Réf. : Cass. civ. 1, 31 janvier 2024, n° 22-21.656, F-D N° Lexbase : A23422KX
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par Pascal Dupont - Docteur en droit et Ghislain Poissonnier – Magistrat
le 14 Février 2024
Mots-clés : transport aérien • Règlement n° 261/2004 • vol annulé • vol avancé de plus d’une heure • indemnisation des passagers
Dans un arrêt du 31 janvier 2024, la Cour de cassation énonce la règle selon laquelle, en application des dispositions du Règlement (CE) n° 261/2004, telles qu'interprétées par la CJUE, un vol est considéré comme étant « annulé » lorsque le transporteur aérien effectif avance ce vol de plus d'une heure. Par la même occasion, elle ajoute que les passagers d'un vol annulé ont droit en ce cas et sous certaines conditions, à une indemnisation du transporteur aérien qu’il convient de préciser.
Compte tenu des impératifs de rentabilité auxquels sont confrontés les compagnies aériennes dans un contexte de concurrence exacerbée, il est fréquent que les passagers aériens soient victimes, entre autres aléas, de refus d’embarquement dans le cadre de la pratique des surréservations (overbooking en anglais et non surbooking en franglais), d'annulations de vols ou de retards de vols. Dans le sillage de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la Cour de cassation a adopté une jurisprudence favorable aux passagers aériens afin que leurs droits garantis par le Règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol N° Lexbase : L0330DYU, soient effectivement mis en œuvre.
Il est moins courant que les passagers aériens soient victimes d’un autre type d’aléa, à savoir un vol avancé par le transporteur. Toutefois, l'avancement de l'horaire de vol devient une pratique qui se répand, en particulier dans les vols affrétés (charters) mais aussi chez les transporteurs à bas coûts (low cost). Alors que la CJUE s’est déjà prononcée le 21 décembre 2021 [1] sur cette pratique, la Cour de cassation n’avait, à notre connaissance, jamais eu à traiter du sujet. C’est chose faite depuis un arrêt du 31 janvier 2024, la Cour se prononçant sur la qualification à donner d'un vol dont l'heure de départ a été avancée par le transporteur aérien effectif.
Les faits de l’affaire dont la Cour a été saisie étaient simples. Un particulier a acheté plusieurs billets d'avion de la société Volotea S. L. pour sa famille pour un vol prévu le 16 août 2021 à 15h35 et un autre le 27 août 2021.
La société Volotea SL, dont le siège est en Espagne tout en ayant un établissement en France, est une compagnie aérienne à bas coûts fondée en 2012. Son siège social est situé à l'aéroport des Asturies et sa principale base opérationnelle est située à l'aéroport de Nantes Atlantique. Volotea Airlines relie principalement des capitales régionales et des petites et moyennes villes en Europe.
Soutenant que l'horaire du premier vol avait été avancé à 10h30, de sorte que lui-même et les membres de sa famille n'avaient pu le prendre et que ses billets pour le second avaient été annulés, le particulier a attrait le transporteur aérien en indemnisation sur le fondement du Règlement (CE) n° 261/2004.
Par jugement du 8 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nantes a rejeté ses demandes d'indemnisation au titre du vol prévu le 16 août 2021. Pour rejeter les demandes indemnitaires formulées par le requérant, le tribunal judiciaire a considéré que le particulier ne rapportait aucunement la preuve de l'annulation ou du retard des vols réservés.
Le particulier a formé un pourvoi contre le jugement rendu en dernier ressort par le tribunal judiciaire de Nantes.
Il a invoqué, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation tenant à la contradiction, au regard de la règle applicable, entre les faits énoncés et la solution retenue. Le 31 janvier 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt, qui casse le jugement et renvoie l’affaire devant le tribunal judiciaire de Nantes autrement composé.
À cette occasion, la Cour a énoncé la règle selon laquelle, en application des dispositions du Règlement (CE) n° 261/2004, telles qu'interprétées par la CJUE, un vol est considéré comme étant « annulé » lorsque le transporteur aérien effectif avance ce vol de plus d'une heure (I). Par la même occasion, elle ajoute que les passagers d'un vol annulé ont droit en ce cas et sous certaines conditions, à une indemnisation du transporteur aérien qu’il convient de préciser (II).
I. Un vol avancé de plus dune heure est un vol annulé
Pour rejeter les demandes indemnitaires formées, le tribunal judiciaire a considéré que le passager ne rapportait pas la preuve de l’annulation ou du retard des vols réservés, de sorte que les dispositions du Règlement (CE) n° 261/2004 ne peuvent s’appliquer.
