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par Catherine Marie, Professeur émérite de La Rochelle Université, Membre du LITHORAL, Assesseur près le tribunal pour enfants de La Rochelle
le 22 Novembre 2023
Mots-clés : réforme • mineurs délinquants • Code de la justice pénale des mineurs • évaluation • droit substantiel • procédures • politique criminelle
Conformément au souhait du législateur, un rapport sur l’application du Code de la justice pénale des mineurs a été remis au Parlement par le Gouvernement le 13 octobre 2023, deux ans après son entrée en vigueur. D’après ce rapport, dont le ton est d’emblée positif, la réforme aurait atteint globalement ses objectifs. Les chiffres cités confirment ce satisfecit, notamment au regard de la réduction des délais de jugement. Ceci étant, dépassant les simples statistiques, l’analyse de la mise en œuvre par les différents acteurs de la justice pénale des mineurs des nouvelles articulations mais aussi des nouvelles temporalités révèle la nécessité de procéder à des modifications du CJPM.
L’article 8-2 de l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 N° Lexbase : L2043LSH prévoyait la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’application du Code de la justice pénale des mineurs dans les deux ans suivant son entrée en vigueur, soit le 30 septembre 2023. Les bougies juste soufflées, ce rapport d’évaluation de soixante-huit pages sur la mise en œuvre du CJPM a été remis le 13 octobre 2023 [1]. Confirmant sur plusieurs points les conclusions de la mission d’information parlementaire des députés Jean Terlier et Cécile Untermaier [2], c’est sur une tonalité d’emblée positive que le gouvernement se félicite de la réussite de la mise en place de la réforme. Après deux ans d’application et une augmentation conséquente du budget, cette réforme aurait atteint globalement ses objectifs : raccourcissement des délais, amélioration de la prise en charge des auteurs mineurs et des victimes, réduction de la détention provisoire. Durant ces deux ans, outre quelques corrections et ajouts législatifs [3], le Conseil constitutionnel [4] et la Cour de cassation sont venus rappeler dans plusieurs décisions les principes fondateurs du droit pénal des mineurs, notamment le principe de la spécialisation [5]. À partir du rapport du ministère de la Justice, le bilan de la mise en œuvre du CJPM sera scruté à travers le prisme des nouvelles articulations (I.) et celui des nouvelles temporalités (II.).
I. Les nouvelles articulations
Il convient de s’intéresser d’abord au maniement par la pratique des nouvelles présomptions de discernement et de non-discernement (A.), avant de faire le bilan du choix des diverses voies procédurales (B.), pour enfin s’intéresser aux alternatives peines/mesures de sûreté/mesures éducatives judiciaires (C.).
A. L’appréciation discernement/non discernement
Le fait de poser une présomption de non-discernement pour les mineurs de moins de treize ans et au contraire une présomption de discernement pour les plus de treize ans (CJPM, art. L. 11-1 N° Lexbase : L3050L8H et R. 11-1 N° Lexbase : L2663L87) a-t-il changé les pratiques ? Les présomptions simples ne donneraient pas lieu à de grandes difficultés et la question serait rarement soulevée pour les mineurs de plus de treize ans [6]. En revanche, des interrogations se posent pour les mineurs en deçà de cet âge. Du côté des parquets, tout va dépendre de la gravité des faits. Par exemple, un vol de vélo ne sera pas susceptible d’entraîner des poursuites [7] alors que des infractions sexuelles commises par de jeunes enfants entre dix et douze ans et leur réitération après treize ans ainsi que l’accumulation des procédures sont des circonstances susceptibles d’entraîner des poursuites. L’appréciation de l’existence du discernement ou de son absence est une question délicate [8], posée principalement lors du défèrement mais aussi de l’audience de culpabilité et qui nécessite des expertises avec la difficulté de trouver un expert-psychiatre (CJPM, art. D. 423-2 N° Lexbase : L2498L8Z). Les juridictions indiquent avoir très peu à juger de mineurs de moins de 13 ans depuis l’entrée en vigueur du CJPM et rares sont les hypothèses de mineurs de moins de 13 ans déclarés coupables [9]. L’absence de poursuites pénales pour des faits de harcèlement scolaire autour de treize ans qui relèvent de solutions de nature infra-pénale soulève souvent l’incompréhension des victimes et de leurs parents.
