Jurisprudence : TGI Paris, 3ème, 25-01-2013, n° 11/13338



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
.
3ème chambre 3ème section
N° RG
11/13338
N° MINUTE
JUGEMENT
rendu le 25 Janvier 2013

Assignation du
12 Septembre 2011

DEMANDERESSE
Société MECCANO, SA, représentée par son Président en exercice
Monsieur Alain Y.

CALAIS
représentée par Me Isabelle LEROUX de la SCP SALANS & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #P0372
DÉFENDERESSE
S.A. SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE
POINT représenté par son Président Directeur Général en exercice
Monsieur Curil W

PARIS
représentée par Me Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0141

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie SALORD, Vice-Président, signataire de la décision
Mélanie BESSAUD, Juge
Nelly CHRETIENNOT, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DÉBATS
A l'audience du 27 Novembre 2012 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort Lxpédition e Délivrée le
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société MECCANO, créée il y a plus'd'un siècle, a pour activité la
" conception, la création, la fabrication, l'achat, la vente et la distribution de jouets, jeux, articles électroniques en plastique et en métal ". Elle prétend avoir acquis une notoriété mondiale dans le domaine des jeux et jouets et notamment celui des jeux de construction, qui se caractérisent par l'assemblage de pièces interchangeables en métal constituées de trous à l'aide de vis et d'écrous.
La marque " Meccano " a été déposée dans plus de 120 pays à travers le monde, dont la France.
A ce titre, la société MECCANO est notamment titulaire des marques suivantes
- la marque française verbale "MECCANO" n° 1 598 289, déposée le 20 juin 1990 et renouvelée depuis, pour la dernière fois le 17 mai 2010, pour désigner notamment les "jeux et jouets" en classe 28 ;
. - la marque communautaire verbale "MECCANO" n°000 201 343, enregistrée le 9 avril 1996 et renouvelée depuis, pour désigner notamment les "jeux, jouets et modèles, notamment de construction, pièces pour jeux de construction et de modèles, jeux et pièces techniques récréatifs " en classe 28.
La société MECCANO indique s'être aperçue de la parution d'un article dans l'édition de l'hebdomadaire " LE POINT " du 22 juin 2006, intitulé " Dominique ... ..., Bête noire de l'UMP " qui faisait référence à la marque " Meccano " comme suit
- "Henri Cuq [...] met en garde le Premier ministre contre l'obstruction que susciterait le Meccano qui scinderait le projet de loi du gouvernement en deux [...]".
Malgré une mise en demeure adressée le 6 septembre 2006 à la société d'exploitation de l'hebdomadaire LE POINT - SEBDO, éditeur du Point, le journal Le Point a publié sur son site internet, le 11 décembre 2008, un article intitulé
" Le roi du nano-meccano " dans lequel le terme " nano-meccano " renvoie à toutes sortes de " gadgets ", lesquels sont forgés en nanotubes de carbone.
En outre, dans l'édition du 25 février 2010 du même hebdomadaire, un article intitulé
" L'industrie française victime du colbertisme" utilisait la marque " Meccano " comme suit
- " Mais cette mobilisation provoque en France la restauration de l'économie administrée sous quatre formes. Le protectionnisme. Le contrôle de l'orientation des capitaux, de l'investissement et de la recherche à travers la constitution du FSI ou le grand emprunt
[...] Le pilotage centralisé des grands programmes d'exportation depuis le sommet de l'Etat. Le retour du Meccano industriel sur une base hexagonal au détriment des restructurations européennes ou mondiales
Dans l'édition du 8 juillet 2010, un article intitulé " Les maisons du
bonheur " utilisait la marque " Meccano " comme suit
- " Assemblée comme un Meccano, l'ossature de poteaux et de poutres métalliques libère un vaste plateau facile à aménager" .
Deux nouveaux courriers de mise en demeure ont été adressés à la société S.E.B.D.O. les 18 mars et 26 août 2010, mais un nouvel article a été publié le 15 mars 2011 sur le site internet www.lepoint.fr intitulé
" Véronique ... prend les commandes d'Arte France" dans lequel son auteur utilise la marque " Meccano " comme suit
" [...] La chaîne se déploie sur trois sièges, l'un à Issy-les-Moulineaux, l'autre à Strasbourg et le troisième en Allemagne, à Baden-Baden. On peut compter sur l'énergie de cette femme de caractère pour remodeler ce Meccano complexe dont les Allemands tirent, en fait, beaucoup mieux parti ".
Estimant que l'utilisation de ses marques "MECCANO" de manière générique, comme un nom commun signifiant système d'assemblage, construction, est de nature à diluer son pouvoir distinctif, la société MECCANO, par courrier du 22 avril 2011, a mis en demeure la société S.E.B.D.O. de supprimer toute référence à la marque " Meccano " et de publier sur le site internet www.lepoint.fr un erratum indiquant que le signe "Meccano" est une marque déposée dont la société Meccano est titulaire, celle-ci n'ayant pas consenti à un tel usage de sa marque.
Devant le refus de la société S.E.B.D.O et compte tenu non seulement du maintien en ligne des quatre articles litigieux précités publiés en 2006, en 2008 et en 2010 sur le site internet www.lepoint.fr, sans que la référence à la marque " Meccano " n'ait été supprimée, mais encore de la publication le 27 juin 2011, d'un nouvel article faisant un usage générique de la marque " Meccano ", intitulé " Christine ... sur le départ, un remaniement dès mercredi ", dans lequel la marque " Meccano " est utilisée comme suit "Nicolas Sarkozy [...] aurait déjà bâti son Meccano", la société MECCANO a fait assigner l'éditeur de l'hebdomadaire "LE POINT" devant le présent tribunal par acte d'huissier délivré le 12 septembre 2011.
Six nouveaux articles utilisant la marque " Meccano " ont été publiés
- le 22 septembre 2011, dans l'édition papier et dans l'édition en ligne du journal Le Point, concernant la tour du siège social de l'armateur CMA-CGM, "La tour fait sa diva?"
"Les secrets du Meccano géant ? Une modélisation informatique [...] " - le 15 décembre 2011, " Peur sur le monde " paru sur le site internet www.lepoint.fr, concernant le film " Contagion " de Steven ... " Tout pour lui est Meccano ou dominos "
- le 30 décembre 2011, dans l'édition papier et dans l'édition en ligne du journal Le Point, concernant les opérations financières de Thalès
" Un Meccano industriel qui n'était pas attendu avec cette ampleur pourrait faire de Dassault le champion national des industries d'armement "
- le 20 janvier 2012, sur le site Internet www.lepoint.fr, concernant le naufrage de Dexia
" les technocrates ont bricolé un Meccano infernal impossible à mettre en oeuvre "



