La lettre juridique n°254 du 29 mars 2007 : Famille et personnes

[Textes] Le mandat de protection future

Réf. : Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH)

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N3858BA7

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le 07 Octobre 2010

La protection juridique des majeurs vulnérables repose essentiellement sur deux dispositifs légaux, vieux de près de quarante ans : la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 (N° Lexbase : L8081HUT) qui définit les mesures de protection judiciaires que sont la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle, ainsi que la loi n° 66-774 du 18 octobre 1966 (N° Lexbase : L8080HUS), insérée dans le Code de la Sécurité sociale, qui a créé la tutelle aux prestations sociales. Depuis de nombreuses années, les rapports se sont succédés pour souligner la nécessité de réformer le droit des incapacités (1) dans la mesure où, selon les estimations récentes, les régimes de protection concernent aujourd'hui près de 700 000 majeurs et 68 000 mesures nouvelles sont prononcées chaque année (un million de personnes seraient ainsi placées sous protection en 2010) (2). Les évolutions démographiques et sociologiques caractérisées principalement par le vieillissement de la population expliquent que le droit français se soit doté d'un nouveau dispositif de protection des personnes qui ne peuvent plus pourvoir seules à leurs intérêts, tant personnels que patrimoniaux. La loi du 5 mars 2007, publiée au Journal officiel du 7 mars, ne réinvente pas la matière. Elle conserve, en effet, autour des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique, les trois régimes principaux que constituent la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle. Si la loi ne revient pas sur ce cadre, elle contient, en revanche, d'importantes innovations dans l'organisation des mesures et dans la mise en oeuvre de systèmes protecteurs concurrençant les régimes judiciaires existants. Parmi ceux-ci, le mandat de protection future, mesure de protection conventionnelle, permet aux majeurs d'anticiper, pour le jour où la maladie ou l'âge les empêchera de pourvoir seuls à leurs intérêts, l'organisation de leur propre protection et même celle de leurs enfants handicapés. Préconisé par le notariat dès les années 1970 (et encore récemment en 2006) (3) et adopté dans des pays de tradition romano-germanique tels que le Québec (mandat d'inaptitude) et l'Allemagne (Vollmacht) (4), le mandat de protection future offre à toute personne la liberté d'organiser elle-même, de manière conventionnelle, les conséquences de son incapacité à venir.

Ce nouveau mandat est introduit dans le Code civil à la Section 5 intitulée "Du mandat de protection future" (articles 477 à 494) du Chapitre II "Des mesures de protection juridique des majeurs", du Titre XI intitulé "De la majorité et des majeurs protégés par la loi" du Livre I "Des personnes".

La section 5 intitulée "Du mandat de protection future" est divisée en trois sous-sections :
Sous-section 1 - "Des dispositions communes" ;
Sous-section 2 - "Du mandat notarié" ;
Sous-section 3 - "Du mandat sous seing privé".

Le mandat de protection future peut être confié à une personne physique dès la publication de la loi. Toutefois, il ne prendra effet qu'à compter de la date d'entrée en vigueur de celle-ci, soit le 1er janvier 2009.

Cette étude a pour but de présenter, de manière non exhaustive, les conditions de mise en oeuvre de ce nouveau mécanisme conventionnel de protection (I), son fonctionnement (II) et les circonstances qui y mettent fin (III).

I - La mise en oeuvre du mandat

A - Parties au contrat et bénéficiaire

La loi du 5 mars 2007 offre à toute personne la possibilité de désigner, pour le jour où elle ne peut plus pourvoir seule à ses intérêts, un ou plusieurs mandataires chargés de la représenter. Selon les travaux parlementaires, ce mandat instaure un régime de représentation "mais sans entraîner l'incapacité de celui qui est représenté" (5).

La réforme crée également le "mandat de protection future pour autrui" (6) qui doit permettre aux parents d'un enfant handicapé de désigner une ou plusieurs personnes de confiance pour assumer la protection de cet enfant le jour où ils ne seront plus aptes à le faire eux-mêmes.

  • Le mandant

Le nouvel article 477 du Code civil autorise toute personne majeure ou mineure émancipée ainsi qu'une personne placée en curatelle, avec l'assistance du curateur, à conclure un mandat de protection future pour défendre ses propres intérêts. En conséquence, le majeur en tutelle se trouve privé de cette faculté.

Les parents ou le dernier vivant des père et mère, ne faisant pas eux-mêmes l'objet d'une mesure de tutelle ou de curatelle, sont également autorisés à désigner un ou plusieurs mandataires pour représenter les intérêts de leur enfant handicapé. Deux hypothèses sont prévues par l'article 477 :
- lorsque l'enfant est mineur, les parents ou le dernier vivant des père et mère peuvent mandater en son nom s'ils exercent sur lui l'autorité parentale ;
- lorsque l'enfant est majeur, le ou les mandants doivent assumer la charge matérielle et affective de celui-ci.

