Le Quotidien du 20 novembre 2023 : Droit international privé

[Brèves] Règlement « succession » : choix de la loi nationale d’un État tiers applicable à une succession et existence d’un accord bilatéral en vigueur avant l’adoption du Règlement

Réf. : CJUE, 12 octobre 2023, aff. C-21/22 N° Lexbase : A26391LC

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N7415BZN

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par Larick Okounda, Doctorant en droit international, Juriste-documentaliste

le 17 Novembre 2023

Mots-clés : règlement « succession » • loi applicable • ressortissant d’un État tiers • accord bilatéral • primauté

Le Règlement « succession » n° 650/2012 n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties, pour autant que, d’une part, le ou les États membres concernés aient déjà été parties à la Convention internationale en cause lors de l’adoption du Règlement et que, d’autre part, cette Convention porte sur les matières régies par ce Règlement.

Si, conformément à l’article 22 du Règlement « succession », un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre peut designer la loi de cet État tiers (loi nationale) comme loi applicable à l’ensemble de sa succession, il n’en est pas de même lorsqu’il existe un accord bilatéral entre cet État membre et cet État tiers, signé avant l’adoption du Règlement « succession », qui prévoit à l’avance la loi applicable aux successions mobilières et immobilières de leurs ressortissants respectifs.


 

Dans sa décision du 12 octobre 2023, la CJUE apporte des précisons sur les conditions d’application des articles 22 et 75 du Règlement n° 650/2012, du 4 juillet 2012 N° Lexbase : L8525ITW relatives au choix de la loi applicable à une succession concernant un ressortissant d’un Etat tiers ayant conclu un accord bilatéral avec un État membre en matière de succession.

L’affaire concernait une ressortissante ukrainienne, résidant en Pologne où elle était copropriétaire d’un bien immobilier, et, qui souhaitait établir un testament authentique auprès d’un clerc notaire polonais avec pour volonté de designer le droit Ukrainien comme loi applicable à sa succession. Face au refus du notaire d’établir un tel acte, prétextant son incompatibilité avec les articles 22 et 75 du Règlement « Succession », elle a exercé un recours devant un tribunal polonais. Ce dernier a donc saisi la Cour en question préjudicielle. De manière générale, le problème qui se pose est celui de savoir si un ressortissant d’un pays tiers peut choisir sa loi nationale en présence d’un accord bilatéral qui restreint cette liberté. La CJUE répond en deux temps. En effet, si dans un premier temps elle affirme l’autonomie de la volonté des ressortissant tiers pour choisir leur loi nationale (I), dans un second temps, elle admet qu’un accord bilatéral entre un État membre et un État tiers puisse rendre impossible ce choix (II).

 I. Confirmation du principe de l’autonomie de la volonté des ressortissants des pays tiers relative au choix de leur loi nationale applicable à l’ensemble de leur succession

Consacrée par l’article 22 du Règlement, l’autonomie de la volonté permet au futur défunt d’organiser sa succession, notamment en choisissant la loi applicable à cet effet [1]. Dans cette première partie de l’arrêt de la CJUE, la question était de savoir si le requérant d’un pays tiers pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 22 du Règlement en désignant notamment sa loi nationale comme loi applicable à l’ensemble de sa succession.  La réponse de la Cour est affirmative. Selon elle en effet, « l’article 22 du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, doit être interprété en ce sens que : un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre de l’Union européenne peut choisir la loi de cet État tiers comme loi régissant l’ensemble de sa succession ».

Ici, la Cour fait simplement une interprétation littérale en ce sens où, comme elle le souligne si bien, cet article vise « toute "personne", sans opérer aucune distinction entre les ressortissants des États membres de l’Union et les ressortissants d’États tiers ». De ce fait, la Cour confirme ainsi le caractère universel de ces dispositions, qui est d’ailleurs confirmé, comme l’affirment certains auteurs [2], par l’article 20 dudit Règlement qui précise que la loi désignée par le ressortissant « s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre ». Cependant, il faut tout de même rappeler que ce choix ne peut être possible qu’à condition de posséder la nationalité de l’État désigné, d’une part, et d’autre part de résider habituellement dans l’État membre au moment où le choix de la loi est effectué.

Pour rappel, l’article 22 du Règlement permet effectivement à toute personne de designer la loi de l’État dont elle a la nationalité. En principe, comme le rappelle la doctrine, ce choix exclut tout autre choix, notamment celle de la loi de la résidence habituelle [3] . Cependant, cette liberté peut être limitée en présence d’une convention internationale qui rend impossible toute possibilité de choix.

