Réf. : CEDH, 15 juin 2021, Req. 35786/19, Melike c/ Turquie (N° Lexbase : A12654WR)
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par Laïla Bedja
le 23 Juin 2021
► Le fait de licencier une salariée pour avoir appuyé sur le bouton « J’aime » sur certains contenus publiés par des tiers sur le site internet du réseau social Facebook constitue une violation de l’article 10 de la CESDH (liberté d’expression) ; en effet, l’emploi de la mention « J’aime » sur les réseaux sociaux, qui pourrait être considéré comme un moyen d’afficher un intérêt ou une approbation pour un contenu, constitue bien, en tant que tel, une forme courante et populaire de la liberté d’expression en ligne.
Faits et procédure. En mars 2016, une procédure disciplinaire est ouverte à l’encontre d’une salariée, agente de nettoyage contractuelle à la direction de l’éducation nationale, pour avoir ajouté la mention « J’aime » sur certains contenus Facebook publiés par des tiers sur ce réseau. Elle est licenciée, la commission disciplinaire estimant que les faits reprochés constituent des infractions prévues dans la convention collective de travail en vigueur. Cette dernière attente alors une procédure en annulation de la décision de résiliation de son contrat de travail, demandant réintégration à son poste. Le tribunal du travail turc la déboute de sa demande estimant que les contenus litigieux ne pouvaient être couverts par la liberté d’expression et que leurs contenus étaient de nature à perturber la paix et la tranquillité du lieu de travail. L’appel et le pourvoi sont aussi rejetés.
Devant la CEDH, la requérante invoque la violation de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ).
Violation. Énonçant la solution précitée, la CEDH dit que le licenciement constitue une violation de la liberté d’expression. Elle constate qu’il s’agit là essentiellement et incontestablement des questions portant sur des débats d’intérêt général et que les contenus en cause s’insèrent dans le contexte de ces débats. Elle rappelle à cet égard que l’article 10 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans deux domaines : celui du discours politique et celui des questions d’intérêt général.
La Cour observe que la requérante n’est pas la personne qui a créé et publié les contenus litigieux sur le réseau social concerné et que son acte se limite à cliquer sur le bouton « J’aime » se trouvant en dessous de ces contenus. Elle relève que l’acte d’ajouter une mention « J’aime » sur un contenu ne peut être considéré comme ayant le même poids qu’un partage de contenu sur les réseaux sociaux, dans la mesure où une mention « J’aime » exprime seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié, et non pas une volonté active de sa diffusion. En outre, il n’est pas allégué par les autorités que les contenus en question avaient atteint un public très large sur le réseau social en cause. En effet, certains de ces contenus ont reçu seulement une dizaine de mentions « J’aime » et quelques commentaires au total. Par ailleurs, compte tenu de la nature de sa fonction, la requérante ne pouvait disposer que d’une notoriété et d’une représentativité limitée sur son lieu de travail et que ses activités sur Facebook ne pouvaient pas avoir un impact significatif sur les élèves, les parents d’élèves, les professeurs et d’autres employés.
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