- lé 1' mars 2012, " La vrai vérité " paru dans l'édition en ligne du
journal Le Point, qui indique à propos de la politique de l'Europe
" Il aura suffi que saute le rivet d'une Grèce ruinée pour que tout le Meccano se désarticule ".
- le 2 août 2012, dans l'édition papier du journal Le Point, à propos d'Emmanuel ..., secrétaire général adjoint de la Présidence de la République
" Son truc (il vient de la Banque Rothschild), c'étaient les Meccano financiers et industriels".
-
Auk termes de ses dernières écritures signifiées le 3 octobre 2012, la
société MECCANO demande au tribunal de
DIRE la société MECCANO recevable et fondée en ses demandes DIRE ET JUGER la marque " MECCANO " de renommée ; CONSTATER que la société MECCANO est titulaire de droits privatifs sur sa marque "MECCANO " ;
DIRE ET JUGER que la société S.E.B.D.O en utilisant la marque
" Meccano " tel un nom commun, et ce dans le texte de différents articles, a commis une faute envers la société MECCANO, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil;
En conséquence,
CONDAMNER la défenderesse à payer à la société MECCANO la somme de 80.000 (quatre-vingt mille) euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;
ORDONNER à la défenderesse de suspendre l'accès aux articles intitulés " Dominique ... ..., Bête noire de l'UMP " mis en le 22 juin 2006, " Le roi du nano-meccano " mis en ligne le 11 décembre 2008, L'industrie française victime du colbertisme" mis en ligne le 25 février 2010, " La boîte transparente " mis en ligne le 8 juillet 2010, " Véronique ... prend les commandes d'Arte France" mis en ligne le 15 mars 2010, " Christine ... sur le départ, un remaniement dès mercredi " mis en ligne le 27 juin 2011, " La tour fait sa diva " mis en ligne le 22 septembre 2011, " Peur sur le monde" mis en ligne le 15 décembre 2011, "La Thalès Fusion dans l'armement" mis en ligne le 30 décembre 2011, " Dexia, les dessous d'un scandale d'État " mis en ligne le 20 janvier 2012, " La vrai vérité " mis en ligne le 1er mars 2012 et accessibles sur le site Internet www.lepoint.fr, et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, ou à défaut ordonner qu'à la marque " Meccano " soit substitué un terme du langage courant selon les mêmes conditions d'astreinte;
INTERDIRE pour l'avenir à la défenderesse d'utiliser à quelque titre que ce soit la dénomination " Meccano " pour désigner toute autre chose que les produits d'origine de la marque, et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir ;
ORDONNER à la défenderesse de toujours adjoindre à la marque " Meccano " le signe ® lorsque la marque " Meccano " est utilisée pour désigner les produits d'origine de la marque, et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir ;
ORDONNER la publication sur un quart de page dans le premier numéro du journal LE POINT à paraître après la signification du jugement à intervenir du dispositif ou d'extraits du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;



