CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
352242
SOCIETE POWEO
M. Olivier Gariazzo, Rapporteur
M. Frédéric Aladjidi, Rapporteur public
Séance du 8 avril 2013
Lecture du
24 avril 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août et 29 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Poweo, dont le siège est 27, rue de Berri à Paris (75008) ; la société Poweo demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 juin 2011 de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité ;
2°) d'enjoindre aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie de prendre, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard, un arrêté fixant une augmentation moyenne du tarif bleu supprimant tout effet de ciseau tarifaire avec le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique résultant de deux arrêtés du 17 mai 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 102 ;
Vu le code de commerce, notamment son article L. 420-2 ;
Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 337-1 à L. 337-9 ;
Vu la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 ;
Vu le décret n° 2009-975 du 12 août 2009 ;
Vu les arrêtés du 17 mai 2011 de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre chargé de l'énergie fixant le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, respectivement à compter du 1er juillet 2011 et du 1er janvier 2012 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Gariazzo, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Poweo et de la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat d'EDF,
- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Poweo et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat d'EDF ;
Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 337-4 du code de l'énergie : " Pendant une période transitoire s'achevant le 7 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont arrêtés par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie " ; qu'aux termes de l'article 6 du décret du 12 août 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité : " Les ministres chargés de l'économie et de l'énergie saisissent la Commission de régulation de l'énergie du projet d'arrêté fixant les tarifs réglementés de vente d'électricité " ;
2. Considérant que si la société requérante soutient que le projet d'arrêté transmis par les ministres à la Commission de régulation de l'énergie en application de ces dispositions diffère substantiellement de l'arrêté publié au Journal officiel de la République française, il ressort des pièces du dossier que ce moyen manque en fait ;
Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 337-5 du code de l'énergie : " Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures " ; qu'aux termes de l'article L. 337-6 du même code : " Dans un délai s'achevant au plus tard le 31 décembre 2015, les tarifs réglementés de vente d'électricité sont progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale. / Sous réserve que le produit total des tarifs réglementés de vente d'électricité couvre globalement l'ensemble des coûts mentionnés précédemment, la structure et le niveau de ces tarifs hors taxes peuvent être fixés de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où la consommation d'ensemble est la plus élevée " ;
4. Considérant qu'en application de ces dispositions, la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique ont fixé les nouveaux barèmes des tarifs réglementés " bleu ", " jaune " et " vert " de vente de l'électricité par un arrêté du 28 juin 2011 ; que la société requérante soutient que cet arrêté prévoit une hausse insuffisante du tarif " bleu " ; qu'elle estime qu'il méconnaît ainsi l'objet du dispositif introduit à l'article 4-1 de la loi du 10 février 2000 par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, qui tend à assurer sur le marché français de l'électricité une concurrence effective entre l'opérateur historique et les fournisseurs alternatifs, ainsi que les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce et les stipulations de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui prohibent l'exploitation de façon abusive d'une position dominante, en ne permettant pas que les entreprises fournissant de l'électricité aux consommateurs finals souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères à d'autres tarifs que les tarifs réglementés soient effectivement en mesure de proposer des offres compétitives ;
5. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions citées au point 3 ci-dessus qu'il incombe aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie, compétents pour prendre les décisions relatives aux tarifs réglementés de vente de l'électricité en vertu des dispositions précitées de l'article L. 337-4 du code de l'énergie, de répercuter dans les tarifs qu'ils fixent, de façon périodique, les variations, à la hausse ou à la baisse, des coûts moyens complets de l'électricité distribuée par Electricité de France et les entreprises locales de distribution ; que pour satisfaire à ces obligations, il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, pour chaque tarif, premièrement, de permettre au moins la couverture des coûts moyens complets des opérateurs afférents à la fourniture de l'électricité à ce tarif, tels qu'ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l'évolution de ces coûts sur la période tarifaire à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et troisièmement, d'ajuster le tarif s'ils constatent qu'un écart significatif s'est produit entre tarif et coûts, du fait d'une surévaluation ou d'une sous-évaluation du tarif, au moins au cours de la période tarifaire écoulée ;
6. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 337-6 du code de l'énergie, précités, éclairés par les travaux préparatoires à la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, que le législateur a entendu organiser, sur une période transitoire de cinq ans s'achevant le 31 décembre 2015, une convergence tarifaire propre à résorber l'écart structurel existant, pour des raisons historiques qui tiennent à l'économie générale du marché de l'électricité en France, entre le niveau des tarifs réglementés de l'électricité et les coûts de fourniture de l'électricité distribuée à un tarif de marché ; qu'à cette fin, la loi a notamment prévu, dans la structure des tarifs réglementés, la prise en compte du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dans le but de rendre moins favorable la position dominante d'EDF, qui s'explique notamment par l'ancienneté de son installation, ainsi que par la stabilité et le coût avantageux de ses principales sources d'approvisionnement ; qu'ainsi les ministres compétents pour fixer les tarifs réglementés de vente de l'électricité doivent veiller, tout en respectant les critères définis au point 5 ci-dessus, à ce que les tarifs qu'ils arrêtent soient de nature à assurer, compte tenu des informations disponibles à la date de leur décision, la convergence voulue par le législateur ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis rendu par la Commission de régulation de l'énergie le 28 juin 2011, qu'à la date de la signature de l'arrêté attaqué, la hausse du tarif " bleu " fixée par cet arrêté permettait de couvrir davantage que les coûts comptables de production d'EDF, alors même qu'aucun rattrapage par rapport au précédent arrêté tarifaire n'était nécessaire, et qu'était répercutée intégralement dans ce tarif la hausse alors à venir, au 1er août 2011, des coûts de transport et de distribution ;
8. Considérant en outre, que si elle ne permettait pas de résorber instantanément l'écart structurel mentionné au point 6 ci-dessus, compte tenu, notamment, du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique fixé par deux arrêtés du 17 mai 2011 des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, la hausse du tarif " bleu " fixée par l'arrêté attaqué n'était pas manifestement insuffisante pour assurer un début de convergence tarifaire avec les prix de marché ;
9. Considérant que les ministres chargés de l'économie et de l'énergie ont ainsi fait une exacte application des dispositions précitées des articles L. 337-5 et L. 337-6 du code l'énergie en fixant, par l'arrêté litigieux, le tarif " bleu " ; qu' eu égard à la hausse qu'il prévoit pour le tarif " bleu ", dont la portée a été précisée ci-dessus, la société requérante ne saurait soutenir que cet arrêté mettrait, par lui-même, EDF en situation d'abuser automatiquement de la position dominante qu'elle occupe sur le marché de la vente au détail d'électricité aux consommateurs finals souscrivant une puissance inférieure à 36 kilovoltampères et qu'il méconnaîtrait ainsi les stipulations de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction, comme celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Poweo est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Poweo direct énergie, au ministre de l'économie et des finances et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Délibéré dans la séance du 8 avril 2013 où siégeaient : M. Alain Ménéménis, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; M. Jean-Pierre Jouguelet, Président de sous-section ; M. Alain Christnacht, M. Jean-François Mary, Mme Eliane Chemla, M. Pierre Collin, Conseillers d'Etat et M. Olivier Gariazzo, Maître des Requêtes en service extraordinaire-rapporteur.