La lettre juridique n°542 du 3 octobre 2013 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] De la nature de l'avantage résultant d'un usage d'entreprise, modifié avec l'accord des salariés

Réf. : Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-15.328, F-D (N° Lexbase : A4812KLS)

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N8754BTE

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 03 Octobre 2013

Composantes importantes du statut collectif applicable aux salariés, les usages d'entreprise sont assimilés par la Cour de cassation à des engagements unilatéraux de l'employeur. Cette qualification a pour conséquence première d'autoriser ce dernier à supprimer ou modifier l'avantage résultant d'un usage de manière unilatérale, sous réserve d'en avertir les salariés concernés et les représentants du personnel et de respecter un délai de prévenance suffisant. Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rendu le 18 septembre 2013, l'employeur avait, curieusement, recherché un accord avec ses salariés afin de modifier un avantage résultant d'un usage. Condamné pour n'avoir pas respecté de délai de préavis à leur égard, il soutenait que cette obligation ne lui était pas applicable puisque, précisément, il n'avait pas, à proprement parler, modifié unilatéralement l'usage. Cette argumentation n'aura pas convaincu la Cour de cassation, qui affirme "qu'un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification".
Résumé

Un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification. Un tel usage ne peut être dénoncé sans respecter un délai de prévenance.


Observations

I - Qualification et remise en cause de l'usage d'entreprise

La qualification de l'usage d'entreprise. L'usage d'entreprise correspond à une pratique existante dans une entreprise particulière. Toutefois, on sait qu'une telle pratique ne peut être qualifiée d'usage que si elle présente une certaine généralité, une certaine constance et une certaine fixité (1).

Comme ces pratiques sont propres à l'entreprise, elles sont soit des pratiques de l'employeur lui-même, soit des pratiques que l'employeur a laissé s'instaurer. Dans les deux cas, ces pratiques peuvent être imputées à la volonté d'un employeur unique, ce qui explique pourquoi la Cour de cassation considère que leur véritable source est dans la volonté unilatérale de l'employeur. En d'autres termes, malgré la survivance de la terminologie "usage d'entreprise", au sein des décisions de la Cour de cassation, le droit assimile pleinement ces normes à des engagements unilatéraux, leur appliquant un régime juridique identique.

A l'instar des autres engagements unilatéraux de l'employeur, l'usage d'entreprise ne s'incorpore pas au contrat de travail (2). Il en résulte que la remise en cause de l'avantage prévu par un usage ne constitue pas une modification du contrat de travail des salariés concernés. L'employeur n'est tenu ni de solliciter, ni d'obtenir l'accord préalable de ces derniers pour en supprimer le bénéfice ou en modifier les conditions et modalités d'octroi. Cela ne signifie pas pour autant que l'avantage prévu par l'usage ne peut jamais être "contractualisé". Mais, pour qu'il en aille ainsi, il faut pouvoir constater une volonté "claire et non équivoque" des parties au contrat (3). Dans ce cas, l'employeur doit alors se soumettre au régime juridique de la modification du contrat de travail, s'il entend remettre en cause l'avantage résultant initialement d'un usage.

La remise en cause de l'usage d'entreprise. Assimilé à un engagement unilatéral de l'employeur, l'usage d'entreprise peut donc être dénoncé unilatéralement par celui-ci. Trois conditions sont nécessaires pour que cette dénonciation soit valide : la notification aux représentants du personnel, la notification individuelle aux salariés et le respect d'un délai de préavis suffisant pour permettre des négociations (4). Le non-respect de ces exigences rend la dénonciation illicite ; ce qui signifie que les salariés sont en droit de se prévaloir de l'avantage prévu par l'usage irrégulièrement dénoncé (5).

La remise en cause d'un usage d'entreprise peut emprunter une autre voie, résidant dans la conclusion d'une convention ou d'un accord collectif. La Cour de cassation considère, en effet, de longue date, que lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un engagement unilatéral de l'employeur est conclu entre celui-ci et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise, cet accord a pour effet de mettre fin à cet engagement unilatéral, peu important que celui-ci ait été ou non préalablement dénoncé (6). Cette solution s'explique par le caractère supplétif de la volonté unilatérale de l'employeur par rapport à la norme conventionnelle (7).

Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, aucune des deux voies qui viennent d'être évoquées n'avait été empruntée par l'employeur, afin de modifier à la baisse un avantage résultant d'un usage d'entreprise. A cette fin, celui-ci avait recherché un accord avec ses salariés.

II - Remise en cause d'un usage d'entreprise par l'effet d'un accord avec les salariés

