La lettre juridique n°165 du 28 avril 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Requalification sur requalification ne vaut...

Réf. : Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-44.996, CGEA d'Orléans c/ M. Fabien Rio, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7990DHE)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Si la requalification a des limites, elle dispose d'une portée générale dès lors qu'un contrat de mission conclu avec une entreprise utilisatrice est requalifié. C'est ce que vient affirmer, pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation dans la décision commentée. A la cour d'appel qui avait cru pouvoir allouer au salarié une indemnité de requalification et des indemnités de rupture au titre de chaque contrat de mission requalifié, elle vient rappeler que la requalification du premier contrat de mission emporte l'inscription de l'employeur et du salarié dans une relation à durée indéterminée qui vient absorber tous les contrats de missions postérieurs, même licites. Pour cette raison, le salarié ne peut prétendre qu'à une seule indemnité de requalification et à des indemnités de rupture pour ce premier contrat. Cette solution, partiellement nouvelle, ne peut qu'être approuvée.
Décision

Cass. soc., 13 avril 2005, n° 03-44.996, CGEA d'Orléans, Centre de gestion et d'étude de l'AGS, Délégation régionale AGS Centre Ouest, unité déconcentrée de l'Unedic, association déclarée, agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS c/ M. Fabien Rio, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7990DHE)

Cassation partielle (CA Versailles, 17ème Chambre sociale, 24 avril 2003)

Mots-clefs : contrat de travail temporaire ; requalification ; non-cumul des indemnités.

Textes visés : C. trav., art. L. 124-7 (N° Lexbase : L9648GQE) ; C. trav., art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) ; C. trav., art. L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) ; C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) ; C. trav., art. L. 124-7-1 (N° Lexbase : L5634ACN)

Lien base :

Faits

Un salarié a été mis à disposition d'une entreprise utilisatrice par quatre contrats de travail temporaires successifs, conclus au motif d'un accroissement temporaire d'activité. Cette société a été mise en liquidation.

Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de ces missions en contrats de travail à durée indéterminée. La cour d'appel a requalifié la relation de travail et a condamné à l'AGS, qui venait aux droits de la société mise en liquidation, à verser au salarié des indemnités de rupture et une indemnité de requalification pour chaque contrat de mission requalifié.

Problème juridique

Quelle est la conséquence de la requalification du premier contrat de mission conclu par un travailleur temporaire sur les contrats de missions conclus postérieurement ?

La requalification de plusieurs contrats de missions en un contrat de travail à durée indéterminée ouvre-t-elle droit, au profit du salarié, à une indemnité de requalification et des indemnités de rupture au titre de chaque contrat de mission requalifié, ou ce dernier ne peut-il prétendre qu'à une seule indemnisation ?

Solution

1. Cassation partielle

2. "Attendu que la cour d'appel, qui a exactement requalifié le premier contrat en contrat à durée indéterminée, en relevant que le motif d'accroissement temporaire d'activité n'était pas établi, a pu décider que les contrats successifs ultérieurs relevaient de la même relation de travail à durée indéterminée, peu important le motif erroné, mais surabondant, relatif à l'inobservation du délai de carence".

3. "En statuant ainsi, alors, d'une part, que lorsqu'il requalifie en contrat à durée indéterminée une succession de missions d'intérim, le juge doit accorder au salarié une seule indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire ; et alors, d'autre part, que la requalification de plusieurs contrats de travail temporaire en une relation contractuelle à durée indéterminée n'entraîne le versement d'indemnités qu'au titre de la rupture du contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé les textes susvisé".

Commentaire

1. L'incidence de la requalification du premier contrat de mission sur les contrats postérieurs

  • Caractère limitatif des hypothèses de requalification

La sanction -désormais traditionnelle- de l'inobservation par l'employeur des prescriptions légales relatives aux contrats d'intérim est la requalification du contrat de travail temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée. La requalification n'est, toutefois, encourue et prononcée que dans les hypothèses limitativement énumérées par le législateur (C. trav., art. L. 124-7 alinéa 2 et 3 N° Lexbase : L9648GQE ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-40.913, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8587DG7).