B. Le choix des voies procédurales
Outre son pouvoir classique d’appréciation de l’opportunité des poursuites, le procureur de la République dont la spécialisation « mineurs » pourtant inscrite dans la loi reste inaboutie [10], est désormais le chef d’orchestre de l’orientation de la nouvelle procédure [11]. De nombreuses dérivations de procédure sont offertes par le CJPM, source de souplesse mais aussi parfois d’insécurité pour les mineurs, leurs avocats [12] ainsi que pour les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse.
1) Le recours fréquent aux alternatives aux poursuites et à la composition pénale confirmé
Avant comme après le CJPM, les parquets recourent fréquemment aux alternatives aux poursuites, dont le cadre a été modernisé afin de renforcer leur caractère éducatif [13]. Sont principalement prononcés des mesures de réparation et des stages. Si le taux de recours aux alternatives aux poursuites est resté stable, en revanche, le nombre de compositions pénales a sensiblement augmenté [14]. Le rôle de l’avocat est essentiel durant cette phase en tant que force de proposition.
2) Le choix entre procédure de mise à l’épreuve et audience unique
Alors que le schéma procédural de principe institué par le CJPM est celui de la procédure de mise à l’épreuve éducative [15] (CJPM, art. L. 521-1 N° Lexbase : L2936L8A), plusieurs exceptions sont cependant prévues, en vertu desquels la juridiction de jugement se prononce lors d’une audience unique, tant sur la culpabilité que sur la sanction [16] (CJPM, art. L. 521-26 N° Lexbase : L2809L8K). L’audience unique à l’initiative du parquet (CJPM, art. L. 423-4, al. 3 N° Lexbase : L6624MGG), conçue pour des mineurs déjà connus et dont la réponse pénale doit être rapide et ferme, semble peu pratiquée [17]. Le dispositif qui permet à la juridiction d’opter pour une audience « regroupée » culpabilité/sanction (CJPM, art. L. 521-2 N° Lexbase : L2935L89), fréquemment utilisée, offre une souplesse intéressante notamment quand une période de mise à l’épreuve n’aurait pas de sens au regard du profil du mineur et/ou des faits commis. Ceci étant, cette procédure, qui n’existe d’ailleurs pas pour les majeurs, est susceptible de malmener les droits de la défense, de générer une incertitude pour les mineurs, leurs avocats et les éducateurs qui avaient seulement préparé le mineur à l’audience de culpabilité et transmis des propositions éducatives s'avérant finalement inadaptées. Afin de minorer ces inconvénients, le rapport d’information parlementaire propose d’anticiper la conversion des audiences de culpabilité en audience unique et de permettre à l’avocat de s’y opposer lorsque le mineur, non connu de la justice, n’y est pas suffisamment préparé [18].
3) Le choix juge des enfants/tribunal pour enfants
Les procureurs indiquent, conformément à l’esprit de la réforme, saisir prioritairement et majoritairement les juges des enfants [19], ce qui entraîne un recul regrettable du rôle des assesseurs [20]. Le prononcé par le juge des enfants d’une peine en chambre du conseil, nouveauté largement utilisée [21], nécessite des réquisitions écrites ou orales du parquet (CJPM, art. L. 121-4 N° Lexbase : L3046L8C). Plusieurs pratiques ont émergé : certains parquets (Aix-en-Provence, par ex.) prennent systématiquement des réquisitions écrites dans chaque dossier orienté en chambre du conseil, tandis que d’autres n’en prennent pas, sauf si un juge le demande dans un dossier en particulier [22]. Il ne faut pas oublier, au-delà de la demande d’une peine, le message pédagogique porté par le parquet qui est quelque peu dilué dans les nouvelles procédures, notamment quand il est absent lors de l’audience de culpabilité.