Pourtant, le jugement rendu relevait que le vol aller était initialement prévu à 15h35 le 16 août 2021 au regard des réservations et qu’il était produit un mail de la compagnie aérienne reçu à 13h06 le 16 août 2021 indiquant que le vol avait été avancé à 10h30. Il résultait donc de ces motifs que le vol devait être considéré comme annulé au sens des textes et entraîner les conséquences indemnitaires prévues par ceux-ci. Il y avait ainsi une contradiction entre les faits relevés par le juge et la solution adoptée. Le tribunal judiciaire n'a pas tiré les conséquences légales que ses constatations imposaient au regard du Règlement (CE) n° 261/2004. La Cour de cassation précise que le jugement a violé les articles 2 et 5 de ce Règlement.
L’article 2 du Règlement (CE) n° 261/2004 dédié aux « définitions » précise qu’une « annulation » est « le fait qu'un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n'a pas été effectué ». Et son article 5 dédié aux « annulations » détaille les droits des passagers aériens victimes d’une annulation de vol.
En interprétant de manière combinée ces deux dispositions, la CJUE a jugé dans la décision précitée qu’un vol avancé doit être considéré comme « annulé » lorsque le transporteur aérien effectif avance celui-ci de plus d’une heure.
En effet, dans un tel cas, l’avancement d’un vol doit être considéré comme important en ce qu’il peut donner lieu à des désagréments sérieux pour les passagers, au même titre qu’un retard [2].
Le juge européen a estimé qu’un tel évènement doit être considéré comme important en ce qu'il peut donner lieu à des désagréments pour le moins sérieux pour les passagers, au même titre qu'un retard de vol. En effet, l'avancement de l'horaire de vol fait perdre aux passagers la possibilité de disposer librement de leur temps ainsi que d'organiser leur voyage ou leur séjour en fonction de leurs attentes. Le passager peut notamment se voir contraint de s'adapter de manière significative à la nouvelle heure de départ de son vol afin de pouvoir prendre celui-ci ou même, quoiqu'ayant pris toutes les précautions requises, ne pas être en mesure d'embarquer dans l'avion [3]. Dans son arrêt du 31 janvier 2024, la Cour de cassation a repris ainsi à l’identique la solution dégagée par le juge européen.
Il existe donc deux seuils horaires (par rapport à l'heure de départ du vol initialement prévue) à dépasser pour que les droits indemnitaires prévus par le Règlement (CE) n° 261/2004 commencent à s'appliquer : un retard de plus de trois heures (depuis l'arrêt « Sturgeon » [4]) et un avancement de plus d'une heure.
Il est cependant important de rappeler que tout vol avancé de plus d'une heure n'est pas forcément un vol annulé au sens du Règlement (CE) n° 261/2004 [5]. Il en est ainsi dans trois hypothèses :
En ces cas, la charge de la preuve de la délivrance d'une information anticipée et adaptée à la situation pèse sur le transporteur aérien.
II. Les modalités de l’indemnisation du passager en cas de vol avancé/annulé.
Le juge européen avait fondé son raisonnement sur l’idée qu’un avancement de plus d’une heure d’un vol entraîne de sérieux inconvénients pour le passager : perte de temps et souvent d’argent, désorganisation en termes d’emploi du temps. En toute logique, ces conséquences néfastes doivent se traduire par l’exécution d’obligations pesant sur le transporteur aérien, sous forme d’assistance (droit au remboursement et au réacheminement), de prise en charge (restauration, hébergement, transport, communications), d’information et d’indemnisation conformément au Règlement (CE) n° 261/2004.
Le vol avancé de plus d'une heure étant un vol annulé (ce qui suppose une information tardive de l'avancement), il s'en déduit que le transporteur aérien effectif doit a minima proposer au passager concerné [6], d'une part, une assistance comprenant un droit au remboursement ou au réacheminement [7] – qui peut comprendre une prise en charge [8] – et, d'autre part, une indemnisation [9]. Sauf survenance de circonstances extraordinaires, les compagnies aériennes sont tenues de verser l'indemnisation pécuniaire prévue à l'article 7 du Règlement à moins d'avoir satisfait à l'exigence d'une information précoce des passagers pour permettre à ces derniers de ne pas subir de désagrément trop important. En revanche, quelle que soit la cause de l'annulation, l'obligation d'assistance reste maintenue.
Dans le cas d'un avancement important (plus d'une heure) du vol donnant droit à une indemnisation, le transporteur aérien effectif doit toujours payer le montant total (donc, selon la distance, 250, 400 ou 600 euros). Il ne dispose pas de la possibilité de réduire de 50 % l'éventuelle indemnité à payer au motif qu'il a proposé au passager un réacheminement qui permet à ce dernier d'arriver sans retard à sa destination finale [10].
