La lettre juridique n°257 du 26 avril 2007 : Éditorial

La responsabilité de l'Etat du fait des lois "inconventionnelles" : retour à L'esprit des lois

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La responsabilité de l'Etat du fait des lois "inconventionnelles" : retour à L'esprit des lois. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209064-la-responsabilite-de-letat-du-fait-des-lois-inconventionnelles-retour-a-i-lesprit-des-lois-i-
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Il est coutume d'attribuer la paternité du principe de séparation des pouvoirs à Locke et Montesquieu ; ou du moins à la philosophie des Lumières. Si une distribution des pouvoirs est sans conteste prônée par Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, l'indépendance de ces pouvoirs, c'est-à-dire l'absence de contact entre les pouvoirs, sans contre-poids, relève plutôt de la conception institutionnelle de Sieyès et des juristes du XIXème siècle. Paraphrasant, ou presque, Aristote, Montesquieu déclarait qu'"il y a, dans chaque Etat, trois sortes de pouvoir : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du choix des gens et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. [...] Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté ; [...] il n'y a point encore de liberté, si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice". Et l'auteur de L'esprit des lois ajoutait qu'"il faut faire du judiciaire une institution permanente, une puissance visible. Il faut qu'il ait une vraie marge de manoeuvre quant à l'application des lois, celles-ci étant complexes et devant s'articuler entre elles (us et coutumes, privilèges du roi, des nobles, des prêtres, des villes bourgeoises...). En particulier, il doit faire respecter les lois fondamentales du royaume de France, qui s'imposent même au roi". Montesquieu évoque, ainsi, une collaboration et une distribution des pouvoirs, et non une opposition des organes. Cette distribution n'est qu'organique ; l'objectif étant un contrôle mutuel des pouvoirs, afin d'empêcher le despotisme. Et on perçoit même, dans le respect des lois fondamentales, la nécessité d'un contrôle de constitutionnalité des lois.

La chose est réparée en 1958, mais le Conseil constitutionnel considère qu'il ne lui appartient pas d'examiner la conformité d'une loi... aux stipulations d'un traité ou d'un accord international. Or, la majorité de l'activité législative est d'inspiration internationale et, plus précisément, communautaire ; et la majorité des droits fondamentaux sont d'application directe, en France, via la suprématie du droit international érigée par l'article 55 de la Constitution. La question d'une responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité d'une loi vis-à-vis d'une norme internationale restait donc ouverte. Car, après avoir précisé, par exemple, dans sa décision du 10 juin 2004 que la transposition d'une norme internationale résultait d'une "exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution", le Conseil constitutionnel limitait son champ du contrôle, dans sa décision du 30 mars 2006, en précisant qu'"il [ne lui] appartient pas [...], lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une Directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de transposer en droit interne". Aussi, si le Conseil constitutionnel pourrait censurer, dans l'avenir, une loi de transposition méconnaissant les objectifs de la Directive transposée, c'est le Conseil d'Etat qui crée "la surprise", en la matière, par un arrêt d'Assemblée rendu le 8 février 2007 (décision "Gardedieu").

En effet, le Conseil crée un nouveau régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois s'appliquant aux cas de méconnaissance par le législateur des Conventions internationales (en l'espèce, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales). Refusant de statuer explicitement entre responsabilité pour faute ou sans faute, le Haut conseil dépasse, toutefois, le simple cadre restrictif de la traditionnelle responsabilité de l'Etat du fait des lois engagée sur le fondement d'une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ce faisant, le Conseil d'Etat refuse de s'affranchir du principe de séparation des pouvoirs et de juger à proprement fautif le fait pour le législateur de contrevenir à une norme internationale. Pour Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.), aucune norme n'habilite le juge à procéder à la qualification d'un comportement fautif de la part du législateur, dès lors que sont en cause les pouvoirs respectifs de l'autorité juridictionnelle et du pouvoir législatif ; c'est bien en vertu de l'ordre juridique interne, au sommet duquel se trouve la Constitution et, notamment, son article 55, que le Conseil d'Etat consent à écarter la loi contraire aux traités (décision "Nicolo") et à réparer le préjudice né de cette contrariété (décision "Gardedieu").

L'enjeu est de taille : selon le dernier rapport de la délégation européenne, la France enregistrait un déficit de transposition de 1,9 % en mai 2006. La France progresse légèrement dans le classement au sein des vingt-cinq pays de l'Union européenne et se situe, désormais, au dix-septième rang. Mais, on imagine, ainsi, l'étendue du contentieux de la responsabilité de l'Etat appliquée au droit communautaire car, désormais, toute méconnaissance par le législateur national de ce droit est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et peu importe que la norme communautaire ait ou non pour objet de conférer des droits aux victimes. La distribution des pouvoirs est préservée, mais l'indépendance stricte est quelque peu mise à mal : c'est le retour aux origines de la "séparation" des pouvoirs...

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