Réf. : Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-19.020, Mme Viviane Saastamoinen, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de sa fille Cindy Picard, FS-P+B (N° Lexbase : A6869DUX)
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N8871BAS
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le 07 Octobre 2010
Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel sur ce dernier point en retenant que la victime d'un dommage peut naturellement demander au premier chef réparation du préjudice qu'elle a subi, quelle que soit sa nature. Si elle ne l'a pas fait de son vivant, ses ayants cause peuvent agir à sa place en vertu du principe de la continuation de la personne du défunt dans ses droits et actions. En effet, aucune raison de principe ne s'oppose à ce que le droit d'agir soit transmis au décès de son titulaire dans la mesure où il suffit que la cause de l'action soit antérieure au décès. En considérant, en l'espèce, qu'aucun droit à indemnités n'était entré dans le patrimoine de la victime avant son décès, la cour d'appel a donc estimé, à tort, que le droit à réparation prenait naissance au jour du jugement définitif de condamnation et non au jour de la réalisation du dommage.
Le rôle assigné aux héritiers par la Cour est de ce fait très important puisqu'il ne s'agit pas ici de faire respecter la volonté du de cujus en continuant ses actions déjà entreprises, mais bien de suppléer l'absence d'une volonté caractérisée d'agir. On en vient, par conséquent, à présumer qu'il est de l'intérêt du défunt d'utiliser son droit d'agir. Or, cette présomption est d'autant plus forte que le droit d'agir est par définition un droit potestatif de l'individu, qui de par son caractère personnel, ne peut logiquement être transmis. En conséquence, l'atteinte portée à la personnalité ou à l'état de la personne décédée doit être suffisamment grave pour que l'on présume légitimement que le défunt aurait, selon toute probabilité, agi, ce qui est le cas lorsque la victime perd, comme l'admet la Cour de cassation, une chance de survie.
S'agissant de la nature du dommage subi par la victime, la question s'est longtemps posée de savoir s'il était possible pour ses successeurs d'agir en leur qualité pour un dommage qu'ils n'ont pas eux-mêmes subi. Pour le préjudice moral ou, tout du moins, le dommage extrapatrimonial qu'a pu subir le défunt, quelle qu'en soit sa nature, la question est d'autant plus délicate que la douleur morale ou physique ne peut être que personnelle et propre à celui qui l'a subie. Il est alors difficile d'imaginer que ses héritiers réclament la réparation d'un préjudice qui n'est pas le leur, d'autant plus qu'ils obtiennent déjà une réparation pour leur préjudice personnel en tant que victimes par ricochet (1). De même, admettre la patrimonialisation des préjudices personnels a nécessairement pour conséquence d'autoriser les héritiers les plus lointains à agir en réparation des préjudices moraux de la victime (2).
Enfin, le préjudice moral étant par définition extrapatrimonial, il ne peut léser le patrimoine du défunt. Les héritiers, recueillant un patrimoine intact, n'ont donc aucun intérêt à demander une réparation. Par conséquent, il convient, afin d'éviter un gain immérité, de réserver à la réparation de la douleur personnelle une action personnelle (3).
A la différence des chambres civiles (4), ces considérations ont longtemps inspiré la Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour laquelle il était simplement indécent de monnayer de cette façon le prix de la souffrance éprouvée par le défunt (5).
La question de la transmission à cause de mort du droit à réparation du préjudice moral ne pose désormais plus de difficultés depuis qu'un arrêt rendu par une Chambre mixte, le 30 avril 1976, a repris le principe selon lequel "le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance physique éprouvée par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers" (6).
Cette même question, qui a divisé les chambres de la Cour de cassation et qui divisait encore récemment les différentes juridictions de l'ordre administratif (7), est également résolue de manière définitive depuis que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 29 mars 2000, s'est aligné sur la jurisprudence civile : "considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers" (8).
Le motif donné par la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 mars 2007 ne varie donc pas des jurisprudences civile et administrative. Puisque la victime a subi avant son décès un préjudice, consistant en la "perte d'une chance de vie" (9), elle dispose par conséquent dans son patrimoine d'une action en réparation qui sera recueillie tout naturellement par ses héritiers, même lointains, au même titre que tous les autres éléments du patrimoine. Ainsi, les juges, en mettant fin à la confusion faite entre le préjudice à réparer, qui est extrapatrimonial, et l'action en réparation, révèlent bien que ce n'est pas le préjudice qui est transmis, mais le droit d'agir qui l'accompagne.
