Réf. : T. confl., 19 mars 2007, M. Samzun, n° 3622 (N° Lexbase : A7097DUE)
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N3920BAG
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé
L'appréciation de la légalité de l'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, relative au contrat nouvelles embauches, qui inclut l'appréciation de la conformité de l'acte à une norme supérieure, d'origine interne ou internationale, n'implique pas nécessairement la compétence de la jurisprudence administrative. |
Décision
T. confl., 19 mars 2007, M. Samzun, n° 3622 (N° Lexbase : A7097DUE) Textes visés : ordonnance du 2 août 2005, n° 2005-893, relative au contrat de travail "nouvelles embauches" (N° Lexbase : L0758HBP) ; loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (N° Lexbase : L6429HET) ; loi n° 2006-339, du 23 mars 2006, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (N° Lexbase : L8128HHI). Mots-clefs : contrats nouvelles embauches ; juge judiciaire ; juge administratif. Lien bases : |
Faits
Procédure opposant P. Samzun à L. de Wee. Déclinatoire, présenté le 19 juillet 2006, par le préfet de l'Essonne, tendant à voir déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de l'exception concernant l'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, relative au contrat nouvelles embauches, par le motif que cette ordonnance, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution et non ratifiée, a le caractère d'un acte administratif réglementaire et que le juge administratif est seul compétent pour en apprécier la légalité. Par un arrêt rendu le 20 octobre 2006, la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence. Le préfet de l'Essonne a, par arrêté le 31 octobre 2006, élevé le conflit. Le 12 décembre 2006, le Garde des Sceaux transmet au tribunal des conflits le dossier de la procédure opposant P. Samzun à L. de Wee devant la cour d'appel de Paris. L'arrêté de conflit du préfet de l'Essonne en date du 31 octobre 2006 est annulé par le tribunal des conflits. |
Solution
L'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, a été implicitement ratifiée et ne présente donc pas le caractère d'un acte administratif réglementaire : le juge administratif n'est pas compétent pour en apprécier la légalité. |
Observations
Par sa décision rendue le 19 mars 2007, le tribunal des conflits retient la compétence du juge judiciaire pour examiner la compatibilité de l'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, instituant le contrat nouvelles embauches avec la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail (OIT). Ce contentieux devrait clore, ainsi, une suite de décisions rendues dans le même litige. Le conseil de prud'hommes de Longjumeau avait écarté l'application de l'ordonnance n° 2005-893 en raison de son incompatibilité avec la convention n° 158 de l'OIT (conseil de prud'hommes, Longjumeau, 20 février 2006, RG n° 05/00974, M. Peyroux N° Lexbase : A5277DNR ; lire nos obs., Contrat "nouvelles embauches" : un nouveau contrat de travail ou une réforme du droit du licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 207 du 23 mars 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5993AK8). Puis, la cour d'appel de Paris avait reconnu la compétence du juge judiciaire pour écarter un acte réglementaire contraire à une norme internationale (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 20 octobre 2006, n° 06/06992, M. le Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry c/ Melle de Wee et M. Samzum N° Lexbase : A0480DSL ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Conventionnalité ne vaut pas légalité : illustration en matière de CNE, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4783ALQ). L'arrêt rendu par le tribunal des conflits est d'un double intérêt : sur le plan procédural, il indique clairement que la compétence judiciaire doit être retenue, s'agissant d'un contentieux portant sur le contrat nouvelles embauches (1) ; sur le fond, il permet utilement de faire le point sur la conformité du contrat nouvelles embauches au droit international, que le Conseil d'Etat a déjà reconnue (CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du travail et autres N° Lexbase : A9977DKQ ; lire nos obs., Le Conseil d'Etat valide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0289AKW) (2). 