Il en va ainsi lorsque l'employeur continue à faire travailler le salarié après la fin de sa mission temporaire sans lui avoir fait conclure un nouveau contrat de mission (C. trav., art. L. 124-7 alinéa 2), ou en cas de violation caractérisée par l'utilisateur des dispositions des articles L. 124-2 (N° Lexbase : A8587DG7) à L. 124-2-4 (N° Lexbase : L5604ACK) du Code du travail (C. trav., art. L. 124-7 alinéa 3).

Mais, qu'en est-il lorsque le travailleur intérimaire a conclu avec la même société plusieurs contrats de mission ? Faut-il que les juges constatent, pour chaque contrat, la violation d'une prescription légale, ou un seul contrat conclu en dehors des prescriptions légales suffit-il à entraîner la requalification de la relation de travail en une relation à durée indéterminée ? Quelle est, alors, l'incidence de la requalification du premier contrat de mission sur la qualification de la relation de travail ?

Dans le silence du législateur, deux possibilités s'offraient aux juges.

Il était, en premier lieu, possible de considérer que la requalification du premier contrat emporterait l'inscription des parties dans une relation à durée indéterminée. Il était, en second lieu, possible de prendre en considération l'indépendance de la requalification et de lui faire produire un effet limité au seul contrat pris en violation des textes légaux. Dans cette dernière hypothèse, la requalification d'un contrat de travail ne vaut que pour celui-ci et les autres contrats de mission conclus avec la même entreprise restent des contrats de travail temporaires qui peuvent, également, tomber sous le coup d'une requalification, dès lors qu'ils ont été pris en contravention d'une prescription légale, elle-même sanctionnée par la requalification. Le cas échéant, ils ne peuvent être requalifiés.

  • Une requalification en cascade

C'est la première solution qui a été retenue par la Haute juridiction. Tout en confirmant que la requalification n'est pas une sanction prévue lorsque l'employeur ne respecte pas le délai de carence entre les contrats de missions successivement conclus, ce qui interdit la requalification sur ce fondement (récemment, voir Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-44.098, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8599DGL et notre commentaire, Admission limitative de la requalification : deux illustrations en matière de contrat de travail temporaire, Lexbase Hebdo n° 158 du 9 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4892ABS), elle vient inscrire l'intégralité de la relation de travail dans une relation à durée indéterminée.

Pour justifier la portée donnée à la requalification, elle affirme que la requalification du premier contrat a eu pour effet d'inscrire les parties dans une relation à durée indéterminée qui a emporté l'absorption de tous les contrats de missions postérieurs.

Si l'on généralise cette solution, la requalification d'un contrat de mission emportera, désormais, la requalification de tous les contrats conclus postérieurement au contrat requalifié, sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait eu réitération de la violation par l'employeur d'une disposition légale.

Le salarié peut, ainsi, désormais, se prévaloir d'une relation à durée indéterminée ayant pour terme le dernier contrat de mission, dans la mesure où un contrat antérieur a été requalifié. Cette solution est totalement logique.

  • Un effet justifié

La requalification a pour effet d'inscrire les parties dans une relation de droit commun (C. trav., art. L. 124-7 alinéa 2 et 3) ; relation qui aurait dû être adoptée dès l'origine puisque, par nature, l'employeur ne pouvait recourir, dans cette hypothèse, à un contrat de travail temporaire.

La requalification a, en effet, pour effet de transformer la nature du contrat, au regard de la clause de durée, sans affecter autrement le reste de ses stipulations (sauf dans le cas d'un contrat dérogatoire assorti d'une mise à disposition du personnel où l'utilisateur sera désormais considéré comme l'employeur). Le caractère indéterminé de la relation de travail emporte donc l'absorption des contrats postérieurs.

Quel serait l'intérêt de la requalification si elle devait voir sa portée limitée au terme du contrat requalifié pour laisser place, ensuite, à un ou plusieurs contrats de travail précaires ?

Cette sanction unique emporte toutefois des conséquences pécuniaires défavorables pour le salarié, puisqu'elle exclut la possibilité de cumuler les indemnités consécutives à la requalification.

2. L'incidence de l'unité de la requalification sur l'indemnisation du salarié

  • Indemnisation de la requalification

Le salarié dont le contrat est requalifié a droit, outre les indemnités de rupture de tout contrat de travail à durée indéterminée, à une indemnité dite "de requalification" (C. trav., art. L. 124-7-1 N° Lexbase : L5634ACN). Celle-ci ne peut être inférieure à un mois de salaire et se cumule avec les indemnités de rupture accordées au salarié au titre du contrat requalifié (C. trav., art. L. 124-7-1 in fine).