Le Règlement (CE) n° 261/2004 attache par ailleurs, on le sait, une grande importance à l'information des passagers dont les vols sont annulés. Son considérant 12 indique ainsi qu'il convient « d'inciter les transporteurs à informer les passagers des annulations avant l'heure de départ prévue et en outre, leur proposer un réacheminement raisonnable, de sorte que les passagers puissent prendre d'autres dispositions. S'ils n'y parviennent pas, les compagnies aériennes devraient indemniser les passagers, sauf lorsque l'annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n'auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». L’information du passager est obligatoire et fort logiquement, un transporteur aérien qui n'est pas en mesure de prouver qu'un passager a été informé de l'annulation de son vol plus de deux semaines avant l'heure de départ prévue est tenu de l'indemniser [11]. De la même façon, un passager aérien qui n’est pas en mesure de prouver qu’il a informé le passager d’une offre de réacheminement doit l’indemniser spécifiquement, en sus de l’indemnisation forfaitaire [12]. Notons que l’information sur l’avancement du vol communiquée au passager avant le début du voyage peut constituer une « offre de réacheminement ».
La CJUE a relevé à cet égard qu’il ressort du Règlement (CE) n° 261/2004 qu’en cas d’annulation d’un vol assortie d’une offre de réacheminement, tout avancement d’une heure ou moins par rapport au vol initialement prévu est susceptible d’exonérer le transporteur aérien effectif de son obligation d’indemniser le passager. L’avancement de plus d’une heure ou d’une heure ou moins constitue donc la référence pour déterminer si l’avancement est important ou négligeable.
Enfin, un vol n’est pas considéré comme étant « annulé » lorsque le transporteur aérien effectif reporte l’heure de départ de celui-ci de moins de trois heures, sans apporter d’autre modification à ce vol [13]. Cette solution est conforme à la distinction faite par le règlement CE 261/2004 entre vol annulé et vol retardé, distinction à laquelle la CJUE est attachée [14]. Dès lors que les passagers sont transportés sur un vol retardé et que ce retard reste « raisonnable », le vol ne peut être considéré comme annulé que si le transporteur aérien assure le transport des passagers sur un autre vol et dont la programmation (ou l'itinéraire) diffère de celle du vol initialement prévu [15].
[1] CJUE, 21 décembre 2021, deux arrêts, aff. C-146/20, pt 87 N° Lexbase : A00177H4 et aff. C-263/20, pt 35 N° Lexbase : A00207H9, D., 2022, p. 595, note G. Poissonnier ; Dalloz Actualité, 27 janvier 2022, obs. P. Dupont.
[2] Règlement CE n° 261/2004, consid. 2 et 12.
[3] CJUE, 21 décembre 2021, deux arrêts, aff. C-146/20, préc. pts 81 à 83 et aff. C-263/20, préc., pts 31 à 33.
[4] CJUE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 et C-432/07, pt 35 N° Lexbase : A6589END, D., 2010. 1461, note G. Poissonnier et P. Osseland, et D., 2011, 1445, obs. H. Kenfack ; RTD com., 2010, 627, obs. Ph. Delebecque ; RTD eur., 2010. 195, chron. L. Grard, et RTD eur., 2015, 241, obs. P. Bures ; JCP G, 2009, Actu, 543, obs. F. Picod, et JCP G, 2010, 201, obs. J. Stuyk.
[5] Règlement n° 261/2004, consid. 12 et 13 et art. 5, § 1, c).
[6] Règlement CE n° 261/2004, art. 5.
[7] Règlement CE n° 261/2004, art. 8.
[8] Règlement CE n° 261/2004, art. 9.
[9] Règlement CE n° 261/2004, art. 7.
[10] CJUE, 21 déc. 2021, C-146/20, préc. pts 93-94.
[11] Règlement CE n° 261/2004, art. 5.
[12] CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-254/18 N° Lexbase : A8885Y8L, Dalloz Actualité, 27 septembre 2019, obs. X. Delpech ; D., 2019, 2117, note P. Dupont et G. Poissonnier ; JCP E, 2020, 1332, n° 8, obs. J. Heyman.
[13] CJUE, 21 décembre 2021, aff. C-395/20, préc. pts 21 à 23.
[14] CJUE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 et C-432/07, préc. – v. égal. CJUE, 4 juillet 2018, aff. C-532/17, pt 19 N° Lexbase : A6010XU7, D., 2018, 1436 ; RTD eur., 2019, 162 ; Gaz. Pal., 2 octobre 2018, n° 331y8, p. 14, note P. Dupont et G. Poissonnier.
[15] CJUE, 10 juillet 2008, aff. C-173/07, pt 40 N° Lexbase : A5464D9A – CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-83/10, pt 27 N° Lexbase : A7360HYA, D., 2012, 475, note G. Poissonnier ; RTD eur., 2012, 531, obs. L. Grard, et 666, obs. C. Aubert de Vincelles.
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