Réf. : Cass. civ. 2, 30 novembre 2023, n° 22-16.835, F-D N° Lexbase : A512017R
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par Hélène Nasom-Tissandier, Maître de conférences HDR, Université Paris Dauphine-PSL, CR2D
le 21 Décembre 2023
► L’engagement de la responsabilité du gardien d’une chose inerte suppose de démontrer l’anormalité de la chose pour établir qu’elle a été, au moins pour partie, l’instrument du dommage ; tel est le cas même lorsque la chose inerte anormale intervient en fin d’accident sans l’avoir déclenché, et qu’un dommage se serait nécessairement produit même si la chose n’avait pas été heurtée lors de la chute.
L’engagement de la responsabilité du gardien de la chose suppose de démontrer que la chose a été en quelque manière et ne serait-ce que pour partie l’instrument du dommage. Le caractère anormal de la chose inerte, violemment percutée en fin de processus accidentel de chute, suffit-il à établir que la chose a été, au moins pour partie, l’instrument du dommage et à engager la responsabilité du fait des choses ? Faut-il de surcroît établir que la victime a subi un préjudice supplémentaire aggravant le dommage lié à la chute ?
Faits et procédure. Un enfant de sept ans a fait une chute du cinquième étage dans la cage d'escalier d'un immeuble où résidait sa tante. Basculant par-dessus le garde-corps, il heurte en fin de chute la tige filetée qui aurait dû supporter la boule (manquante) en fin de rampe d'escalier, au rez-de chaussée de l'immeuble. Les parents engagent en leur nom personnel et celui de leur enfant mineur la responsabilité du syndicat des copropriétaires de l’immeuble. Considérant que la tige filetée aurait été au moins pour partie l’instrument du dommage subi par l’enfant, la cour d’appel accueille leur demande et condamne le syndicat en se fondant sur la responsabilité du fait des choses.
Le syndicat forme un pourvoi en cassation. Il reproche une violation de l’article 1384 alinéa premier, devenu 1242 alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7. La responsabilité du fait d’une chose inerte ne peut être engagée que s’il est démontré sa position anormale et son rôle actif dans l’accident, or la tige filetée a été percutée en fin de chute et ne peut avoir été, même en partie, l’instrument du dommage. Subsidiairement, il fait valoir que la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur l’incidence du dénudement de la tige métallique, la boule de protection manquante n’ayant pas pour fonction d’assurer une protection en cas de chute. Il n’est pas démontré qu’elle ait eu un impact négatif sur les conséquences de l’accident (une aggravation des blessures de l’enfant).
Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi : la tige filetée a été l’instrument du dommage. Si le garde-corps du palier du cinquième étage ne recelait aucun caractère anormal, la fin de la rampe au niveau du rez-de-chaussée, constituée d'une tige filetée non recouverte d'une boule, présentait une configuration anormale et un danger pour les copropriétaires et les tiers empruntant le hall d'entrée et l'escalier. Cette chose inerte a été heurtée par l’enfant lorsqu'il est tombé, au point de se casser, la partie supérieure rompue se trouvant au sol. Aussi a-t-elle été au moins pour partie l'instrument du dommage de la victime, ce qui suffit à engager la responsabilité du syndicat, sans qu'il soit nécessaire de rechercher quels auraient pu être les dommages causés à l'enfant par une boule couvrant cette tige si elle avait été présente.
Il résulte d’une jurisprudence constante que l’anormalité est une condition de la mise en œuvre de la responsabilité du gardien d’une chose inerte (Cass. civ. 2., 24 février 2005, n° 03-18.135 FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8711DGQ, voir Rapport annuel 2005 de la Cour de cassation). En principe la chose doit avoir un rôle actif pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 1242-1 alinéa 1er du Code civil : par exception, la chose inerte ne permet l’engagement de cette responsabilité que lorsqu’elle remplit la condition d’anormalité. L’arrêt l’illustre de nouveau clairement dans une affaire qui présente un élément inhabituel : la chose inerte a été heurtée en fin de chute, elle ne l’a pas déclenchée. Elle n’est donc pas à l’évidence l’instrument du dommage. Les juges du fond disposent cependant d’un pouvoir souverain d’appréciation du caractère anormal et du lien de causalité avec le dommage (v. par ex. Cass. civ. 2, 9 juin 2016, n° 15-17.958 F-D N° Lexbase : A6980RSC ; Cass. civ. 2, 25 mai 2022, n° 20-17.123 F-B N° Lexbase : A15007Y9), la Cour de cassation n’opérant qu’un contrôle de la motivation de la décision et des conséquences induites de la caractérisation de l’anormalité et du lien de causalité.
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