Jurisprudence : TA Paris, du 29-06-2023, n° 2202453


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2202453

3e Section
lecture du 29 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 2 février 2022, le 2 novembre 2022 et le 18 janvier 2023, M. A B, représenté par Me Vos, demande au tribunal :

1°) de réformer la décision du 9 décembre 2021 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne déposé au titre de l'élection régionale des 20 et 27 juin 2021 dans la région Grand Est pour y réintégrer la somme de 54 457 euros qu'elle a retranchée ;

2°) de fixer le montant du remboursement dû par l'Etat à la somme de 901 411 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement avec capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle est privée de base légale dès lors que l'arrêté du 7 mai 2021 sur lequel elle se fonde méconnaît les dispositions des articles L. 355 et R. 39 du code électoral🏛🏛 dans la mesure où les frais de transport et de conditionnement des affiches constituent des dépenses électorales supplémentaires, qui devaient figurer dans le compte de campagne ;

- la somme de 40 404 euros doit être réintégrée dans son compte de campagne car elle se rapporte à des frais de transport et de conditionnement des affiches qui constituaient des prestations supplémentaires par rapport aux dépenses de la campagne officielle, sans qu'ait d'incidence la circonstance que les dépenses de campagne officielle n'aient pas été payées par son mandataire financier ; les frais en cause correspondaient bien à un supplément quantitatif et qualitatif justifié sur le plan électoral ;

- la somme de 709 euros doit être réintégrée dans son compte de campagne car elle correspond aux intérêts d'emprunts contractés pour les besoins de la campagne auprès de personnes physiques, qu'il a réglés par l'émission de chèques bancaires antérieurement au dépôt de son compte ;

- la somme de 469 correspondant à l'acquisition d'un stand parapluie destiné à sa campagne doit également être réintégrée dans son compte de campagne ;

- la somme de 12 880 euros, qui correspond aux frais de flocage, nettoyage et transports d'un véhicule utilisé pour les besoins de la campagne, doit être réintégrée dans son compte de campagne.

Par trois mémoires en défense, enregistrés le 6 avril 2022, le 13 décembre 2022 et le 6 février 2023, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- aucun des moyens du requérant n'est fondé ;

- les dépenses de flocage des véhicules ont été exposées en méconnaissance de l'article L. 51 du code électoral🏛 et ne pouvaient en conséquence ouvrir droit à remboursement par l'Etat.

L'instruction a été rouverte le 2 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code électoral ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code monétaire et financier ;

- l'arrêté du 7 mai 2021 fixant les tarifs maxima de remboursement des frais d'impression et d'affichage des documents électoraux pour l'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'assemblée de Corse ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rezard, rapporteur,

- les conclusions de Mme Privet, rapporteure publique,

- les observations de Me Bernabé, représentant M. B.

Une note en délibéré, présentée par la CNCCFP, a été enregistrée le 19 juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 9 décembre 2021, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a approuvé après réformation le compte de campagne déposé par M. B, candidat tête de liste dans la région Grand Est aux élections régionales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021. M. B demande la réformation de la décision du 9 décembre 2021, pour réintégrer dans l'assiette des dépenses prises en compte pour le calcul du remboursement dû par l'Etat la somme de 54 457 euros et de fixer en conséquence le remboursement dû par l'Etat à la somme de 901 411 euros.

Sur les conclusions aux fins de réformation :

2. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral🏛 : " I. Chaque () candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés (). / Pour la période mentionnée à l'article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par () le candidat tête de liste ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle () ". Aux termes de l'article L. 52-11-1 du même code : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin () ". Aux termes de l'article L. 52-15 du code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. () / Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n'est possible qu'après l'approbation du compte de campagne par la commission (). " En application de ces dispositions, les dépenses mentionnées à l'article L. 52-12 du code électoral ont pour finalité l'obtention des suffrages des électeurs. Il appartient au juge de se prononcer sur le droit au remboursement du candidat et de réformer le cas échéant son compte de campagne, en arrêtant le montant du remboursement auquel le candidat peut prétendre de la part de l'Etat.

