Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 octobre 2023, n° 470394, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A62011PD
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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine
le 10 Janvier 2024
Mots-clés : plus-value • départ retraite • dirigeants • cession de titres • abattement
1.- En cas de cession de titres pour départ à la retraite, la plus-value privée générée est susceptible de bénéficier, actuellement, d’un abattement fixe de 500 000 euros.
L’application de ce régime est soumise à plusieurs conditions cumulatives (CGI, art. 150-0 D ter N° Lexbase : L9350LHR).
On rappellera, que le régime dans sa forme actuelle, vise les cessions effectuées entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2024.
Il s’applique aussi bien dans la situation où le cessionnaire opte pour l’application du barème progressif, que dans le cas où il est soumis au PFU.
2.- Parmi les conditions à remplir, certaines concernent le cédant, d’autres les titres de la société et enfin certaines concernent le cédant.
Au niveau du cédant, celui-ci doit notamment avoir exercé les fonctions de gérant d’une SARL ou d’une société en commandite par actions, d’associé en nom d’une société de personnes, de président, directeur général délégué, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions.
Il doit également avoir détenu au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société directement ou par l’intermédiaire d’une société interposée.
Ces conditions doivent être remplies pendant les cinq années précédant la cession.
Il doit cesser ses fonctions et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession.
Il ne doit pas détenir de la date de la cession et durant les trois années suivantes, de droit dans la société.
3.- La condition liée à l’exercice effectif de la fonction de direction est importante, de même que celle liée à la rémunération normale, celles-ci ayant donné lieu à un arrêt récent du Conseil d’État.
4.- Dans cette affaire, une personne physique a cédé l’intégralité des parts qu’elle détenait dans une SAS en juillet 2014, qui avait auparavant le statut de SARL, et dont il était le gérant. Il a fait application de l’article 150-0 D ter du Code général des impôts (départ à la retraite) dans son ancienne configuration qui permettait de bénéficier, outre l’abattement fixe de 500 000 euros, d’un abattement proportionnel renforcé pouvant aller jusqu’à 85 %.
L’administration fiscale a remis en cause ces deux abattements. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande en décharge des suppléments d’impôts formulée par cette personne physique. La cour administrative d’appel de Paris a confirmé le jugement et ainsi le redressement.
5.- C’est ainsi que l’affaire arrive devant le Conseil d’État suite au pourvoi de cette personne physique.
Dans cette affaire, notre contribuable avait perçu 7 000 euros de rémunération en 2012, 14 000 euros en 2013 et rien en 2014.
D’autre part, la société dont les titres ont été cédés avait délégué à deux autres sociétés les activités de : recherche, gestion des paiements, d’entretien et de maintenance et de recrutement du personnel, du développement commercial en garantissant un résultat brut d’exploitation.
Le Conseil d’État a ainsi déduit que d’une part, les fonctions de direction n’étaient pas exercées par l’associé cédant, et que d’autre part la rémunération n’était pas normale.
6.- Ces deux points, s’ils ne sont pas nouveaux, demeurent intéressants sur les éventuelles conséquences qu’ils peuvent avoir sur d’autres dispositifs, et notamment en faisant le lien avec les problématiques entourant les conventions de management fees.
Sur le terrain de la rémunération, le Conseil d’État se réfugie derrière le pouvoir souverain des juridictions du fond.
7.- Dans cette affaire, la CAA de Paris avait considéré que « la circonstance que l'administration n'a pas apporté d'éléments relatifs à des niveaux de rémunération de gérant dans des sociétés comparables est sans incidence sur le bien-fondé du redressement en litige » (CAA Paris, 10 novembre 2022, n° 21PA02884 N° Lexbase : A41358SX).
La position de la CAA de Paris ne surprendra pas dans la mesure où d’autres juridictions du fond ont pu avoir une position similaire.
On pense notamment à un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 14 mars 2023 (CAA Bordeaux, 14 mars 2023, n° 21BX01166 N° Lexbase : A74219HC).