II. Neutralisation de la liberté de choisir sa loi nationale en cas d’existence d’un accord bilatéral prévoyant à l’avance la loi applicable à la succession

Les rédacteurs du Règlement ont anticipé les éventuels conflits pouvant naître entre celui-ci et les conventions internationales existantes entre les États membres et les États tiers qui portent sur les successions. Leurs relations sont d’ailleurs prévues à l’article 75. L’objectif était de préserver les engagements internationaux des États membres avant l’adoption du Règlement de 2012 [4].

Dans cette deuxième partie de la réponse de la Cour, la difficulté était justement posée par l’existence d’un accord bilatéral entre le Gouvernement polonais et le Gouvernement Ukrainien signé le 24 mai 1993 sur l’assistance juridique et les relations juridiques en matière civile et pénale. Son article 37 rend impossible toute liberté de choix en matière de succession dans la mesure où il prévoit la loi applicable aux biens mobiliers (loi nationale du de cujus) et immobiliers (loi de l’État dans lequel se situent les biens). La question était donc de savoir si la requérante pouvait librement choisir la loi de son pays malgré l’existence de cet accord.

Le raisonnement de la Cour est particulièrement intéressant au regard de la difficulté posée. Et à l’évidence, la réponse semble être négative. La CJUE commence par rappeler le paragraphe 1 de l’article 75 selon lequel : « L’application de ce Règlement ne saurait affecter celle des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties, pour autant que, d’une part, le ou les États membres concernés aient déjà été parties à la Convention internationale en cause lors de l’adoption du Règlement n° 650/2012 et que, d’autre part, cette convention porte sur les matières régies par ce Règlement ». Puis de conclure que : « L’article 75 du Règlement n° 650/2012, lu en combinaison avec l’article 22 de ce Règlement, ne s’oppose pas à ce que, lorsqu’un État membre de l’Union a conclu, avant l’adoption dudit règlement, un accord bilatéral avec un État tiers qui désigne la loi applicable en matière de successions et ne prévoit pas expressément la possibilité d’en choisir une autre, un ressortissant de cet État tiers résidant dans l’État membre en cause, ne puisse pas choisir la loi dudit État tiers pour régir l’ensemble de sa succession. » En clair, la requérante ne pouvait pas choisir sa loi nationale car « l’accord bilatéral rendait impossible toute possibilité » de choix.  

La décision de la CJUE est une parfaite illustration de l’articulation entre le Règlement et les conventions internationales. À cet effet, elle reconnaît clairement la primauté sur le Règlement « succession » des conventions internationales entre les États membres avec les États tiers antérieurement adoptées [5]. Il peut s’agir des accords ou conventions internationaux multilatéraux ou bilatéraux [6]. Pour ce faire, trois conditions doivent être remplies :  l’accord bilatéral doit être entré en vigueur avant l’adoption du Règlement du 4 juillet 2012. Ensuite, ledit accord doit désigner la loi applicable à la succession. Et enfin, le de cujus doit résider habituellement sur le territoire de l’État membre. En l’espèce, toutes ces conditions étaient bien remplies, dans la mesure où l’accord entre la Pologne et l’Ukraine date du 24 mai 1993 et que celui-ci ne permet pas de choisir la loi successorale. Par conséquent, si l’on se réfère à son article 37, la loi polonaise doit s’appliquer dans la mesure où le bien immobilier objet de la succession et la résidence habituelle de la requérante se trouvent sur le territoire polonais.

Dans la pratique, cet arrêt devrait interpeler les professionnels du droit à faire preuve de vigilance, en particulier les notaires, comme c’est le cas dans cette affaire, qui pourraient être confrontés à des situations similaires. Face à de tels cas impliquant notamment des ressortissants tiers, il est du devoir du notaire de rechercher s’il existe un accord ou une convention entre l’État membre et l’État tiers dont sont originaires les personnes concernées, et qui pourrait impacter d’une manière ou d’une autre le règlement de leur succession ou l’établissement d’un testament authentique.

 

[1] V. P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, Revue critique de droit international privé, n° 4, 2012/4, p. 697 et p. 719. En l’absence de ce choix, c’est la loi de l’État membre dans lequel la personne possède la résidence habituelle (article 4 du Règlement).

[2] V. A. Bonomi et P. Wautelet, Le droit européen des successions Commentaire du Règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012, 2e édition, Bruylant, p. 330.

[3] A. Bonomi, op. cit., p. 331.

[4] A. Bonomi, op. cit., p. 863.

[5] L’article 75 consacre également la primauté de la Convention de la Haye, du 5 octobre 1961, sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires et la Convention nordique, du 19 novembre 1934, entre le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède sur les héritages, testaments et l’administration des successions (modifié par la suite par l’accord intergouvernemental du 1er juin 2012).

[6] A. Bonomi et P. Wautelet, op.cit.,  p. 838.

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