Cette indemnisation étant attachée à l'admission de la demande de requalification prononcée par le salarié, l'admission de plusieurs demandes de requalification devrait pouvoir aboutir à un cumul d'indemnisations. Cette solution est vraie lorsque le travailleur temporaire entend faire sanctionner plusieurs utilisateurs. Le cumul trouve, en revanche, une limite lorsque les demandes portent sur des contrats conclus avec un même utilisateur, comme le confirme la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Limite à l'indemnisation de la requalification

En donnant à la requalification une portée générale allant jusqu'au terme des relations contractuelles entre le salarié et l'utilisateur, elle vient limiter les droits à indemnisation du salarié.

Désormais, le travailleur temporaire ne pourra plus prétendre qu'à une seule indemnité de requalification et à l'indemnisation de la rupture du seul contrat requalifié et ce, même si l'employeur a, pour chaque contrat de mission auquel il a eu recours, violé les prescriptions légales.

  • Une limite annoncée

Cette solution n'est pas nouvelle. La Haute juridiction est récemment venue en poser le principe dans une espèce où le salarié avait conclu 58 contrats de travail successifs qui avaient été requalifiés (Cass. soc., 30 mars 2005, n° 02-45.410, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4303DHT). Pour sanctionner les juges du second degré qui avaient accordé au salarié autant d'indemnités de requalification et de licenciement qu'il y avait eu de contrats requalifiés, elle était venue affirmer que "lorsque le juge requalifie une succession de contrats de travail temporaire conclus avec le même salarié en contrat de travail à durée indéterminée, il ne doit accorder qu'une indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire".

La situation était identique dans la décision commentée puisque la cour d'appel avait accordé au salarié des indemnités pour chaque requalification prononcée.

  • Une limite justifiée

Cette solution est juste, bien que le salarié y perde, d'un point de vue pécuniaire. La solution retenue la Cour de cassation doit être approuvée singulièrement lorsque les contrats, postérieurs au contrat requalifié et inclus dans la requalification, ont été conclus de manière licite et conforme aux prescriptions légales puisque, dans cette hypothèse, le salarié se voit verser ce qui lui est dû.

Elle devient, en revanche, contestable d'un point de vue pécuniaire lorsque l'employeur a, à plusieurs reprises, conclu des contrats de mission en violation des dispositions légales. Dans cette situation, en effet, dans la mesure où le législateur n'interdit pas le cumul, le salarié devrait pouvoir prétendre au versement de plusieurs indemnités de requalification correspondant à chaque contrat requalifié ainsi qu'aux indemnités de ruptures correspondantes.

Une interprétation littérale des dispositions légales semble permettre au salarié d'obtenir la condamnation de l'employeur pour chaque contrat de mission conclu en violation des prescriptions légales. Le législateur attache l'indemnisation à l'admission par les juges de la demande de requalification. Or, le salarié peut, comme dans l'espèce commentée, avoir formé plusieurs demandes distinctes qui lui ouvriraient chacune droit, si elles étaient accueillies, à une indemnité. Ceci entraîne donc théoriquement le droit pour le salarié d'obtenir le versement d'une indemnité de requalification et des indemnités de rupture par contrat requalifié.

Eu égard à l'objet de la requalification, en revanche, la solution retenue dans l'espèce commentée s'imposait. La requalification fait disparaître, virtuellement, la précarité de la situation du salarié pour l'inscrire dans la durée... ce qui ne peut se faire qu'une seule fois avec un même employeur.

La limite portée à l'indemnisation à laquelle peut prétendre le salarié est toutefois relative eu égard au caractère minimal de l'indemnité de précarité et des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

  • Une limite relative

Que l'on opte pour le versement d'une indemnité unique de requalification ou que l'on décide d'accorder au salarié plusieurs indemnités correspondant à chaque contrat requalifié, la solution pratique peut être identique. Le fait que législateur soit venu poser au profit du salarié des indemnités minimales permet aux juges d'accorder au salarié plus que le minimum pour tenir compte des circonstances de l'espèce et, notamment, de la violation par l'employeur d'un ou plusieurs contrats de mission.

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