ORDONNER la publication du jugement ou d'extraits du jugement à intervenir dans 3 (trois)
revues ou journaux, quotidiens, hebdomadaires ou mensuels au choix de la société MECCANO à hauteur de 5.000 euros hors taxes par insertion, aux frais avancés de la défenderesse, à titre de dommages-intérêts complémentaires ;
ORDONNER la publication du dispositif ou d' extraits du jugement à intervenir sur un quart de la page d'accueil du site Internet accessible à l'adresse www.lepoint.fr, en caractères " Time ... Roman " de taille 12, dans un délai de 8 (huit) jours à compter de sa signification, pendant une durée d'un mois sans interruption, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
DIRE ET JUGER que chacune des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement à intervenir ; DIRE que le tribunal se réservera la- liquidation des astreintes ainsi prononcées ;
ORDONNER l' exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie ; CONDAMNER la défenderesse à verser la somme de 20.000 (vingt mille) euros à la société MECCANO au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la défenderesse aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Isabelle ..., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société demanderesse argue de la recevabilité de ses demandes additionnelles, qui visent les mêmes faits que ceux de la demande initiale, à savoir l'usage générique de la marque " Meccano" dans des articles du journal LE POINT et sont formées sur le même fondement juridique.
Invoquant les textes relatifs à la protection des marques françaises et communautaires, elle soutient être dans l'obligation de défendre sa marque contre le phénomène de glissement qui tend à l'associer non plus à son propre produit, mais à une catégorie de produits présentant des caractéristiques identiques, à peine de perdre ses droits sur cette marque.
Elle prétend que l'utilisation d'une marque dans un sens générique, susceptible d'entraîner sa dégénérescence, porte atteinte à cette marque et cause un préjudice à soif titulaire, de sorte qu'elle engage la responsabilité civile délictuelle de son auteur sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil.
En l'espèce, elle estime que l'utilisation répétée dans les articles du POINT de la marque " Meccano " sans guillemets et en lettres minuscules (à l'exception, souvent, de la première lettre), toujours précédée d'un déterminant et souvent accompagnée d'un adjectif qualificatif, pour désigner un système d'assemblage, un montage de pièces ou un jeu de construction, vulgarise sa marque en laissant penser aux lecteurs du journal LE POINT que la marque " Meccano " serait en fait un nom commun signifiant assemblage ou montage de pièces, ce qui entraîne une dilution de la valeur distinctive de la marque et constitue donc une atteinte à ses droits de titulaire de la marque renommée "MECCANO".