C. L’alternative mesures de sûreté/mesures éducatives judiciaires/peines
1) L’articulation mesures de sûreté/mesures éducatives judiciaires provisoires
Une diminution de la détention provisoire. L’une des ambitions du Code de la justice pénale des mineurs était de diminuer l’incarcération des mineurs et, parmi les mineurs incarcérés, de diminuer la part des mineurs en détention provisoire qui avait atteint à la veille du CJPM des taux importants [23]. Pour ce faire, au-delà de l’objectif de célérité de la procédure, plusieurs leviers ont été actionnés pour diminuer les détentions provisoires : limitation des hypothèses, de la durée, durcissement des conditions de révocation. Allant à l’encontre de cette volonté législative de diminution de la détention provisoire, la chambre criminelle, dans un arrêt du 6 avril 2022 [24], a jugé que le juge de la liberté et de la détention est régulièrement saisi par le procureur de la République dans le cadre de la procédure exceptionnelle de l’audience unique, d’une demande de placement d’un mineur en détention provisoire, dès lors que figure au dossier le recueil de renseignements socio-éducatifs (RSSE) (CJPM, art. L. 322-5 N° Lexbase : L2890L8K), le rapport éducatif de l’article L. 423-4, 2° N° Lexbase : L6624MGG n’étant pas obligatoire à ce stade de la procédure mais devant seulement être versé au dossier avant l’audience de jugement. Certes, le rapport éducatif exige des investigations plus importantes que le RRSE mais on peut voir dans cette solution une atteinte aux droits de la défense [25]. Les chiffres fournis après deux ans de mise en œuvre du CJPM montrent que l’objectif de baisse des détentions provisoires est atteint, ce qui doit être salué. Ainsi, au 1er août 2023, 44 % des détenus mineurs étaient en exécution de peine, contre seulement 27 % en 2021. La durée de la détention provisoire, objectif également important de la réforme, est atteint puisque la durée moyenne de celle-ci a chuté de 33 % entre 2019 et 2022, passant de 3,9 mois à 2,6 mois [26]. En dépit d’une diminution générale du nombre de mineurs en détention provisoire, le manque d’alternatives à l’emprisonnement du fait de la diminution des lieux de placement couplé à l’absence de spécialisation réelle du juge des libertés et de la détention sont des raisons avancées pour expliquer un recours accru à la détention provisoire dans certaines juridictions [27]. La réticence de certains professionnels de la PJJ à formuler dans leurs rapports des propositions d’aménagement de peine, considérant la peine et son aménagement éloignés de leur éthique, est préjudiciable pour les mineurs car susceptible de conduire à davantage de détentions provisoires en l’absence de proposition alternative [28].
Une augmentation du nombre de mesures éducatives provisoires. En parallèle, une plus grande proportion de mineurs déférés bénéficie de mesures éducatives avant jugement [29]. À ce propos, le prononcé de modules avant l’audience d’examen de la culpabilité, hormis un placement qui permet, le cas échéant, d’apporter une réponse rapide sur la nécessité d’un éloignement du jeune de son milieu de vie habituel, semble sans grande efficacité dans la mesure où le peu de temps imparti rend difficile une véritable prise en charge du mineur [30].
2) L’articulation peines/mesures éducatives judiciaires
De manière générale, les hypothèses de cumul peines/mesures éducatives, sont en augmentation [31]. On constate, d'une part, et cela dans l'esprit du bloc peines repris par le CJPM, une diminution du taux de mineurs condamnés à une peine d’emprisonnement ferme, assortie ou non d’un sursis, qu’il soit total et partiel [32] et d’autre part, une augmentation du prononcé de peines de travail d’intérêt général [33] et de stages [34]. Le rapport constate le manque d’expérience des magistrats de la jeunesse et des éducateurs de la PJJ en matière d’aménagement de peine, tant au regard de la procédure applicable que du sens même de l’aménagement de peine d’où une forte demande de formation en la matière [35]. Parmi les mesures éducatives prononcées à titre de sanction en 2022, la mesure éducative judiciaire représente 40 % des mesures et l’avertissement judiciaire 60 % [36]. La déclaration de réussite éducative, innovation du CJPM, est appréciée par de nombreux acteurs de la justice pénale des mineurs [37]. Au socle commun de la mesure éducative judiciaire (CJPM, art. L. 112-2 N° Lexbase : L8065MBC), le juge peut ajouter différentes briques, appelés « modules » afin d’adapter au mieux la prise en charge éducative au profil et à l’évolution du mineur. Il apparaît d’abord que, depuis l’entrée en vigueur du CJPM, 62 % des mesures éducatives judiciaires, provisoires ou non, sont prononcées avec au moins un module [38] et seulement 38 % sans module. Ensuite, on constate que le module d’insertion est le plus fréquemment prononcé (34 %), suivi du module de réparation (33 %), du module de santé (23 %) et enfin du module de placement (10 %). Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 [39] systématise le prononcé du module de réparation « chaque fois que possible » conditionnant ainsi l'injonction à sa faisabilité. Au-delà d’un cadre attractif, le contenu des modules est parfois défaillant et des déceptions sont perceptibles [40] : manque de lieux de placement, d’offres en termes de soins et de partenariats notamment avec l’Éducation nationale. D’après l’étude réalisée par la DPJJ, d’une part, l’offre éducative devrait être diversifiée et rendue plus lisible auprès des magistrats et d’autre part, la spécificité des modules devrait être renforcée pour les jeunes et leur famille qui perçoivent plutôt l’accompagnement dans sa globalité [41].