Peu importe donc que la victime n'ait pas elle-même intenté l'action, puisqu'il est précisé que le droit à réparation naît à la date à laquelle se produit le dommage. De même, peu importe que la victime n'ait pas agi, puisque ceci ne veut pas dire pour autant qu'elle y a renoncé. Le droit positif n'a en effet pas retenu une telle présomption, sauf à tirer de l'adage "qui ne dit mot consent" une éventuelle explication. Or, consentir à ne pas se plaindre ne peut être une solution convenable et juste aux intérêts du défunt. C'est pourquoi seule une renonciation expresse doit être requise. Et c'est précisément cette renonciation expresse qui ne peut par définition être obtenue dès lors que l'individu meurt sans avoir eu la possibilité ou le réflexe d'extérioriser une quelconque volonté d'agir.
Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne Ardenne
(1) Ph. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil, Les obligations, t. VI., Cujas, 9ème éd., 1998, p.125, n° 221 : "Il est immoral de donner une indemnité en compensation d'une souffrance à quelqu'un qui ne l'a pas subie. [...] L'argent de l'agonie versé aux héritiers apaiserait-il donc la souffrance morale de l'agonisant ?".
(2) M. Chauvaux, concl. sous CE contentieux, 29 mars 2000, n° 195662, Assistance publique - Hôpitaux de Paris (N° Lexbase : A9680B8Z), RFDA 2000, p. 853.
(3) J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, coll. U, A. Colin, 10ème éd., Paris, 2003, p. 373, n° 369.
(4) Cass. civ. 18 janvier 1943, D.C. 1943, p.45, note L. Mazeaud : "L'action en réparation du dommage résultant de la souffrance physique éprouvée par la victime avant son décès, né en la cause dans son patrimoine, s'est transmise à ses héritiers, leur auteur n'ayant accompli, avant de mourir, aucun acte impliquant renonciation de sa part".
(5) Cass. crim., 28 janvier 1960, D. 1960, p.574 ; CA Amiens, 8 mars 1968, G.P. 1968, II., p. 7.
(6) Cass. mixte, 30 avril 1976, 2 arrêts, n° 73-93.014, Consorts Goubeau c/ Alizan (N° Lexbase : A5436CKK) et n° 74-90.280, Epoux Wattelet c/ Le Petitcorps (N° Lexbase : A5437CKL), D. 1977, p.185, note M. Contamine-Raynaud.
(7) Auparavant, le Conseil d'Etat faisait naître le droit à réparation du dommage au moment du déclenchement de l'action en justice : CE, 11 décembre 1946, Sieur Pochon, Rec. p. 305 ; CE, 17 juillet 1950, Sieur Mouret, Rec. p. 447 ; CE, 29 janvier 1971, n° 74941, Association "Jeunesse et Reconstruction" (N° Lexbase : A9609B8E), Rec. p. 81. Contra : CAA Nantes, 22 février 1989, n° 89NT00011, Centre hospitalier régional d'Orléans c/ Fichon (N° Lexbase : A7747A8G), AJDA 1989, p. 276, note J. Arrighi de Casanova ; CAA Paris, 12 février 1998, n° 95PA02814, Mmes X et Y (N° Lexbase : A9453BHL), AJDA 1998, p. 234.
(8) CE, 29 mars 2000, précité, D. 2000, p. 563, note A. Bourrel. V. également : CE contentieux, 15 janvier 2001, n° 208958, AP-HP (N° Lexbase : A8879AQW), D. 2001, IR, p. 597.
(9) La Cour de cassation confirme en admettant l'existence de la perte d'une chance de vie, certaines solutions rendues en matière de responsabilité médicale. V. notamment : Cass. civ. 1, 10 janvier 1990, n° 87-17.091, M Sigillo c/ Mme Malle-Dupuis et autres (N° Lexbase : A9882AAA), D. 1991, somm. p.358, obs. J. Penneau, caractérisant la "perte d'une chance d'éviter la mort".
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