En ce qui concerne les vices propres de la décision attaquée :

3. Les litiges soulevés contre les décisions prises par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral🏛 relèvent, par nature, du plein contentieux. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une de ses décisions approuvant, après réformation, un compte de campagne, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction. Dès lors, M. B ne peut utilement soutenir que la décision attaquée est insuffisamment motivée. Ce moyen doit donc être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 40 404 euros :

4. Il résulte des articles L. 52-4, L. 52-11, L. 52-11-1 et L. 52-12 du code électoral🏛🏛🏛 que les dépenses de la campagne officielle constituent des dépenses engagées en vue de l'élection au sens de l'article L. 52-4 et doivent, à ce titre, être réglées par le mandataire financier. Il en résulte également que celles de ces dépenses qui, par dérogation, ne doivent pas figurer dans le compte de campagne et ne peuvent faire l'objet du remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral, s'entendent des seules dépenses de cette nature ouvrant droit au remboursement prévu, de manière distincte, par l'article L. 355 du code électoral, relatif à la campagne officielle. Par suite, les dépenses d'impression ou de reproduction et d'affichage qui ne peuvent donner lieu à remboursement au titre des articles L. 355 et R. 39 du code électoral parce qu'elles excèdent le plafond fixé en application de ces dispositions doivent être retracées dans le compte de campagne des candidats et peuvent faire l'objet du remboursement prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral.

5. Il est constant que M. B a supporté, à hauteur de 40 404 euros, des dépenses d'affichage excédant le plafond des dépenses ouvrant droit à remboursement au titre de la campagne officielle, de sorte qu'il lui appartenait d'inscrire, comme il l'a fait, cette somme en dépenses dans son compte de campagne. Si la CNCCFP fait valoir qu'il ne pouvait pas le faire en l'espèce au motif que les dépenses exposées dans le cadre de la campagne officielle n'avaient pas été réglées par son mandataire financier, comme elles auraient dû l'être en vertu de l'article L. 52-4 du code électoral, une telle irrégularité, à la supposer avérée, est sans incidence sur le principe de l'inscription dans le compte de campagne des sommes dont il est constant qu'elles excèdent le plafond fixé en application des articles L. 355 et R. 39 du même code. Par ailleurs, la CNCCFP n'est pas fondée à faire valoir que l'inscription de ces dépenses était conditionnée à la justification par M. B de ce qu'elles correspondaient à un supplément quantitatif et qualitatif, et non pas à un simple supplément tarifaire, imputable notamment aux coûts de logistique interne du fournisseur. Par suite, M. B est fondé à demander la réintégration en dépenses dans son compte de campagne de la somme de 40 404 euros, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur son autre moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 7 mai 2021.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 704 euros :

6. L'émission d'un chèque permet en principe, dès lors que son endossement transmet, en vertu de l'article L. 131-20 du code monétaire et financier🏛, la propriété de la provision, de justifier du règlement effectif par le candidat des dépenses portées au compte de campagne. Il en va toutefois autrement s'il apparaît des circonstances particulières de nature à jeter un doute sur le règlement effectif d'une dépense, notamment si le chèque n'a pas été remis au bénéficiaire ou si le bénéficiaire a accepté de ne pas l'encaisser ou de l'encaisser avec retard.

7. Il est constant que, à la date à laquelle le compte a été déposé, M. B avait effectué l'ensemble des dépenses retracées dans son compte de campagne, même si une partie l'avait été par des chèques qui n'avaient pas encore été encaissés mais étaient en mesure de l'être à tout moment. Il est également constant que la plupart de ces chèques ont été encaissés dans des délais normaux, de sorte qu'à la date du 9 décembre 2021 à laquelle la CNCCFP s'est prononcée, seuls les chèques, d'un montant global de 704 euros, relatifs aux intérêts de cinq des soixante-sept emprunts contractés par le candidat auprès de personnes physiques n'avaient pas été encaissés. Il ne résulte pas de l'instruction que ces chèques, dont le montant est au demeurant très limité, n'auraient pas été remis aux bénéficiaires ou que certains de ceux-ci auraient accepté d'en différer l'encaissement. Par suite, les dépenses en cause doivent être regardées comme ayant fait l'objet d'un règlement effectif avant le dépôt du compte de campagne. Il y a donc lieu de réintégrer la somme de 704 euros en dépenses dans le compte de campagne du requérant.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 469 euros :

8. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : " I. () La valeur vénale résiduelle des immobilisations éventuellement constituées au cours de la période mentionnée au même article L. 52-4 doit être déduite des charges retracées dans le compte de campagne () ".