II. Les nouvelles temporalités
Le bilan du CJPM révèle l’ambivalence des nouvelles temporalités et toute la complexité de la conciliation temps judiciaire/temps éducatif.
A. La temporalité judiciaire
1) Des jugements plus rapides.
L’encadrement des délais de jugement a entraîné une diminution importante de ceux-ci, saluée, selon le rapport, par l’ensemble des acteurs de la justice pénale des mineurs comme redonnant du sens à celle-ci. Au 30 juin 2023, la durée moyenne totale d'une procédure de mise à l’épreuve éducative était de 9, 1 mois (délai légal maximum de 12 mois) contre 18 mois en moyenne avant la réforme pour obtenir un jugement [42]. Le délai moyen entre la convocation et l’audience sur la culpabilité était, quant à lui, de 2, 4 mois (délai légal maximum de 3 mois) et celui entre l’audience de culpabilité et l’audience sur la sanction de 6, 4 mois (délai légal maximum de 9 mois). Devant le tribunal pour enfants statuant en audience unique, les délais moyens de jugement sont de 2 à 3 mois. Même si ces délais sont respectés au plan national, plusieurs juridictions ne parviennent pas à respecter le délai de trois mois entre les poursuites et le jugement sur la culpabilité [43]. Se pose alors la question du sort des mesures provisoires prononcées sur défèrement quand l’audience de culpabilité ou l’audience unique se déroulent postérieurement au délai de trois mois. Les pratiques sont alors diverses : caducité à l’expiration du délai de trois mois ou prolongation des effets des mesures jusqu’à l’audience en l’absence de toute sanction légale des délais [44].
2) Un accroissement de la charge de travail des acteurs de la justice pénale des mineurs.
La charge de travail est décrite de manière unanime par les acteurs de la justice pénale des mineurs comme conséquente et alourdie du fait notamment des modifications procédurales et des délais contraints [45].
Pour le parquet : les magistrats de permanence doivent choisir très vite l’orientation procédurale tout en étant soumis à de nouvelles contraintes [46]. La présentation obligatoire devant le procureur de la République en cas de défèrement aurait multiplié, selon certains procureurs, la charge de travail par deux [47]. Les parquetiers soulignent cependant son intérêt comme permettant notamment une meilleure identification du parquet par le mineur [48].
Pour les juges des enfants : La charge de travail organisationnelle a monté en puissance en raison de l’augmentation du nombre d’audiences en cas de déférement, du doublement des jugements à rendre [49]. Les temps d’audience ne sont pas forcément plus courts, notamment celui de l’audience de sanction devant le tribunal pour enfants en raison notamment du nécessaire rappel des faits aux assesseurs qui ne sont pas nécessairement, ce qui est regrettable, les mêmes qu’à l’audience de culpabilité [50]. Par ailleurs, le temps consacré à l’activité post-sentencielle est plus long que sous l’ordonnance de 1945 où le mineur devenu majeur était suivi par le juge de l’application des peines. De nombreux juges des enfants font ainsi état d’une augmentation de la charge de travail et de la perte de souplesse quant à la fixation des audiences pénales, tout cela devant être concilié avec les délais contraints en matière d’assistance éducative [51]. En revanche, d’autres ne constatent pas d’évolution notable de la charge de travail [52].