Dans cette affaire, la juridiction du fond avait relevé qu’un dirigeant avait perçu en 2012 une rémunération de 17 650 euros et qu’il n’a pas déclaré d’autres rémunérations au cours des 5 années précédant la cession, en contrepartie de l’exercice de ses fonctions de direction. Le contribuable tentait vainement d’invoquer le versement de dividendes, devant être pris en compte. Là encore, la juridiction du fond écarte l’argument en expliquant clairement que les sommes sont versées en raison de la qualité d’associés et non en qualité de dirigeant. Peu importe d’ailleurs que ces dividendes soient soumis à cotisation sociale comme l’indique la cour administrative d’appel. On peut néanmoins regretter l’absence de précisions concernant la méthodologie à employer afin d’apprécier le caractère normal de la rémunération.
D’autres juridictions et notamment la cour d’appel de Douai ont pu préciser la méthode (CA de Douai, 20 octobre 2003 n° 02-439). On rappellera également qu’en matière d’IFI, pour l’appréciation du caractère normal de la rémunération, la doctrine administrative précise : « L’administration doit ensuite comparer la rémunération des dites fonctions avec celle des autres dirigeants - statutaires ou salariés - de l’entreprise afin de déterminer si la rémunération perçue est en adéquation avec l’importance des fonctions effectivement exercées » (BOI-PAT-IFI-30-10-30-10, n° 240 N° Lexbase : X1262AUB).
La position du Conseil d’État est gênante, dans la mesure où certes, celui-ci se réfugie derrière la souveraineté de la juridiction du fond, cependant cela le sentiment qu’en tant que tel, une faible rémunération peut constituer une anormalité.
8.- Concernant la délégation des fonctions de direction, la doctrine administrative précise : « Les fonctions de direction doivent être effectivement et personnellement exercées par le cédant.
Ainsi, il doit consacrer à ses fonctions une activité et des diligences constantes et réelles (par exemple, dans les sociétés : animation effective de l'activité des directeurs fonctionnels salariés, signature des actes et documents essentiels, contacts suivis avec les représentants du personnel, les principaux clients ou fournisseurs, etc.) » (BOI-RPPM-PVBMI-20-40-10-40, n° 50 N° Lexbase : X0306CKK).
La délégation des fonctions de direction pose ainsi des difficultés évidentes.
La CAA de Paris avait validé le redressement notamment au motif qu’« il ne résulte pas de l'instruction que cette activité, qui ne s'étend pas à la conduite et à la réalisation de l'activité courante de la résidence, puissent être assimilées à l'exercice normal des fonctions de gérant ».
Ici, force est de constater que le dirigeant avait beaucoup délégué.
9.- La question de l’exercice d’une fonction de direction par un tiers peut permettre de faire le parallèle avec les jurisprudences récentes en matière de convention de management fees, tant sur le plan juridique, que fiscale.
D’un point de vue juridique, la chambre commerciale a eu l’occasion d’indiquer que le risque de « doublon » entre la fonction de direction et la convention est susceptible d’entraîner la nullité de cette dernière (Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-16.084, F-D N° Lexbase : A5818E9D).
D’un point de vue fiscale, sans pour autant considérer qu’il n’y avait pas d’acte anormal de gestion, le Conseil d’État a pu apporter quelques précisions (CE 9° et 10° ch.-r., 4 octobre 2023, n° 466887, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20851KG) :
10.- Pourrait-on éventuellement transposer un tel type de raisonnement aux plus-values, et au régime des biens professionnels ?
11.- Il convient également de relever, même s’il ne s’agit pas de la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts N° Lexbase : L8080MHQ, qui se contente d’opérer un renvoi aux fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l'article 975 N° Lexbase : L9125LHG, l’administration fiscale précise : « Le titulaire doit consacrer à ses fonctions une activité et des diligences constantes et réelles (par exemple, animation effective de l'activité des directeurs fonctionnels salariés, signature des pièces essentielles, contacts suivis avec les représentants du personnel, les principaux clients ou fournisseurs, etc.) (ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 290 N° Lexbase : X6754ALQ).
Remarque : Il est précisé que l'article 787 B du CGI n’impose pas de condition tenant à la rémunération perçue par le dirigeant ou au caractère principal de son activité dans la société ».
12.- Reste ainsi à voir qu’elle pourrait être l’impact dans ces différentes situations de cette position du Conseil d’État, au risque de complexifier un peu plus certaines opérations de restructuration, et les choix quant au mode et « au lieu » de rémunération du dirigeant.
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