Elle considère que l'invocation de la liberté d'expression est inopérante en l'espèce et que ses demandes sont tout à fait proportionnées. Elle fait observer que l'usage de la marque " Meccano " dans les articles incriminés ne répond à aucun besoin d'information du public sur les produits de la marque et ne s'inscrit pas non plus dans un contexte critique ou polémique, dans un but légitime.
La société demanderesse fait valoir que l'usage répété de la marque " Meccano " comme un mot du langage courant dans les articles incriminés en affaiblit le pouvoir distinctif, avec le risque corrélatif de la perdre, anéantissant ainsi le principal actif immatériel de la société; qu'un tel usage affaiblit la capacité des marques " Meccano " à exercer leur fonction de garantie d'origine en distinguant les produits de la société MECCANO de ceux ayant une autre provenance et porte donc atteinte à la valeur économique des marques " Meccano ", d'autant plus grave que celle-ci est considérable, compte tenu de leur notoriété; non seulement en France mais encore à l'étranger.
Elle invoque en outre une atteinte aux autres fonctions de la marque, notamment de communication, d'investissement et de publicité.
Elle ajoute que cette atteinte est d'autant plus importante que
- le signe " Meccano " est très fréquemment utilisé par le journal LE POINT comme nom commun désignant usuellement les produits visés au dépôt des marques " Meccano " et que le journal LE POINT, via sa version papier et son site internet, atteint des millions de lecteurs chaque semaine ;
- le journal LE POINT est un titre crédible, bénéficiant d'une notoriété certaine, tiré au surplus à plus de 25 millions d'exemplaires par an, et ayant par conséquent un impact significatif, a minima en France.
Surtout, d'après elle, le comportement de la société S.E.B.D.O est susceptible d'entraîner la perte des droits de la société MECCANO sur ses marques " Meccano " par le prononcé de leur déchéance, qui entraînerait une perte économique considérable pour la société MECCANO.
Elle réclame donc à titre de réparation la somme de 80 000 euros de dommages-intérêts, outre des mesures de publication judiciaire et d'interdiction.

Dans ses dernières écritures notifiées le 12 octobre 2012, la société S.E.D.B.O. demande au tribunal de
DÉCLARER irrecevables comme nouvelles les demandes de la société MECCANO relatives aux faits de publication postérieurs à l'assignation ;
DÉBOUTER la société MECCANO de toutes ses demandes ;
En tout état de cause,
La condamner à payer à la société d'exploitation de l'hebdomadaire LE POINT- SEBDO la somme de 20 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux dépens, qui pourront être recouvrés
directement par la SCP NORMAND & ASSOCIÉS conformément
aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société défenderesse soulève l'irrecevabilité des demandes relatives aux articles postérieurs à l'assignation en ce qu'elles concernent des faits de publication distincts de ceux initialement poursuivis.
En tout état de cause, elle soutient que dans l'ensemble des articles incriminés, le terme "Meccano" n'est pas utilisé comme un nom commun désignant de manière générique n'importe quel jeu de construction puisqu'il est écrit avec une majuscule et a une valeur métaphorique, tout en renvoyant bel et bien aux jeux Meccano et non de manière générale à tout jeu du même type.
Cette utilisation est donc selon elle insusceptible de faire dégénérer la marque de la société MECCANO d'autant moins que c'est bien à la
marque MECCANO qu'il est fait référence.
La société SEBDO estime donc qu'elle n'a pas porté atteinte à la marque "Meccano", à proprement parler et plus généralement n'a commis aucune faute délictuelle à l'encontre de la société MECCANO, dans la mesure où elle a fait preuve de prudence dans l'utilisation du terme "Meccano", par l'emploi de la majuscule et surtout par l'usage systématiquement métaphorique de ce terme, ce qui n'est pas le cas des autres hypothèses dans lesquelles la société MECCANO a adressé des mises en demeure à des tiers.
L'éditeur de presse excipe par ailleurs de sa liberté d'expression, qui ne saurait être limitée par des injonctions in futurum telles que la société MECCANO les sollicite, sauf à porter atteinte à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme Il estime à ce titre qu'une telle interdiction porterait à la liberté d'expression une atteinte disproportionnée par rapport à l'objectif de là protection de l'intérêt privé du titulaire de la marque "MECCANO".
L'ordonnance dé clôture est intervenue le 16 octobre 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes additionnelles
En vertu de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, la société MECCANO, qui a saisi le tribunal de céans d'une action en responsabilité quasi-délictuelle à l'encontre de la société SEBDO du fait de la publication d'articles parus entre 2006 et 2010 reproduisant sa marque MECCANO, a formé en cours de procédure des demandes additionnelles contre le même défendeur, sur le même fondement, du fait de nouveaux articles parus postérieurement à l'assignation.