Pour les greffes : ils font également état de difficultés organisationnelles et d’une charge de travail plus lourde, en raison notamment du nombre plus important de jugements à éditer et à signifier [53].
3) L’articulation difficile temps de jugement/temps d’appel
La procédure de mise à l’épreuve éducative multiplie les voies de recours et en complexifie l’exercice. La longueur des durées d’audiencement de l’appel est de nature à bousculer la temporalité de la procédure et des mesures éducatives. Ainsi, en cas d’appel sur la culpabilité, il arrive souvent que la cour d’appel n’ait pas encore statué à l’issue du délai prévu pour la tenue de l’audience de sanction et statue après celle-ci à la fois sur l’appel de la culpabilité et de la sanction (CJPM, art. L. 531-3, al. 2 N° Lexbase : L2929L8Y). Les débats risquent de ne pas se dérouler dans un climat serein, de générer une sorte de « schizophrénie », dès lors que la culpabilité est encore discutée judiciairement. Cette situation est critiquée par les avocats mais aussi par les professionnels de la PJJ, ces derniers dénonçant la pollution du travail éducatif par l'appel. En pratique, le sursis à statuer est parfois utilisé contra legem. Le rapport des députés proposait de permettre à la juridiction de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel (rec. n° 17) et de contraindre celle-ci à statuer sur la culpabilité dans un délai donné (rec. n° 18). Le rapport du ministère de la Justice se contente de conseiller, quand c’est possible, de statuer sur l’appel relatif à la culpabilité avant l’audience de sanction [54].
B. La temporalité éducative
Il est intéressant d’examiner les effets de la bascule de temporalité induits par les nouveaux rythmes procéduraux sur le travail éducatif [55]. Les professionnels de la PJJ font état d’une prise de conscience plus rapide des conséquences de ses actes par le mineur, du fait d’une temporalité plus brève pour le prononcé du jugement sur la culpabilité [56], ainsi que d’une prise en charge plus rapide et plus individualisée [57]. Le travail éducatif sur le passage à l’acte serait également facilité, les éducateurs pouvant s’appuyer sur la déclaration de culpabilité, notamment en matière d’infractions sexuelles. Parallèlement, les professionnels de la PJJ relèvent les inconvénients de ce temps raccourci au regard du profil de certains mineurs. Pour un simple « pas de travers », une « petite » mesure éducative judiciaire sera suffisante. En revanche, pour un jeune avec risque de récidive, qui exige un éloignement du quartier ou des soins, douze mois seraient préférables à neuf. En dépit de l’extension possible de la mise à l’épreuve éducative à plusieurs procédures [58] (CJPM, art. L. 521-11 N° Lexbase : L2822L8Z), les professionnels de la PJJ déplorent l’empilement de mesures pour un même mineur. Par ailleurs, la surcharge en termes de rapports à rédiger, de multiplication des audiences, se ferait au détriment du travail éducatif.
C. La temporalité de la victime
L’accélération de la procédure profite largement aux victimes qui peuvent être indemnisées rapidement, dès l’audience de culpabilité (CJPM, art. L. 512-1 N° Lexbase : L3019L8C). Alors que leur indemnisation était en moyenne de 18 mois avant la réforme, elle serait actuellement de deux mois en moyenne. Plus présentes aux audiences, les victimes formuleraient des demandes en plus grand nombre [59], ce qui aurait des incidences bénéfiques sur le regard du jeune sur ses actes et le travail éducatif. Le revers de la rapidité est cependant la difficulté, dans un certain nombre de cas, pour la victime et son avocat de mettre en état sa demande d’indemnisation, ce qui explique l’augmentation des renvois sur intérêts civils [60]. Afin d’améliorer encore la situation des victimes, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 prévoit que doivent être consignées dans les procès-verbaux d’audition des informations précises concernant l’assureur de la personne dont la responsabilité civile est susceptible d’être engagée. Est également élargie la possibilité pour les assureurs d’intervenir ou d’être mis en cause devant les juridictions pour mineurs.
