La lettre juridique n°543 du 10 octobre 2013 : QPC

[Jurisprudence] Le Conseil constitutionnel et la liberté de communication syndicale

Réf. : Cons. const., décision n° 2013-345 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8224KL8)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 10 Octobre 2013

Si on devait juger de la réussite de la procédure de QPC en droit du travail au regard du nombre des dispositions abrogées, le bilan serait rapidement dressé car il est (presque) nul. Faut-il le regretter, ou observer que cette maigre récolte prouve que les dispositions législatives en vigueur sont, dans leur immense majorité, conformes à la Constitution et que les modes de contrôle classiques suffisent ? La saisine du Conseil constitutionnel présente, pour le juriste du travail, un autre avantage, celui de permettre l'enrichissement d'une jurisprudence jusque là assez rare. C'est ainsi que dans une nouvelle décision en date du 27 septembre 2013, le Conseil constitutionnel consacre la notion de "liberté de communication syndicale" et considère logiquement comme conformes les dispositions de l'article L. 2142-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2166H94) qui subordonnent l'accès à la messagerie et à l'intranet de l'entreprise à la conclusion d'un accord d'entreprise.
Résumé

En confiant à un accord d'entreprise le soin d'autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise, le législateur n'a pas opéré de conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la liberté de communication des syndicats et, d'autre part, la liberté tant de l'employeur que des salariés.


I - Constitutionnalité de l'article L. 2142-6 du Code du travail

Question transmise. L'article L. 2142-6 du Code du travail dispose qu'"un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail. L'accord d'entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message".

Le 11 juillet dernier, la Chambre sociale de la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une QPC formulée en ces termes : "la rédaction de l'article L. 2142-6 du Code du travail en ce qu'elle subordonne la diffusion de tracts de nature syndicale sur la messagerie électronique de l'entreprise à un accord d'entreprise ou à un accord de l'employeur est-elle conforme à l'alinéa 6 (liberté syndicale) du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) et à l'article 11 (liberté de communication) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1358A98) ?" (1).

La question avait été jugée suffisamment sérieuse pour être transmise, la Haute juridiction considérant que "la disposition subordonnant l'utilisation par les syndicats d'un moyen de communication actuel et devenu usuel à une autorisation ou à un accord de l'employeur étant de nature à affecter l'efficacité de leur action dans l'entreprise et la défense des intérêts des travailleurs".

Disposition validée. Comme on pouvait s'y attendre (2), l'article L. 2142-6 du Code du travail ressort indemne de ce contrôle, voire renforcé puisque désormais, sauf changement de circonstances, il ne pourra plus être remis en cause par une nouvelle QPC.

Pour le Conseil constitutionnel, en effet, "le législateur n'a pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d'une part, la liberté de communication des syndicats et, d'autre part, la liberté tant de l'employeur que des salariés", et "les dispositions de l'article L. 2142-6 du Code du travail [...] ne méconnaissent ni la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit".

II - Consécration de la notion de "liberté de communication syndicale"

Liberté de communication syndicale. On sait que la liberté syndicale couvre le droit d'adhérer, ou non à un syndicat (3), mais également le droit à "l'action syndicale", pour reprendre les propres termes de l'alinéa 6 du Préambule de 1946 et au titre duquel il convient d'envisager l'examen de la question (4).

Ces derniers mois, le principe de liberté syndicale a été très souvent invoqué dans le cadre de la QPC contre de nombreux aspects de la réforme de la démocratie sociale, mais toujours en vain (5).

Cette fois-ci, la QPC mettait en cause des dispositions issues de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8) (article 52).

Il s'agissait ici d'une déclinaison particulière de la liberté syndicale, dénommée de manière inédite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, "liberté de communication syndicale".

Le Conseil constitutionnel reconnaît tout d'abord implicitement qu'il y a bien atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation en subordonnant l'accès aux ressources électroniques de l'entreprise, pour les syndicats ayant constitué une section syndicale, à la conclusion d'un accord collectif ; on sait d'ailleurs que la Cour de cassation considère qu'en dehors d'un tel accord les syndicats n'ont aucun droit d'accès à l'intranet ou à la messagerie de l'entreprise (6).

Cette atteinte est toutefois justifiée par le désir d'adapter à chaque entreprise "les modalités de la communication syndicale par la voie électronique et, en particulier, à l'organisation du travail et à l'état du développement de ses moyens de communication". En d'autres termes, l'accès aux ressources électroniques de l'entreprise nécessite qu'un accord soit trouvé avec l'employeur, ne serait-ce que pour des raisons pratiques et pour assurer la sécurité des données électroniques de l'entreprise, cet accord relevant alors naturellement du champ de la négociation collective.