Pa

Compte tenu d'une part de l'identité des parties et du fondement invoqué et d'autre part des circonstances de fait ayant conduit la demanderesse à former des demandes additionnelles reposant sur des faits similaires à ceux dont était saisi le tribunal mais par définition inconnus à la date de l'assignation puisqu'ils lui sont postérieurs, il y a lieu de constater l'existence d'un lien suffisant rendant recevables les demandes additionnelles.
Sur l'atteinte à la marque MECCANO
Il y a lieu de relever que les conditions d'application des dispositions spéciales du code de la propriété intellectuelle n'étant pas réunies, faute d'usage de la marque MECCANO dans la vie des affaires, la société MECCANO fonde ses demandes sur les articles 1382 et 1383 du code civil sans cependant motiver en droit le choix du fondement de l'article 1383 de ce code.
Or, le juge pouvant retenir l'exacte qualification des faits, c'est en vertu de l'article 1382 du code civil, qu'il y a lieu de statuer.
Selon ce dernier, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, ce qui suppose pour le demandeur à l'action de rapporter la triple preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité.
Il appartient à la demanderesse de rapporter la preuve d'une faute caractérisée de la société SEBDO, la protection spécifique des marques du commerce étant bien définie et encadrée par les dispositions spéciales et ne s'appliquant pas en l'espèce.
La société MECCANO reproche à la société SEBDO, éditrice de l'hebdomadaire LE POINT, la reproduction dans un sens générique et sans son autorisation de la marque MECCANO en tant que nom commun, ce qui risquerait selon elle d'entraîner la dégénérescence de sa marque et de lui causer un important préjudice résultant de la perte d'un de ses actifs.
Elle considère que les conditions d'utilisation de sa marque sont fautives puisqu'elle a été utilisée à plusieurs reprises dans des phrases, sans guillemets et en lettres minuscules (à l'exception, souvent, de la première lettre), toujours précédée d'un déterminant et souvent accompagnéb d'un adjectif qualificatif, pour désigner un système d'assemblage, un montage de pièces ou un jeu de construction, ce qui participe à la dilution du caractère distinctif de la marque.
La défenderesse soutient au contraire que le terme MECCANO est toujours précédé d'une majuscule et a une valeur métaphorique, ce qui identifie bien la marque de la demanderesse, et est donc insusceptible de la faire dégénérer.
En, l'espèce, il ressort de la lecture des articles suivants parus dans
l'hebdomadaire LE POINT ou sur le site internet www.lepoint.fr
- " Dominique ... ..., Bête noire de l'UMP ", 22 juin 2006,
- " L'industrie française victime du colbertisme", 25 février 2010,
- " Les maisons du bonheur ", 8 juillet 2010,
- " Véronique ... prend les commandes d'Arte France", 15 mars
2011,
- " Christine ... sur le départ, un remaniement dès mercredi ", 27
juin 2011,
- " La tour fait sa diva? " 22 septembre 2011,
- " Peur sur le monde ", 15 décembre 2011,
- "Thalès - Fusion dans l'armement", 30 décembre 2011,
- " Dexia ", 20 janvier 2012,
- " La vrai vérité " le 1er mars 2012,
- " La "WAR BOOM" de Hollande au coeur de la tourmente, 2 août 2012,
que le terme "Meccano" est toujours utilisé avec une majuscule au début du mot, ce dont il résulte qu'il ne sera pas perçu comme un nom commun.
Seul l'article paru le 11 décembre' 2008, intitulé " Le roi du nano-meccano " reproduit la marque sans majuscule au sein d'un néologisme employé par le rédacteur en tant que titre d'un article relatif à un biochimiste qui "[bricole] des gadgets composés de quelques atomes" mais ce néologisme ne constitue pas un usage à titre de nom commun du terme Meccano, le lecteur comprenant à l'évidence un jeu de mot évoquant le jeu de construction bien connu sous la marque MECCANO et le travail minutieux du biochimiste.
Dans l'ensemble de ces articles, l'usage du nom Meccano est donc fait à titre métaphorique pour évoquer soit des manoeuvres politiques ou des constructions intellectuelles, soit des constructions architecturales, des manipulations, des mécanismes.
Ainsi que l'indique la société MECCANO sans être contrèdite, sa marque est notoire est France et dès lors, l'emploi de ce terme par des journalistes dans le but de suggérer au lecteur, dans un minimum de mots, l'idée d'une construction complexe ou d'un imbroglio ne désignant en aucun cas le produit visé au dépôt de la marque, à savoir un jeu de construction, n'est pas fautif en soi, les conditions de la dégénérescence n'étant pas réunies.
Ainsi, au vu des faits de l'espèce, compte tenu du nombre limité d'usage du terme "Meccano" avec une majuscule en début de mot, dans des articles de presse ponctuels, sans aucun usage générique ni systématique de la marque MECCANO et dans des acceptions métaphoriques, qui ne servent pas à désigner les produits visés au dépôt des enregistrements français et communautaire de la marque, aucun usage fautif n'est établi à l'encontre de la société SEBDO.
En l'absence de faute commise par la société SEBDO, aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression n'est caractérisé, étant rappelé que cette liberté fondamentale, qui n'est pas absolue, doit respecter les droits d'autrui, parmi lesquels notamment le droit de propriété
incoporelle, qui a la même valeur. -
La demanderesse fait valoir que la multiplication des occurrences dans les articles du journal après la délivrance de l'assignation et plusieurs mises en demeure établissant son refus de l'utilisation de sa marque dans la presse, sans aucune mention relative à l'existence d'une marque déposée, peut être constitutive d'abus de mauvaise foi de la part de l'hebdomadaire mais en l'espèce seuls 6 usages postérieurs à l'assignation sont établis, toujours avec une majuscule en début de mot et dans un sens métaphorique, à l'instar des 6 usages précédents.