  • Le mandataire

Le mandant peut désigner, par un même mandat, une ou plusieurs personnes pour le représenter. Le mandataire peut ainsi être toute personne physique ou une personne morale à condition d'être inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs prévue à l'article L. 471-2 du Code de l'action sociale et des familles.

La personne désignée doit, néanmoins, jouir de la capacité civile pendant l'exécution du mandat et remplir l'ensemble des conditions requises pour exercer une tutelle ou une curatelle.

En outre, l'article 482 du Code civil précise que l'exécution du mandat constitue une charge personnelle du mandataire. Cependant, ce dernier pourra se substituer un tiers pour les actes de gestion du patrimoine. Il répondra alors dans ce cas de la personne qu'il s'est substitué conformément au droit commun du mandat (C. civ., art. 1994 N° Lexbase : L2217ABQ).

  • Le bénéficiaire

Dans l'hypothèse d'un mandat de protection future "pour soi-même", le bénéficiaire est logiquement le mandant lui-même dès lors qu'il ne pourra plus pourvoir seul à ses intérêts pour l'une des causes prévues au nouvel article 425 du Code civil (7).

En revanche, dans l'hypothèse d'un mandat de protection future "pour autrui", le bénéficiaire est l'enfant qui ne peut également pas pourvoir seul à ses intérêts.

B - L'établissement du mandat

Conformément au droit commun du mandat, le mandat de protection future peut être conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé. Toutefois, le mandat de protection future "pour autrui" conclu par les parents ou le dernier vivant d'entre eux est exclusivement un acte notarié (C. civ., art. 477, al. 4).

L'article 492 du Code civil subordonne par ailleurs la validité du mandat sous seing privé à des conditions de forme en exigeant que l'acte daté et signé de la main du mandant soit également contresigné par un avocat ou établi selon un modèle défini par décret en Conseil d'Etat. Il est également prévu que l'acte sous seing privé n'acquiert date certaine que s'il a été enregistré (C. civ., art. 1328 N° Lexbase : L1438ABU).

C - La prise d'effet du mandat

Le mandat de protection future "pour soi-même" prend effet lorsqu'il est établi que le mandant ne peut plus pourvoir seul à ses intérêts en raison, comme l'indique l'article 425 du Code civil, "d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté" (C. civ., art. 481).

Le mandat de protection future "pour autrui" prend, quant à lui, effet au jour où le mandant décède ou ne peut plus prendre soin de son enfant (C. civ., art. 477).

Pour ce faire, un certificat médical émanant d'un médecin choisi sur une liste mentionnée à l'article 431 du Code civil doit établir que le mandant se trouve dans l'une des situations visées à l'article 425.

Dans ce cas, le mandataire produit au greffe du tribunal d'instance le certificat médical ainsi que le mandat que le greffier vise, date et restitue au mandataire (C. civ., art. 481, al. 2). Le greffier ne dispose donc d'aucun pouvoir d'appréciation, son intervention se limitant à la simple constatation de la prise d'effet du mandat.

Il est également prévu de notifier la prise d'effet du mandat au mandant dans les conditions fixées par décret (C. civ., art. 481, al.1er).

On peut regretter qu'aucune mesure de publicité n'ait été prévue par la loi. La prise d'effet du mandat ne fait effectivement pas l'objet d'une publication ou d'une information générale des tiers qui se verront opposer le mandat par le mandataire. Aussi le notariat souhaite-t-il que ce mandat soit publié au répertoire civil (8).

Une fois la mesure ouverte, le mandataire chargé de l'administration des biens de la personne protégée fait procéder à l'inventaire de ceux-ci (C. civ., art. 486, al.1er).

II - Le fonctionnement du mandat

A - L'objet du mandat

Le mandat de protection future est destiné à la protection de la personne et de ses intérêts patrimoniaux, s'il n'en est disposé autrement. Le mandat peut donc être limité expressément à l'une de ces deux missions seulement.

Toutefois, la loi du 5 mars 2007 prévoit que, lorsque le mandat s'étend à la protection de la personne, les droits et les obligations du mandataire sont définis par les articles 457-1 à 459-2 du Code civil qui fixent, désormais, le régime primaire de la protection de la personne du majeur placé en tutelle ou en curatelle.

B - Les pouvoirs et obligations du mandataire

La mission du mandataire diffère selon que le mandat est notarié ou établi sous seing privé. A ces deux formes de mandat correspondent en effet des champs de protection patrimoniale différents, respectivement prévus aux nouveaux articles 489 à 491 (acte notarié) et 492 à 494 (acte sous seing privé).

  • Pouvoirs

Ainsi, le mandat conclu par acte notarié assure la protection juridique la plus étendue dans la mesure où le mandataire peut réaliser tous les actes patrimoniaux que le tuteur a le pouvoir d'accomplir seul ou avec autorisation (C. civ., art. 490, al. 1er). La loi exclut l'exigence d'un mandat exprès pour les actes de disposition. En revanche, une exception est prévue pour les actes de disposition à titre gratuit que le mandataire ne peut accomplir que sur autorisation du juge du tutelle afin d'éviter les donations abusives ou sous influence qui auraient été consenties au profit du mandataire (9).

