Le Quotidien du 12 février 2024 : Congés

[Brèves] Congés payés pendant les arrêts maladie : limiter légalement leur acquisition est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2023-1079 QPC, du 8 février 2024 N° Lexbase : A06482LL

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par Lisa Poinsot

le 19 Février 2024

Les dispositions du Code du travail limitant l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie sont déclarées conformes à la Constitution.

Contexte juridique. Depuis plusieurs mois, une insécurité juridique touche notamment l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie.

Droit du travail français. Le Code du travail n’assimile pas les arrêts pour maladie d’origine non professionnelle et les arrêts liés à un accident du travail ou une maladie d’origine professionnelle au-delà d’une année à du temps de travail effectif pour l’acquisition de jours de congés payés (C. trav., art. L. 3141-5 N° Lexbase : L6944K93).

Droit du travail européen. La Directive du 4 novembre 2023 N° Lexbase : L5806DLM prévoit un droit annuel à congés payés d’au moins 4 semaines sans différencier selon l’origine des absences, y compris en cas d’arrêt maladie.

Position de la Cour de cassation. Par trois arrêts en date du 13 septembre 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a écarté le droit du travail français au profit du droit de l’Union européenne, en matière de congés payés :

  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340, FP-B+R N° Lexbase : A47891GH : les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnels ou non-professionnels) ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler ;
  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638, FP-B+R N° Lexbase : A47951GP : en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an ;
  • Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529, FP-B+R N° Lexbase : A47921GL : le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congé payé doit être fixé à l'expiration de la période déterminée au cours de laquelle le salarié doit prendre ses congés payés dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement.

Position de la CJUE. L’État français a déjà été sanctionné en raison de cette non-conformité du droit national français à la Directive européenne (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10 N° Lexbase : A2471IB7). Récemment, la Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 9 novembre 2023 ne répond pas à la question de la durée de report applicable aux congés payés, mais présente des éléments de réponse concernant l'application d'un délai de report illimité des congés payés prévue par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 septembre 2023.

  • Sur la question de la durée de report raisonnable des congés payés :

Quelle doit être la durée de report applicable aux congés payés en cas de période de référence égale à 1 an ? La CJUE ne répond pas expressément à cette question. Elle se déclare incompétente pour définir la durée raisonnable de report du droit aux congés payés annuels. Selon elle, cette décision est du ressort de chaque État membre. Le rôle de la CJUE se limite en effet à s’assurer que les décisions prises au niveau national respectent les droits conférés par les normes européennes. Autrement dit, dès que le législateur national aura fixé la durée du report des congés payés, la CJUE pourra l'examiner afin de vérifier qu'elle n'est pas de nature à porter atteinte à ce droit au congé payé annuel.

  • Sur la question de l'application d'un délai de report illimité, prévue par la Cour de cassation, en l'absence de dispositions spécifiques réglementant ce droit de report :

En l’absence de dispositions spécifiques limitant expressément au sein du Code du travail ce droit au report, est-ce que l'application d'un droit de report illimité, prévue par la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2023, à défaut de dispositions conventionnelles sur le report, est conforme au droit de l'Union européenne ? La CJUE indique que les limites du droit de report doivent être prévues par la législation propre à chaque État membre. Elle rappelle néanmoins qu'une logique de cumul illimité de droits à congés payés ne répond pas à la finalité du droit à congés payés annuels. 

En outre, la CJUE précise que le droit de l'Union européenne ne s'oppose pas, en l'absence de dispositions conventionnelles, à ce que le législateur ou le juge national permette au salarié de demander pour deux périodes de référence consécutives, le bénéfice des congés payés acquis mais non pris en raison d'un arrêt maladie longue durée, si cette demande est réalisée dans un délai de 15 mois qui suit la fin de la période de référence. 

Position du Conseil constitutionnel. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité. Sont en débat les situations légales suivantes :

  • en cas d’absences pour maladie non professionnelle, le salarié n’acquiert aucun congé payé ;
  • en cas d’absences pour maladie professionnelle ou accident du travail, le salarié acquiert des congés payés, dans la limite d’un an.

Il est soutenu que ce que prévoit le Code du travail méconnait le droit à la santé et le droit au repos ainsi que le principe d’égalité devant la loi.

  • Sur la méconnaissance des droits à la santé et au repos :

Le Conseil constitutionnel met en exergue que la création de ces dispositions législatives avait pour finalité de protéger les salariés victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, en garantissant leur droit à congés payés pour une période limitée.

Dès lors, au regard de cet objectif, il était loisible au législateur d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non professionnelle. Il lui était également loisible de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d’un an. Le grief tiré de la méconnaissance du droit au repos a donc été écarté.

  • Sur la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi :

Le Conseil constitutionnel affirme que la maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié. Ainsi, au regard de l’objet de la loi, le législateur a pu prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension de leur contrat de travail. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi est écarté.

Conclusion. Le Conseil constitutionnel  décide que les dispositions légales contestées ne méconnaissent pas les droits à la santé et au repos ni le principe d’égalité devant la loi, de sorte qu’elles doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Conséquences pratiques. Il faut rappeler que le Conseil constitutionnel effectue un contrôle de constitutionnalité puisqu’il contrôle la conformité des lois au bloc de constitutionnalité. Il n’effectue donc pas de contrôle de conventionnalité (examen de la conformité des lois aux conventions internationales et européennes). Par conséquent, le Conseil constitutionnel n’avait pas à se prononcer sur la conventionnalité des dispositions litigieuses du Code du travail au droit de l’Union européenne en matière de congés payés, qui est le cœur même de l’insécurité juridique actuelle. Il semblerait donc que la position de la Cour de cassation puisse  être invoquée actuellement en cas de litige sur ce sujet. Il faudra attendre la position du législateur pour que cette saga prenne fin.

Pour aller plus loin :

  • v. infographie, INFO603, Les congés payés, Droit social N° Lexbase : X7382CNQ ;
  • lire Ch. Willmann, Acquisition de droits ou exercice des droits à congés payés : des risques judiciaires, en attendant une réforme législative, Lexbase Social, octobre 2023, n° 960 N° Lexbase : N7062BZL ;
  • lire aussi P. Pomerantz et P. Lopes, Congés payés et maladie : quels impacts et quelles solutions à la suite des arrêts du 13 septembre 2023 ?, Lexbase Social, octobre 2023, n°960 N° Lexbase : N7070BZU ;
  • v. ÉTUDE : Les congés payés annuels, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0003ETB ;
  • v. ÉTUDE : L’incidence de la maladie non professionnelle sur le contrat de travail, Les effets de la suspension du contrat pour maladie sur les congés, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3213ET8.

 

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