Pag

La société MECCANO excipe de l'obligation légale qui lui incombe de protéger sa marque pour éviter toute dégénérescence par le fait de son activité ou de son inactivité et pour empêcher qu'elle devienne la désignation usuelle dans le commerce d'un produit ou d'un service pour lequel elle est enregistrée."
Elle estime donc que les agissements de la défenderesse lui imposent d'agir pour protéger sa marque mais comme il a été vu ci-dessus les conditions de la dégénérescence ne sont pas réunies et les démarches de la titulaire de la marque pour respecter son obligation légale ne sauraient caractériser, en soi, une faute de la société SEBDO.
En tout état de cause, outre la présente procédure, la société MECCANO produit les mises en demeure adressées à des tiers établissant ses initiatives destinées à protéger le caractère distinctif de sa marque, conformément à son obligation résultant de l'article L714-6 du code de la propriété intellectuelle.
Au surplus, la demanderesse ne justifie ni d'une dilution, actuelle ou certaine, du pouvoir distinctif de sa marque, alors que celle-ci jouit d'une forte notoriété pour les produits qu'elle désighe, ni d'un risque certain de déchéance dé ses droits sur la marque.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la société MECCANO, qui succombe dans l'administration de la preuve d'une faute de la société SEBDO, doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes, les conditions de l'article 1382 du code civil n'étant pas réunies.
Sur les autres demandes
La société MECCANO, qui succombe, doit être condamnée aux entiers dépens de l'instance, qui pourront être directement recouvrés par la SCP Normand&Associés, avocats au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il y a lieu en outre de la condamner à verser à la société d'exploitation de l'hebdomadaire LE POINT-SEBDO la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la nature de la présente décision, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL,
par jugement rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
DÉCLARE recevables les demandes additionnelles formées par la société MECCANO ;
DÉBOUTE la société MECCANO de l'ensemble de ses demandes ;



CONDAMNE la société MECCANO aux entiers dépens de l'instance,
qui pourront être directement recouvrés par la SCP
Normand&Associés, avocats au barreau de Paris, conformément aux
dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société MECCANO à verser à la société d'exploitation de l'hebdomadaire LE POINT-SEBDO la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;
Ainsi fait et jugé à Paris le vingt-cinq janvier deux mil treize.


Le Président


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