Le mandat conclu par acte sous seing privé est limité, quant à la gestion du patrimoine, aux actes qu'un tuteur peut faire sans autorisation (C. civ., art. 503 à 504). Les autres actes (ceux soumis à autorisation ou non prévus par le mandat) devront, s'ils sont nécessaires dans l'intérêt du mandant, être autorisés par le juge des tutelles, saisi par le mandataire (C. civ. art. 493, al.2).

  • Obligations

S'agissant du mandat notarié, le mandataire doit établir chaque année le compte de sa gestion (10). Il a, également, l'obligation d'adresser annuellement au notaire ses comptes accompagnés des pièces justificatives utiles.

Lorsque le mandat est conclu sous seing privé, le mandataire établit également chaque année le compte de sa gestion. Il doit en outre conserver l'inventaire des biens et ses actualisations, les cinq derniers comptes de gestion, les pièces justificatives ainsi que les pièces nécessaires à la continuation de la gestion (C. civ., art. 494, al.1er). Il est enfin tenu de présenter ces différentes pièces au juge des tutelles ou au procureur de la République dans les conditions posées par l'article 416 du Code civil.

C - Le rôle du juge des tutelles

Saisi par toute personne intéressée aux fins de contester la mise en oeuvre du mandat ou de voir statuer sur les conditions et les modalités de son exécution, le juge peut modifier la protection apportée de trois manières :
- le juge peut mettre fin au mandat et ouvrir une mesure de protection juridique, en prononçant une sauvegarde de justice, une curatelle ou une tutelle dans les conditions requises par chacun de ces régimes ;
- lorsque la mise en oeuvre du mandat ne permet pas, en raison de son champ d'application, de protéger suffisamment les intérêts personnels ou patrimoniaux de la personne, le juge peut le compléter en lui adjoignant une mesure de protection judiciaire qu'il confiera à une personne habilitée à l'exercer ou au contraire au mandataire conventionnel ;
- dans la même hypothèse, le juge peut autoriser le mandataire conventionnel ou un mandataire ad hoc à accomplir un ou plusieurs actes déterminés non couverts par le mandat.

III - La fin du mandat

A - Causes

Le mandat de protection future prend fin par :

- le rétablissement des facultés personnelles de la personne protégée constaté à la demande du mandant ou du mandataire ;
- le décès de la personne protégée ou le décès du mandataire ;
- le placement en curatelle ou en tutelle de la personne protégée, sauf décision contraire du juge des tutelles ;
- le placement sous une mesure de protection et la déconfiture du mandataire ;
- la révocation du mandat par décision du juge des tutelles à la demande de toute personne ayant un intérêt à agir.

B - Conséquences

L'article 487 du Code civil prévoit qu'à l'expiration du mandat et dans les cinq ans qui suivent, le mandataire doit tenir à la disposition de la personne qui continue la gestion des biens du majeur, de la personne protégée elle-même si elle a recouvré ses facultés ou de ses héritiers, l'inventaire des biens et ses actualisations, ainsi que les cinq derniers comptes de gestion. Il doit également tenir à leur disposition les pièces nécessaires pour continuer la gestion ou assurer la liquidation de la succession de la personne protégée.

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne


(1) V. notamment : Rapport du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs, avril 2000 ; Conseil économique et social, avis sur le rapport "Réformer les tutelles" présenté au nom de la section des affaires sociales par Mme Rose Boutaric, séance 26-27 septembre 2006.
(2) Rapport Sénat n° 212, 2006-2007, sur le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, p.15.
(3) Les personnes vulnérables, 102ème Congrès des Notaires de France, Strasbourg, 21-24 mai 2006, p.497 s.
(4) Rapport. Sénat n° 212, p. 39.
(5) Rapport Sénat n° 212, p. 183 : Ce mandat "fonctionnera comme une procuration générale donnée par une personne à un tiers sans que cette personne soit privée de l'ensemble de ses droits".
(6) Selon l'expression retenue dans le dossier de presse du 28 novembre 2006 présentant la réforme des tutelles, ministère de la Justice, ministère délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille.
(7) V. infra.
(8) 102ème Congrès des notaires de France, Defrénois 2006, act. not. 118 : que "le mandat de protection future fasse, dès sa mise en oeuvre, l'objet d'une mesure de publicité au répertoire civil et que la mention de cette inscription soit portée sur l'extrait d'acte de naissance de la personne concernée".
(9) Rapport Sénat n° 212, p.195.
(10) Le compte de la gestion du mandataire est vérifié selon les modalités définies par le mandat. Le juge peut également en tout état de cause faire vérifier ce compte selon les modalités prévues à l'article 511 du Code civil (C. civ., art. 486, al.2).

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