Même si le bilan est présenté comme globalement équilibré par le ministère de la Justice, le rapport reconnaît la nécessité de procéder à des « ajustements » afin de donner toute leur plénitude à l’ensemble des objectifs de la réforme. Au-delà des modifications apportées au CJPM par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 adopté par le Parlement le 11 octobre 2023 qui visent à renforcer la prise en charge des mineurs, à simplifier la procédure et à améliorer la prise en considération des victimes, d’autres sont à venir. Ainsi, la spécialisation et le principe de continuité restent à parfaire et surtout une attention particulière devra être portée à ces « sujets oubliés » que sont les mineurs non accompagnés. Un code n’est jamais et à l’instar de l’enfant, cristallisé à un moment donné.
[1] Rapport d’évaluation sur la mise en œuvre du Code de la justice pénale des mineurs, ministère de la Justice, octobre 2023 [en ligne].
[2] J. Terlier et C. Untermaier, Rapport d’information sur l’évaluation de la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, Assemblée nationale, 22 mars 2023 [en ligne].
[3] Par ex., Lois n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T et n° 2022-52, du 24 janvier 2022, relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure N° Lexbase : L7812MAL. Pour un bilan normatif critique, V. S. Jacopin, Réformer et re-former le Code de la justice pénale des mineurs, in Le Code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? (dir. S. Jacopin), Dalloz, Thèmes et Commentaires, 2023, p. 7.
[4] Cons. const., décision n° 2022-1034 QPC, du 10 février 2023 N° Lexbase : A36949CS.
[5] Cass. crim., 13 avril 2023, n° 23-80.470, F-B N° Lexbase : A02449PQ.
[6] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 40.
[7] D’après le rapport des députés du 23 mars 2023, 7 % des mineurs auteurs d’infractions ont entre 10 et 13 ans.
[8] M. Morlet-Rivelli, La présomption de discernement à la lumière de la psychologie : implications pour le magistrat et l’expert-psychologue, in Le Code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? (dir. S. Jacopin), préc., Dalloz, 2023, p. 33.
[9] Moins de 950 mineurs en 2022 (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 52).
[10] Nullité des réquisitions d’un parquetier « non spécialement chargé des affaires concernant les mineurs » : Cass. crim., 13 avril 2023, n° 23-80.470, F-B N° Lexbase : A02449PQ.
[11] V. H. Pain, La pratique du parquet des mineurs depuis le Code de la justice pénale des mineurs, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ?, préc., p. 143 et s.
[12] S. Panetier, La pratique de l’avocat, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? préc., p. 131.
[13] N. Beddiar, Les procédures alternatives aux poursuites à l’aune du Code de la justice pénale des mineurs, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? préc., p. 77.
[14] Hausse de 13 % du nombre de mineurs ayant exécuté une composition pénale entre 2019 et 2022 (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 54). La mesure de travail non rémunéré (TNR) dans le cadre de la composition pénale est fortement appréciée par les parquets compte tenu de sa dimension pédagogique (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 53).
[15] C. Marie, La procédure de mise à l’épreuve éducative : une nouvelle chance pour la justice pénale des mineurs ?, in Le code de la justice pénale du mineur : quelle(s) spécificité(s) ? (dir. S. Jacopin), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2021, p. 123.
[16] En 2022, 62 % des mineurs déclarés coupables l’ont été lors d’une audience d’examen de la culpabilité alors que 38 % l’ont été en audience unique.
[17] La convocation par procès-verbal du procureur de la République aux fins d’audience unique a représenté, pour l’année 2022, 6,9 % des procédures CJPM, et seulement 5,7 % au dernier trimestre 2022 (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 33).
[18] Rapport Assemblée nationale, 22 mars 2023, préc., rec. n° 16.
[19] Parmi les mineurs ayant eu un premier jugement en 2022 dans le cadre d’une procédure relevant du CJPM, 72 % ont été poursuivis devant le juge des enfants et 28 % devant le tribunal pour enfants (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 54).
[20] S. Jacopin, G. Joubert et C. Marie, Être assesseur au sein du tribunal pour enfants en 2021, Gaz. Pal. 28 septembre 2021, n° 426p2, p. 15.
[21] Il ressort des statistiques que 29,5 % des peines prononcées par les juridictions pour mineurs (hors cour d’assises des mineurs), le sont en chambre du conseil [21], ce qui n’a pas augmenté le prononcé de peines mais remplit l’objectif de désengorgement du TPE (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 56).
[22] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 18.
[23] La part de mineurs en détention provisoire parmi l’ensemble des détenus dépassait 80 % en 2019 avant le premier confinement.