1. Règles de compétence juridictionnelle pour apprécier la conformité du contrat nouvelles embauches au droit international 1.1. Compétence du juge administratif en question Selon le ministère de l'Emploi, tant qu'elle n'a pas été ratifiée, l'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, présente le caractère d'un acte administratif et relève, pour l'appréciation de sa légalité, qui inclut l'appréciation de la conformité de l'acte à une norme supérieure, d'origine interne ou internationale, de la compétence du juge administratif. Le Conseil d'Etat s'était déjà prononcé dans une affaire proche, en décidant que, si une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution conserve, aussi longtemps que le Parlement ne l'a pas ratifiée expressément ou de manière implicite, le caractère d'un acte administratif, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement. L'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation fait, ainsi, obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d'abrogation portant sur les dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même seraient-elles entachées d'illégalité (CE Contentieux, 11 décembre 2006, n° 279517, Conseil national de l'ordre des médecins, publié N° Lexbase : A8864DS4). 1.2. Compétence du juge judiciaire Le tribunal des conflits n'a pas suivi le raisonnement développé par le ministère de l'Emploi. Selon le tribunal des conflits, les ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution présentent le caractère d'actes administratifs tant qu'elles n'ont pas été ratifiées. La ratification, qui a pour effet de leur conférer rétroactivement valeur législative, peut résulter du vote du projet de loi de ratification prévu à l'article 38 de la Constitution ainsi que du vote d'une autre disposition législative expresse ou d'une loi qui, sans avoir la ratification pour objet direct, l'implique nécessairement. L'ordonnance n° 2005-893 avait été mise en oeuvre par le pouvoir réglementaire en application de la loi n° 2005-846, du 26 juillet 2005, habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi (N° Lexbase : L8804G9X). La loi n° 2005-846 n'avait rien prévu quant aux délais maxima de validité de ces ordonnances, ni d'un calendrier de vote d'une loi de ratification. En l'espèce, tel est le cas de l'ordonnance n° 2005-893, du 2 août 2005, dès lors que les lois n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 et n° 2006-339 du 23 mars 2006, qui prévoient les mesures de financement de l'allocation forfaitaire allouée par l'ordonnance n° 2005-893 aux travailleurs titulaires d'un contrat nouvelles embauches s'ils se trouvent privés d'emplois, ont eu pour effet de ratifier implicitement l'article 3 de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, qui n'est pas divisible de l'ensemble de ses autres dispositions. In fine, selon le tribunal des conflits, l'ordonnance n° 2005-893 n'a plus valeur réglementaire. Il faut rappeler que le contrat nouvelles embauches est un contrat de droit privé, ce qui ressort implicitement de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, qui précise que ce contrat est soumis aux dispositions du Code du travail. La solution retenue par le tribunal des conflits, d'accorder au juge judiciaire plénitude de compétence pour apprécier l'ensemble du contentieux généré par le contrat nouvelles embauches, paraît aller dans le bon sens, celui d'une simplification du contentieux. Celui-ci aurait été, à défaut, partagé entre deux ordres de juridictions, selon que le salarié régi par le contrat nouvelles embauches conteste ou non la légalité de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 devant le juge administratif, ou conteste l'application du régime juridique du contrat nouvelles embauches devant les juridictions de l'ordre judiciaire. Cette simplicité dans les règles de recours juridictionnels doit totalement être approuvée, car l'histoire du régime des contrats aidés montre qu'il n'en a pas toujours été ainsi, suscitant des débats judiciaires et doctrinaux aussi complexes qu'inutiles (spécialement, s'agissant des contrats de travail spéciaux conclus avec une personne morale de droit public, car la compétence du juge administratif devient alors envisageable). Pertinemment, la CFDT, la CGT et la CFTC, relativement à l'annulation de l'arrêté de conflit, ont relevé que, s'agissant de la conventionnalité d'une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, les juridictions des deux ordres sont également compétentes, sans qu'il y ait lieu à renvoi de l'une à l'autre. Le renvoi devant la juridiction administrative ne s'impose pas, le juge judiciaire étant compétent pour interpréter un acte réglementaire. 2. Appréciation de la conformité du contrat nouvelles embauches au droit international et au droit interne 2.1. Précédents judiciaires : l'incertaine conformité du contrat nouvelles embauches au droit international