L'affaire. En l'espèce, postérieurement à son licenciement, une salariée avait saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir, notamment, le paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné au paiement d'un rappel de salaires et congés payés afférents. A l'appui de son pourvoi, il soutenait qu'un usage d'entreprise résultant d'un engagement unilatéral de l'employeur peut être dénoncé par un accord exprès entre l'employeur et les salariés intéressés, auquel cas la procédure de dénonciation des usages ne trouve pas à s'appliquer. Par suite, en exigeant de la société employeur qu'elle respecte la procédure de dénonciation unilatérale des usages et notamment un délai raisonnable d'attente, sans rechercher si la signature par l'ensemble des salariés, y compris la salariée licenciée, du compte-rendu de réunion du personnel du 28 novembre 2008 ne devait pas être analysée en un accord exprès des salariés pour qu'il soit mis un terme à l'usage d'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, affirme "qu'un avantage résultant d'un usage, qui n'est pas incorporé au contrat de travail, ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification ; qu'un tel usage ne peut être dénoncé sans respecter un délai de prévenance". Elle décide en conséquence "qu'ayant relevé qu'il existait un usage concernant la garantie minimum de salaire de deux cent vingt heures, que lors d'une réunion de tout le personnel le 28 novembre 2008, la direction avait décidé d'interdire toutes heures supplémentaires au-delà de cent quatre-vingt-dix heures, et ayant constaté que l'employeur avait limité l'usage de la garantie minimum de salaire de deux cent heures à cent quatre-vingt-dix heures dès novembre 2008, la cour d'appel a décidé que la salariée n'avait pas été prévenue dans un délai raisonnable ; qu'elle a par ce seul motif légalement justifié sa décision".

Une solution justifiée. A lire le motif de principe précité, il apparaît clairement qu'aucun délai de prévenance n'avait été respecté lors de la remise en cause de l'usage d'entreprise, en méconnaissance des exigences prétoriennes évoquées précédemment. Mais, précisément, l'employeur soutenait que ces exigences ne sont applicables que lorsque l'usage est unilatéralement dénoncé. Or, tel n'était pas le cas en l'espèce puisque l'employeur avait sollicité et, visiblement obtenu, l'accord de ses salariés pour modifier l'avantage résultant de l'usage.

On admettra que la voie ainsi empruntée est fort curieuse puisque, nous l'avons vu, l'employeur peut, plus simplement, modifier l'usage de façon unilatérale. Mais il est vrai que cela ne lui interdit pas de rechercher l'accord de ses salariés pour parvenir à la même fin ; ce que, au demeurant, la Cour de cassation n'exclut nullement. En revanche, cette façon de procéder ne saurait changer la nature de l'usage qui, fondamentalement, procède d'un engagement unilatéral.

Le dénouement de l'affaire aurait été certainement différent si l'avantage en cause avait été contractualisé. Mais, nous l'avons indiqué précédemment, l'intégration de l'avantage au contrat de travail n'est admise qu'en présence d'une volonté "claire et non équivoque" des parties au contrat. Or, tel n'est certainement pas le cas lorsque l'employeur se borne à rechercher l'accord des salariés pour modifier l'avantage issu d'un usage (8). N'ayant pas été contractualisé, l'avantage conserve donc nécessairement une source unilatérale. Partant, si une modification de l'avantage intervient, elle reste nécessairement unilatérale, alors même que les salariés ont manifesté leur accord à ce propos.

Trouvent en conséquence à s'appliquer les trois conditions auxquelles est subordonnée la validité de la dénonciation et, singulièrement, le respect d'un préavis suffisant. L'arrêt commenté confirme, par ailleurs, que ce délai de prévenance doit s'apprécier tant à l'égard des salariés auquel l'avantage profite qu'à l'égard des institutions représentatives du personnel (9).

Au final, l'arrêt sous examen démontre que la remise en cause d'un avantage résultant d'un usage, à l'exclusion de toute contractualisation, ne peut emprunter que deux voies : soit la dénonciation unilatérale, soit la conclusion d'un accord collectif ayant le même objet. Il est certes loisible à l'employeur de chercher l'accord de ses salariés pour parvenir au même objectif. Mais il n'y a pas là une "troisième voie".


(1) V. par ex., Cass. soc., 4 avril 2007, n° 05-44.104, F-D (N° Lexbase : A9396DWW) ; RDT 2007, p. 505, note G. Pignarre.
(2) Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-19.466, publié (N° Lexbase : A0051ACU) ; Dr. soc., 1997, p. 102, note Ph. Waquet.
(3)Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-44.950, FS-D (N° Lexbase : A1740ETM) ; Dr. soc., 2010, p. 1097, obs. M. Véricel.
(4) Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, publié (N° Lexbase : A1751ABH) ; Cass. soc., 13 février 1996, n° 93-42.309, publié (N° Lexbase : A2068AAT) ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-47.343, F-P+B (N° Lexbase : A3009DRU).
(5) La Cour de cassation fait ici preuve de rigueur. Ainsi, l'oubli d'une partie des salariés rend la dénonciation nulle pour l'ensemble des salariés, y compris pour ceux qui ont reçu cette notification : Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-45.397, FS-P+B (N° Lexbase : A9277D4D).
(6) V. en dernier lieu, Cass. soc., 10 mars 2010, n° 08-44.950, FS-D (N° Lexbase : A1740ETM) ; Dr. soc., 2010, p. 1097, obs. M. Véricel.
(7) L'accord collectif peut ainsi modifier à la baisse l'avantage résultant de l'usage ou le supprimer purement et simplement.
(8) La solution retenue est ainsi en cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Gageons qu'elle aurait été différente si cette dernière avait admis la possibilité d'une contractualisation "tacite".
(9) V. déjà en ce sens, Cass. soc., 3 mai 2012, n° 10-20.738, F-D ([LXB=A6691IKZ ]).

Décision

Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-15.328, F-D (N° Lexbase : A4812KLS)

Rejet, CA Rouen, 10 janvier 2012, n° 11/02871 (N° Lexbase : A0813IAD)

Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots clés : usage, modification, accord des salariés, changement de nature (non), respect d'un délai de prévenance.

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