[24] Cass. crim., 6 avril 2022, n° 22-80.276, F-B N° Lexbase : A17797T3 : E. Gallardo, obs., AJ pénal, 2022. 324. Solution confirmée par : Cass. crim., 22 février 2023, n° 22-85.078, F-B N° Lexbase : A74069DN).
[25] Pour une modification de l’article L. 322-5 N° Lexbase : L2890L8K, afin de rendre obligatoire le rapport éducatif, V. Proposition de loi visant à conforter les principes du code de la justice pénale des mineurs, AN, 25 avril 2023 (art. 4). De nombreux magistrats du parquet et juges des libertés et de la détention s’organisent pour que ce rapport de moins d’un an figure au dossier de procédure dès le stade du défèrement. La mise à jour régulière des dossiers uniques de personnalité y contribuerait (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 34).
[26] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 34.
[27] Rapport d’information, Assemblée nationale, 22 mars 2023, préc., p. 40.
[28] E. Gallardo, L’aménagement ab initio de la peine par le le tribunal pour enfants : quel sens pour la peine du mineur ?, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? préc., p. 108.
[29] En 2019, ils étaient 37 % à bénéficier d’une mesure éducative, en 2022 ils étaient 44 % à bénéficier d’une mesure éducative judiciaire provisoire.
[30] V. Étude de la mise en œuvre de la mesure judiciaire éducative pré ou post sentencielle, Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), Annexe 3 du Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 73.
[31] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 56.
[32] 76 % des mineurs ont été condamnés à une peine en 2019 et 68 % en 2022. Le quantum ferme moyen d’emprisonnement a, en revanche, augmenté, passant de 5,2 mois en 2019 à 6,2 % en 2002, sans doute généré par l’interdiction de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un mois (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 35).
[33] 11 % des mineurs condamnés en 2019 à 14 % en 2022 (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 35).
[34] 5 % des mineurs condamnés en 2019 à 9 % en 2022.
[35] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 36.
[36] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 56.
[37] En 2022, 760 déclarations de réussite éducative ont été prononcées.
[38] De nombreux modules sont prononcés sans modalité particulière (p. 41), ce qui laisse une grande latitude aux services de la PJJ.
[39] Adopté par le Parlement le 11 octobre 2023 [dossier législatif].
[40] Étude de la mise en œuvre de la mesure judiciaire éducative pré ou post sentencielle, DPJJ, préc.,
[41] V. Étude DPJJ, préc., p. 79.
[42] Ministère de la Justice, Dossier de presse, oct. 2023 (p. 4).
[43] Au 4ème trimestre 2022, 30 % des mineurs ayant eu un jugement de culpabilité ou en audience unique, ont été jugés dans un délai supérieur au délai légal de trois mois, chiffre significatif mais qui tend à se stabiliser (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 30).
[44] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 31.
[45] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 23 et 24.
[46] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 21.
[47] Temps de défèrement estimé entre 30 et 45 mn selon les juridictions : Rapport MJ, p. 21.
[48] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 22.
[49] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 22.
[50] S. Jacopin, G. Joubert et C. Marie, Être assesseur au sein du tribunal pour enfants en 2021, Gaz. Pal., 28 septembre 2021, n° 426p2, p. 17, 18.
[51] C. Sallée, La pratique du juge des enfants, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ?, préc., spéc. p. 123, 124.
[52] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 23
[53] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 23 et 24.
[54] Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 29.
[55] V. O. Lunion, La pratique de la Protection judiciaire de la jeunesse depuis le CJPM, in Le code de la justice pénale du mineur : quel bilan ? préc., p. 153.
[56] Étude DPJJ, préc., juin 2023, p. 74.
[57] Délai moyen de prise en charge des mesures éducatives, provisoires ou non, de moins d’un mois (1er trimestre 2023).
[58] Utilisée régulièrement : 20 % des mises à l’épreuve éducative.
[59] Le taux de constitution de partie civile dans les affaires jugées avec au moins une victime a augmenté de 5,5 points entre 2019 et 2022, passant de 31 % à 36,5 % (Rapport du ministère de la Justice, octobre 2023, préc., p. 44).
[60] + 38 % entre 2019 et 2022.
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