La lettre juridique n°543 du 10 octobre 2013 : Éditorial

Cigarettes électroniques : l'effet papillon d'une action en concurrence déloyale

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


On s'attendait à une salve des "barons" du tabac afin de précipiter la chute de la toute nouvelle industrie des cigarettes électroniques ; finalement, la première estocade judiciaire aura été portée par un "simple" buraliste de Haute-Garonne, échaudé de voir se développer, non loin de son échoppe, un nouveau commerce de proximité lui faisant concurrence -estime-t-il-, à l'heure où la vente de tabac diminue encore de 9 % au premier trimestre 2013. Sans doute, la position des manufacturiers de tabac est-elle inconfortable, d'abord, parce que leur mauvaise image publique pourrait décrédibiliser l'action ainsi intentée et, finalement, confirmer le caractère alternatif de l'e-cigarette à la consommation traditionnelle de tabac et de nicotine, montrant publiquement qu'ils sont sur la défensive ; ensuite, parce que l'épilogue de cette histoire pourrait, à terme, voir ces grands industriels mondiaux, et principalement américains, prendre possession, eux-mêmes, de ce tout nouveau marché dominé actuellement par la Chine, et qu'il ne faut pas insulter l'avenir en hypothéquant totalement le futur de ce nouveau marché (plus de 500 000 consommateurs rien qu'en France en deux ans).

Mais, pour revenir au coeur de la problématique exposée par notre buraliste toulousain, l'action en concurrence déloyale ainsi orchestrée, bien qu'une première, n'en est pas moins des plus évidentes -ce qui ne signifie pas que la solution jurisprudentielle le soit pour autant-. En effet, on se souvient que le ministre de la Santé avait, en mai 2013, affirmé tout de go que la publicité en faveur des cigarettes électroniques était interdite, par l'effet même de la loi "Evin", et qu'une simple circulaire permettrait rapidement de mettre fin aux atermoiements sur la question. L'Arlésienne circulaire est toujours attendue -faute d'existence légale même du produit ainsi incriminé, en droit français- ! Et le buraliste constatant que son voisin faisait la promotion de ses nouveaux produits sur sa devanture commerciale et sur internet, estima, dès lors, sur les conseils avisés de son avocat, d'une part, que la boutique en cause se livrait à une publicité illicite, et, d'autre part, qu'elle se livrait à une activité concurrente à la sienne, lui portant ainsi préjudice, alors qu'il pensait avoir un monopole de distribution et de commercialisation des cigarettes et produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac (CGI, art. 564 decies).

Cette action judiciaire, sur le terrain du droit commercial, plutôt que sur celui de la santé publique, est des plus judicieuses, parce qu'elle va forcer le juge à statuer sur la nature même de ces cigarettes électroniques, que certains commerçants et utilisateurs appellent, par néologisme, "vapoteurs", afin de démarquer le produit de son ascendant sulfureux. En effet, comme des res nullius, les autorités, comme les médecins et les juristes, peinent à le catégoriser et sont divisés sur la nature de ce nouveau produit que l'on ne fume pas, mais inhale, qui peut ou non contenir de la nicotine, qui n'est pas un médicament mais qui peut servir de substitut au tabac, voire, selon certains, favoriser l'arrêt de sa consommation. Pour autant, la terminologie courante du produit est trompeuse ("cigarette électronique" ou "e-cigarette"), sa forme et sa gestuelle d'utilisation rappellent passablement celle d'une cigarette traditionnelle et, dernières études scientifiques en date, l'e-cigarette contiendrait des substances toxiques voire cancérigènes, bien qu'en moindre quantité que la cigarette traditionnelle. C'est dire que le sujet est sensible sur le plan de la santé publique ; à tel point que, hasard ou non du calendrier, le même jour, le 8 octobre 2013, le Parlement européen votait l'interdiction de la vente des cigarettes électroniques aux mineurs, ainsi que sa publicité, tout en laissant le produit en vente libre.

Bien entendu, le moyen invoqué dans le cadre de l'action en concurrence déloyale n'aura que faire de savoir si les cigarettes électroniques doivent ou non être considérées comme des médicaments, la question ayant d'ailleurs été tranchée par la négative par les autorités sanitaires françaises (ANSM) dans un avis de mai 2011, bien que l'OMS ne soit pas catégorique non plus sur les effets du produit en cause. En revanche, on sait que la concurrence déloyale peut être caractérisée alors même que les entreprises en cause évoluent sur deux marchés distincts, à partir du moment où l'une porte préjudice à une autre en utilisant notamment des signes distinctifs bien connus de la seconde ; et l'on a vu combien les ressemblances étaient troublantes. Or, cette concurrence apparaîtrait déloyale en ce que, d'une part, la vente de cigarettes électroniques n'est pas réglementée, contrairement au cigarettes traditionnelles, et d'autre part, sa publicité n'est pas, dans les faits, interdite, alors que celle du tabac manufacturé est rigoureusement illicite et surveillée -au point de condamner toute publicité même indirecte en faveur du tabac, lors des compétitions sportives, voire lors de la remise d'un prix scientifique...-. Or, selon le Code de la santé publique, sont considérés comme produits du tabac, dont la publicité est interdite, les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu'ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux, au sens du troisième alinéa (2°) de l'article 564 decies du Code général des impôts. Nous ne sommes donc pas ici en terra incognita. Et, le champ d'application de cette interdiction est si large, si on englobe en plus la publicité indirecte favorisant par une similitude troublante, la consommation du tabac, qu'il n'aurait pas de mal à comprendre les cigarettes électroniques.

En dehors de l'issue judiciaire de cette action en concurrence déloyale qui pourrait en inspirer bien d'autres, la question de la libre commercialisation des cigarettes électroniques pose, évidemment, un réel problème d'hypocrisie. Le Parlement, à la suite des Etats européens, a beau jeu de laisser les cigarettes électroniques en vente libre, et notamment sur internet, mais en reconnaissant leur toxicité par une interdiction de commercialisation aux mineurs et de publicité, il fait entrer ce nouveau produit dans une zone d'ombre, sujette à polémique et contentieux à répétition, que l'on connaît pourtant bien et dans laquelle errent depuis quelques années, maintenant, des produits comme l'alcool et le vin. Débute alors, pour ces nouveaux commerçants, un chemin de croix pour promouvoir leur nouveau produit sur la crête de la publicité interdite -encore que cet encadrement législatif qui sera applicable dans l'Union sera difficilement effectif sur les sites de commercialisation extra-européens, basés dans des pays moins précautionneux en matière de santé publique-.

Il ne manquerait plus que l'inhalation des cigarettes électroniques soit interdite dans les lieux publics, alors qu'il semble qu'elle ne présente aucun risque sur l'entourage assimilable à un tabagisme passif, et l'e-cigarette pourrait bien connaître le cycle de vie d'un papillon, flamboyant, captivant, mais éphémère.

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