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par Vincent Vantighem
le 08 Mars 2024
Ce n’est pas tous les jours que la procureure générale de Paris se fend d’un communiqué de presse. Mardi 5 mars, Marie-Suzanne Le Quéau a pris sa plus belle plume pour s’adresser aux médias. Aucune information essentielle. Il s’agissait d’abord de rendre compte des condamnations prononcées, le jour même par la cour d’appel de Paris, dans le dossier dit « Wildenstein ». Mais surtout de marquer le coup après des années d’errances procédurales.
Certes, les héritiers de la famille Wildenstein ont toujours la possibilité de former un pourvoi en cassation et de prolonger encore l’aventure judiciaire. Mais la décision prononcée, mardi 5 mars, vient clore l’un des chapitres les plus extraordinaires de la fraude fiscale de grande ampleur. Après avoir bénéficié de deux relaxes, les héritiers de la riche famille de marchands d’art Wildenstein et leurs conseillers ont, en effet, été condamnés pour une fraude fiscale qualifiée de « hors norme » par le parquet général. Dans leur arrêt, les magistrats de la cour d’appel ont jugé qu’une grande partie du patrimoine considérable de la famille avait, ainsi, été dissimulée au fisc à travers des trusts de droit anglo-saxon, à l’occasion des successions du patriarche Daniel Wildenstein, décédé en 2001, et de son fils Alec Junior, décédé en 2008.
En prononçant la sentence, le président de la cour d’appel n’a pas manqué de souligner « l’ampleur » et la « sophistication » de la fraude. Un spécialiste de ce genre de dossier en rigolait, il y a encore peu de temps : « Dans le milieu, on se demande toujours qui de Patrick Balkany ou de François Fillon a réussi la plus belle arnaque avant de se faire prendre… La vérité, c’est que ce n’était rien à côté des Wildenstein ! Ça, c’était vraiment de l’orfèvrerie fiscale. Un système impressionnant », témoignait-il sous couvert d’anonymat.
Un ranch, des chevaux de course et des tableaux de maîtres
Pour bien comprendre ce dossier, il faut d’abord parler de la fortune colossale de la famille Wildenstein. Qui leur vaut de figurer dans le gotha mondial de plus riches. D’abord dans le milieu de l’art où ils possèdent des tableaux à faire pâlir d’envie n’importe quel musée au monde. Bonnard, Fragonard, Le Caravage… Mais aussi dans le domaine des courses où ils ont acquis les cracks les plus célèbres des hippodromes. Sans parler d’un ranch incroyable au Kenya que tous ceux qui ont vu Out of Africa connaissent bien, puisqu’il sert de cadre au film.
Une fortune colossale donc que les Wildenstein ont tenté de dissimuler au fisc. Depuis 2014, les impôts réclament ainsi un total de 550 millions d’euros à cette famille. Bien conseillés, les Wildenstein avaient placé cette fortune dans des trusts de droit anglo-saxon au décès du patriarche, Daniel, en 2001. Le principe est simple : le propriétaire place ses biens dans un trust géré par une personne de confiance. Il y avait là le « Son Trust », le « Delta Trust », le « Sylvia Trust »… Le tout permettant d’échapper à l’impôt. C’est en tout cas ce que deux premières décisions de justice avaient estimé avant que la Cour de cassation ne mette son nez dans les affaires et ordonne un nouveau procès en appel.
Des lourdes condamnations même pour les conseillers
C’est donc à l’issue de celui-ci que les Wildenstein ont finalement été condamnés. Et pas avec le dos de la cuillère. « Cette fraude est particulièrement délétère car elle remet en cause l’égalité devant l’impôt de tous les contribuables, en laissant croire que les plus puissants et les mieux conseillés peuvent y échapper », a ainsi taclé le président de la cour d’appel.
Avant de sanctionner, en allant au-delà des réquisitions du ministère public : quatre ans de prison dont deux années de prison ferme aménagées sous la forme d’une détention à domicile sous bracelet électronique et une amende d’un million d’euros pour Guy Wildenstein ainsi que la confiscation de près de 3,5 millions d’euros ; deux années de prison avec sursis pour son neveu Alec et trois mois de prison avec sursis pour Liouba Stoupakova, qui avait alerté la justice mais a été condamnée pour « complicité ».
Au-delà de la famille, ce sont aussi et surtout leurs conseillers qui ont passé une mauvaise journée. Deux avocats et un notaire se sont ainsi vu infliger des peines allant d’un an de prison avec sursis à dix-huit mois ferme. De quoi faire passer l’envie à tous ceux qui seraient tentés de s’inspirer du système pour échapper à l’impôt.
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