Le Conseil observe d'ailleurs, tout aussi justement, qu'en l'absence d'accord les syndicats ne sont pas privés de tout moyen de communication car ils disposent toujours des moyens traditionnels mis à leur disposition depuis les origines (tracts papier, affiches, réunions), de même qu'ils peuvent adresser des messages électroniques aux salariés de l'entreprise en utilisant des ressources extérieures à l'entreprise (7) ; l'atteinte réalisée par l'exigence d'un accord produit ainsi, au pire, une atteinte à la liberté de communication syndicale qui demeure proportionnée.

Le Conseil considère également que cette atteinte est proportionnée car elle réalise un équilibre satisfaisant entre les intérêts des syndicats (liberté syndicale) et des salariés (principe de participation) d'un côté, et ceux de l'entreprise (liberté de l'activité professionnelle), "exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne doit pas entraver l'accomplissement du travail" et des salariés non syndiqués (liberté syndicale négative, droit de refuser les messages).

Liberté d'expression syndicale. On peut penser qu'en raisonnant sur la "liberté de communication syndicale" le Conseil constitutionnel a raisonné de manière cumulative sur la liberté syndicale et sur la liberté de communication. Or, il n'en est rien car si le Conseil a bien visé l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen aux côtés des alinéas 6 et 8 du Préambule de 1946, pour élaborer son raisonnement sur la "liberté de communication syndicale", il a réservé un considérant spécifique (cons. n° 7) à la "liberté de communication", fondée sur l'article 11 de la Déclaration de 1789, pour balayer le grief sans véritablement s'en justifier (8). Il faut dire que la liberté de communication des syndicats, dans la sphère publique, n'était pas en cause dans cette affaire, ce qui justifie que l'argument soit aussi rapidement écarté (9).


(1) Cass. soc., 11 juillet 2013, n° 13-40.021, F-P+B (N° Lexbase : A6677KI7) ; v. nos obs., Le législateur peut-il confier à un accord d'entreprise le soin de prévoir le recours à la messagerie électronique et à l'intranet de l'entreprise ? Lexbase Hebdo n° 537 du 25 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8164BTK).
(2) En ce sens v. nos obs., préc..
(3) Décision n° 2010-68 QPC du 19 novembre 2010, (N° Lexbase : A9735GIE) (Représentation des professions de santé libérales). Cela correspond à l'approche de l'OIT.
(4) La section 4 intitulée "Affichage et diffusion des communications syndicales", au sein de laquelle se trouve l'article L. 2142-6, se trouve en effet intégrée dans un Titre IV intitulé "Exercice du droit syndical".
(5) Seuil d'audience de 10 % des syndicats (Cons. const., décision n° 2010-42 QPC du 7 octobre 2010 N° Lexbase : A2099GBD, audience personnelle des délégués syndicaux) (Cons. const., décision n° 2010-63/64/65 QPC du 12 novembre 2010 N° Lexbase : A4181GGX : régime de la représentativité des syndicats catégoriels, représentants syndicaux dans les comités d'entreprise dont l'effectif est d'au moins 300 salariés) (Cons. const., décision n° 2011-216 QPC du 03 février 2012 : désignation du représentant syndical au comité d'entreprise), ancienneté de deux ans exigée pour la création d'une section syndicale (Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 11-40.072, FS-P+B N° Lexbase : A4887H3E).
(6) Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 02-30.946, FS-P+B (N° Lexbase : A2904DGN).
(7) Comme l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation, il ne s'agit alors pas d'une "diffusion" au sein de l'entreprise ; v. nos obs. préc..
(8) Sur l'analyse de cette liberté v. nos obs., préc..
(9) Sur la responsabilité d'un syndicat diffusant sur son site internet des informations confidentielles concernant une entreprise : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-18.907, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1954D7I). L'avocat général, lors de l'examen de la transmission de la question au Conseil, avait d'ailleurs considéré ici que l'article 11 de la Déclaration de 1789 était inapplicable.

Décision

Cons. const., décision n° 2013-345 QPC du 27 septembre 2013 N° Lexbase : A8224KL8)

Texte validé : C. trav., art. L. 2142-6 (N° Lexbase : L2166H94)

Mots-clés : QPC, droit syndical, liberté d'expression

Liens base : (N° Lexbase : E2630ETL)

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