Le Quotidien du 14 février 2024 : Droit des personnes

[Brèves] Accouchement sous X : le juste équilibre entre le droit d’accès à ses origines et le droit à l’anonymat de la mère

Réf. : CEDH, 30 janvier 2024, Req. 18843/20, aff. Cherrier c/ France N° Lexbase : A56422HG

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[Brèves] Accouchement sous X : le juste équilibre entre le droit d’accès à ses origines et le droit à l’anonymat de la mère. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/104712288-0
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 07 Février 2024

► Après avoir relevé que la requérante a bénéficié, devant les juridictions internes, d’une procédure permettant de solliciter la levée du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments de manière contradictoire, la Cour conclut que l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que le juste équilibre entre le droit de la requérante de connaître ses origines et les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat n’a pas été rompu.

L’affaire concernait le refus du Conseil national de l’accès aux origines personnelles (CNAOP), opposé en 2012, de communiquer à la requérante, qui était née sous X en 1952, l’identité de sa mère biologique qui avait renouvelé sa volonté de ne pas révéler son identité en réponse à sa demande de lever le secret de ses origines. Le Conseil d’État avait validé le refus opposé par le CNAOP (CE 2° et 7° ch.-r., 16 octobre 2019, n° 420230, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9243ZRR).

La requérante avait alors introduit un recours devant la CEDH invoquant l’article 8 N° Lexbase : L4798AQR (droit au respect de la vie privée et familiale), pour dénoncer le refus du CNAOP de lui communiquer l’identité de sa mère biologique soutenant qu’il méconnaissait son droit d’accès à ses origines.

Dans sa décision rendue le 30 janvier 2024, la Cour européenne relève que le refus du CNAOP fondé sur l’obligation de respecter la volonté de la mère biologique est constitutif d’une ingérence dans la vie privée de la requérante. Pour déterminer si cette ingérence a emporté violation du droit au respect de la vie privée de la requérante, la Cour devait alors rechercher si cette décision était prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique.

En ce qui concerne le droit interne, la Cour relève que la réforme législative de 2009 a complété le système de réversibilité du secret de l’identité de la mère mis en place en 2002 en supprimant la fin de non-recevoir de l’action en recherche de maternité qui était opposé à l’enfant dont la mère avait accouché anonymement, de sorte que si l’enfant trouve l’identité de sa mère, il peut engager une action aux fins d’établissement de la filiation maternelle. La Cour note également que, par une décision du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le système de l’accouchement sous X en se fondant sur les exigences constitutionnelles de protection de la santé et en considérant qu’il était de nature à garantir un équilibre satisfaisant entre les « intérêts de la mère et ceux de l’enfant » (Cons. const., décision n° 2012-248 QPC, du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5087ILY).

En premier lieu, la Cour rappelle avoir déjà reconnu que les droits et intérêts en cause de deux adultes jouissant chacune de l’autonomie de sa volonté étaient difficilement conciliables.

En deuxième lieu, dans les arrêts « Odièvre c/ France » (CEDH, 13 février 2003, Req. 42326/98, Odièvre c/ France N° Lexbase : A9676A47) et « Godelli c/ Italie » (CEDH, 25 septembre 2012, Req. 33783/09, Godelli c/ Italie N° Lexbase : A3682ITK), la Cour n’a pas mis en cause la possibilité pour les États concernés de maintenir la faculté pour les femmes d’accoucher dans l’anonymat mais elle a jugé nécessaire qu’ils organisaient, en présence d’un tel système d’anonymat, une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci, et de demander des informations non identifiantes sur ses origines.

Il en résulte enfin, en troisième lieu, que la Cour ne voit pas de raison de remettre en question le point d’équilibre entre les droits trouvé par les autorités internes en l’espèce.

La Cour relève, d’une part, que le CNAOP a recueilli un certain nombre d’informations non identifiantes qu’il a transmises à la requérante qui lui ont permis de comprendre les circonstances de sa naissance.

Elle constate d’autre part, que la requérante a bénéficié d’une procédure devant les juridictions internes au cours de laquelle elle a pu faire valoir ses arguments de manière contradictoire.

Elle observe enfin qu’en se référant au choix du législateur de ne pas autoriser une levée inconditionnelle du secret de l’identité, le Conseil d’État a justifié sa décision par la finalité poursuivie par la réforme législative de 2002, à savoir la réalisation d’un compromis entre les droits et intérêts en jeu par le biais d’une procédure de conciliation visant à faciliter l’accès aux origines sans pour autant renier l’expression de la volonté et du consentement de la mère.

La Cour conclut que l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation et que le juste équilibre entre le droit de la requérante de connaître ses origines et les droits et intérêts de sa mère biologique à maintenir son anonymat n’a pas été rompu. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

On rappellera que la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique N° Lexbase : L4001L7C n'a apporté aucune modification au système de réversibilité du secret mis en place par la loi de 2002, concernant l'accouchement sous X. La seule disposition relative à ce régime donne compétence au CNAOP pour organiser un dispositif spécifique lorsqu'est diagnostiquée, chez une personne née dans le secret ou chez une mère qui a accouché dans le secret, une anomalie des caractéristiques génétiques (CASF, art. L. 147-2 5°) (c’est en revanche l’accès aux origines des personnes issues d’une PMA, qui a été consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021 ; v. A. Gouttenoire, C. Siffrein-Blanc, L’accès aux origines des personnes issues d’une PMA, consacré par la loi bioéthique du 2 août 2021, Lexbase Droit privé, septembre 2021, n° 878 N° Lexbase : N8825BYI).

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