9. Il résulte de l'instruction que la CNCCFP n'a admis l'inscription dans le compte de campagne de M. B des frais d'acquisition d'un stand parapluie qu'à hauteur de sa valeur d'usage pendant les cinquante-trois jours de campagne suivant cette acquisition, rapportée à une période d'amortissement d'un an, et a exclu le surplus de 469 euros. Toutefois, il résulte de l'instruction que le stand en cause est revêtu des mentions " Rassemblement pour l'Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine " et surtout " #Jacobelli2021 ", qui font obstacle à sa réutilisation postérieurement à la fin de la campagne des élections régionales. Par suite, c'est à tort que la CNCCFP a retenu une durée d'amortissement d'un an et exclu la somme de 469 euros, qu'il convient de réintégrer en dépenses dans le compte de campagne du requérant.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 12 880 euros :

10. Aux termes de l'article L. 51 du code électoral : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. () / Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. / En cas d'affichage électoral apposé en dehors des emplacements prévus au présent article, le maire ou, à défaut, le préfet peut, après une mise en demeure du ou des candidats en cause, procéder à la dépose d'office des affiches. "

11. Il résulte de l'instruction que M. B a utilisé dans le cadre de sa campagne un bus, qui a circulé pendant la période précédant les élections régionales dans toute la circonscription, revêtu d'un flocage inspiré de ses affiches de campagne, illustré notamment par sa photographie et celle de la présidente de son parti politique ainsi que par un slogan. Ce faisant, le requérant a procédé à un affichage électoral en dehors des emplacements prévus par l'article L. 51 du code électoral et a en conséquence méconnu les dispositions de cet article. Comme l'a relevé la CNCCFP, le caractère irrégulier d'une telle dépense faisait obstacle à ce qu'elle puisse faire l'objet d'un remboursement de la part de l'Etat. Les circonstances qu'aucun maire ou préfet n'aurait fait usage des prérogatives prévues au dernier alinéa de l'article L. 51 du code électoral, qu'il n'aurait pas été pénalement condamné pour affichage irrégulier et que la CNCCFP aurait appliqué à d'autres candidats ou pour d'autres formes d'affichage une autre position s'avèrent sans incidence sur la régularité des dépenses et donc sur leur prise en compte pour fixer le montant du remboursement dû par l'Etat. Si le requérant fait enfin état de ce que ce véhicule a été par ailleurs utilisé sous la forme de permanence mobile et pour le transport de tracts et d'affiches ou de membres de l'équipe de campagne, il est constant que la CNCCFP n'a pas déduit du montant du remboursement dû par l'Etat le coût de sa location mais seulement les dépenses de flocage du bus et du nettoyage de ce flocage, ainsi que les frais de transports entre le lieu de location et le lieu où le flocage a été réalisé. Dans ces conditions, c'est à bon droit que la CNCCFP a regardé la somme de 12 880 euros comme ayant été exposée irrégulièrement.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B est seulement fondé à demander que la somme de 41 577 euros soit réintégrée en dépenses dans son compte de campagne et à ce que la décision du 9 décembre 2021 de la CNCCFP soit réformée dans cette mesure.

13. Après cette réintégration, le compte de campagne s'établit à 903 357 euros en dépenses et à 888 722 euros en recettes. Il résulte en outre de l'instruction que le montant de l'apport personnel de M. B s'élevait à 886 776 euros. M. B, dont la liste a obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés, a droit, en application de l'articles L. 52-11-1 du code électoral, à un remboursement forfaitaire dont le montant est égal au moins élevé des trois montants suivants, à savoir 47,5% du plafond légal des dépenses, soit 926 217 euros, le montant des dépenses de caractère électoral, soit 903 357 euros, ou le montant de son apport personnel, soit 886 776 euros. Il convient ensuite de déduire la somme de 12 880 euros correspondant au montant des dépenses irrégulières, qui ne peuvent ouvrir droit à remboursement de l'Etat. Le montant du remboursement de l'Etat auquel M. B a droit est donc fixé à 873 896 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

14. Même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Ainsi la demande de M. B tendant à ce que lui soient alloués, à compter de la date de notification du jugement, des intérêts au taux légal sur la somme correspondant au surcroît de remboursement dû par l'Etat est dépourvue de tout objet et doit donc être rejetée. Il en va de même de ses conclusions au titre de la capitalisation des intérêts.

Sur les frais liés au litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B en application des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le montant du remboursement dû par l'Etat à M. B en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à 873 896 euros.

Article 2 : La décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques du 9 décembre 2021 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à M. B au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Amat, présidente,

M. Rezard, premier conseiller,

Mme Guglielmetti, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023.

Le rapporteur,

A. Rezard

La présidente,

N. Amat

La greffière,

P. Tardy-Panit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

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