Le contrat nouvelles embauches, on le sait, pose une dérogation importante au droit du licenciement, puisque l'employeur est dispensé d'appliquer les solutions admises par le Code du travail les deux premières années. Mais, au nom de l'emploi, peut-on déroger au droit commun du licenciement ? La réponse apportée par le Conseil d'Etat paraît affirmative : les objectifs poursuivis par le législateur justifient que la priorité donnée à l'emploi prime sur l'application du Code du travail et du droit social européen et international, précision étant faite que le domaine de la dérogation reste limité et encadré (CE, 19 octobre 2005, requête n° 283471, préc.). De plus, pour le Conseil d'Etat, il ne résulte ni du principe de liberté énoncé à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1368A9K), ni d'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle que la faculté pour l'employeur de mettre fin au contrat nouvelles embauches devrait être subordonnée à l'obligation d'en énoncer préalablement les motifs et d'en prévoir les modalités de réparation. Le Conseil d'Etat a précisé que demeurent, en revanche, applicables au contrat nouvelles embauches, les articles L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) à L. 122-44 du Code du travail (N° Lexbase : L5582ACQ) relatifs à la discipline et l'article L. 122-45 du même code (N° Lexbase : L3114HI8), prohibant les mesures discriminatoires. Aussi, l'ordonnance n° 2005-893 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires. D'où la conclusion tirée par les juges administratifs : les règles de rupture du contrat nouvelles embauches pendant les deux premières années suivant la date de sa conclusion ne dérogent pas aux stipulations des articles 8-1, 9 et 10 de la convention n° 158 de l'OIT. Il ne faut pas négliger qu'en contrepartie de cette liberté laissée à l'employeur, l'article 2 de l'ordonnance n° 2005-893 prévoit, en cas de rupture du contrat nouvelles embauches à l'initiative de l'employeur au cours des deux premières années d'exécution du contrat, sauf faute grave ou lourde du salarié, une contribution à la charge de l'employeur qui a pour objet de financer les actions d'accompagnement renforcé du salarié en vue de son retour à l'emploi. Cette contribution est recouvrée par le régime d'assurance chômage (circulaire Unédic, n° 05-18, du 14 octobre 2005, rupture du contrat nouvelles embauches CNE N° Lexbase : L1679HDK). Le Conseil constitutionnel avait statué dans le même sens (Cons. const., décision n° 2005-521 DC, du 22 juillet 2005, loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi N° Lexbase : A1642DKZ). Les auteurs de la saisine avançaient que la loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi, porterait une atteinte disproportionnée à l'économie des accords collectifs en cours ainsi qu'à la convention n° 158 de l'OIT, concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur. Le grief n'a pas été retenu par le Conseil constitutionnel, selon lequel les dispositions en cause ne sont ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle. Elles ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les normes internationales ou européennes applicables.
Mais, en 2006, un conseil de prud'hommes a avancé un point de vue opposé : l'ordonnance n° 2005-893 étant contraire à la convention n° 158 de l'OIT, elle est privée d'effet juridique. Le contrat nouvelles embauches, pris sur le fondement d'un texte non valable, s'analyse en contrat à durée indéterminée de droit commun, soumis à toutes les dispositions du Code du travail. En effet, les termes de l'ordonnance n° 2005-893 sont manifestement contraires à la Convention n° 158 de l'OIT, qui impose l'existence d'une procédure contradictoire préalable au licenciement, d'un motif valable de licenciement et d'un recours effectif devant les juridictions pour contrôler l'existence de ce motif valable. De plus, les juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la convention n° 158 de l'OIT relève de la compétence du juge judiciaire : il n'y a donc pas question préjudicielle qui doit être soumise à l'examen du juge administratif (CA Paris, 18ème ch., sect. E, n° S 06/06992, 20 octobre 2006, préc.). 2.2. Conformité du contrat nouvelles embauches au droit interne De manière générale, l'employeur est tenu de respecter les règles édictées par le droit des obligations, spécialement celles relatives à l'exigence de la bonne foi ou le respect de l'ordre public. Un conseil de prud'hommes (CPH Longjumeau, 20 février 2006, préc.), statuant sur le contrat nouvelles embauches, a rappelé que les droits que les individus tiennent de la loi leur sont attribués dans un intérêt social précis. Il ne s'agit jamais de droits discrétionnaires : tout usage d'une prérogative légale hors ou contre l'intérêt social qui lui est attaché s'analyse en abus de droit. Le principe a vocation à s'appliquer à tous les contrats spéciaux. Dans le même sens, un autre tribunal a relevé qu'en l'espèce, le contrat nouvelles embauches a été signé à la suite de divers contrats d'intérim et n'a été conclu que pour contourner les exigences du texte et conserver la salariée à la disposition de la société. |
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