelles le titre ne vaudra pas comme billet à ordre : la clause à ordre ou la dénomination du titre insérée dans le texte même et exprimée dans la langue employée pour la rédaction du titre ; la promesse pure et simple de payer une somme déterminée ; l’indication de l’échéance ; l’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer ; le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait ; l'indication de la date et du lieu où le billet est souscrit ; et enfin la signature de celui qui émet le titre dénommé souscripteur.

La mention relative à la date de souscription retiendra ici notre attention. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de dire que la mention contradictoire de deux dates de souscription distinctes équivaut à une absence de date, sanctionnée par la nullité de l’effet de commerce ainsi que, par voie de conséquence, de l’aval donné sur ce titre irrégulier (v. Cass. com., 3 octobre 2018, n° 17-20.525, F-D N° Lexbase : A5525YED). Une autre solution, intéressant la même mention, peut être relevée dans l’arrêt sélectionné.

Faits et procédure. En l’espèce, la société Green Experiment, ayant pour gérant M. K., avait remis à la banque BNP Paribas un billet à ordre sur lequel M. K. avait porté son aval.

Le 9 décembre 2016, à la suite de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société, la banque avait assigné M. K. en paiement du montant du billet à ordre. Or, par un arrêt du 3 février 2022, la cour d’appel de Rouen (CA Rouen, 3 février 2022, n° 21/00573 N° Lexbase : A28177LW) avait condamné M. K. à payer à la banque une somme comme avaliste du billet à ordre.

M. et Mme K. avaient alors formé un pourvoi en cassation. Ils y rappelaient que la régularité du billet à ordre suppose qu’il soit daté. Toutefois, en l’espèce, il avait été constaté que la date initiale avait été biffée et qu’une autre date avait été apposée. Cette circonstance aurait donc dû rendre, pour les auteurs du pourvoi, le billet à ordre irrégulier.

Décision. Ce moyen parvient à convaincre la Cour de cassation. Cette dernière commence par rappeler qu’il résulte des articles L. 512-1, 6°, et L. 512-2 N° Lexbase : L6736AIC du Code de commerce que le titre dans lequel fait défaut l’indication de la date où il est souscrit ne vaut pas comme billet à ordre. Toute modification de la date initialement apposée, non approuvée par le souscripteur, équivaut à un défaut de date.

Or, pour condamner M. K. à payer, en sa qualité d’avaliste, le billet à ordre litigieux, l’arrêt de la cour d’appel de Rouen, après avoir relevé qu’il comportait une date raturée et une date rajoutée d’une écriture différente de celle ayant apposé les autres mentions, avait retenu que la seconde date avait manifestement annulé et remplacé la précédente, qui correspondait à un jour non ouvré, sans rendre incertaine la date du billet à ordre et sans vicier celui-ci, puisqu'elle n'affectait d’aucune ambiguïté la date de création du titre correspondant à celle de remise des fonds.

Dès lors, en statuant ainsi, alors qu’un billet à ordre, sur lequel figure la mention d’une première date ensuite raturée, puis d’une seconde date ajoutée au-dessus par une autre personne que le souscripteur dans des conditions indéterminées, doit être considéré comme dépourvu de date, de sorte qu’il ne valait pas titre cambiaire et que, par voie de conséquence, l’aval donné sur ce titre était irrégulier, la cour d'appel, qui n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations, avait violé les textes précités. La cassation est ainsi prononcée.

Observations. Cette solution est importante. D’une part, elle démontre qu’une erreur de date sur un billet à ordre ne peut pas faire l’objet d’une modification directe sur le titre. Cela aura une incidence sur la validité de l’effet de commerce. D’autre part, elle rappelle que l’aval porté sur un billet à ordre irrégulier au sens des articles L. 512-1 et L. 512-2 du Code de commerce ne saurait produire effet.

Sur ce point, une décision ancienne avait considéré que cet aval aurait pu constituer un cautionnement s’il avait répondu aux prescriptions des articles anciens L. 331-1 N° Lexbase : L1165K7B et L. 331-2 N° Lexbase : L1164K7A du Code de la consommation (v. Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-19.627, FS-P+B N° Lexbase : A3795INU). Dans notre décision, la Haute juridiction ne souhaite clairement plus évoquer le cas du cautionnement.

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