Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRÊT DU 7 DÉCEMBRE 2011
(n° 287, 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général 09/14816
Décision déférée à la Cour Jugement du 05 Mai 2009 - Tribunal de Grande Instance de MELUN - RG n° 08/05032
APPELANTES ET INTIMÉES
S.A.S QUALICONSULT
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège
PARIS
S.A AXA FRANCE IARD
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège
PARIS
représentées par la SCP BOMMART FORTSER FROMANTIN, avoués à la Cour
assistées de Maître NGUYEN N'GOC, plaidant pour la SCP RAFFIN et Associés, avocats au barreau de PARIS, toque P133
S.A. GAN EUROCOURTAGE IARD
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège
PARIS
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU et PELIT JUMEL, avoués à la Cour
assistée de Maître LAPORTE, plaidant pour la SCP NABA ' Associés, avocats au barreau de PARIS, toque P325
INTIMÉS
S.A COVEA RISKS venant aux droits de la SOCIÉTÉ MUTUELLES DU MANS ASSURANCES SA
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège
CLICHY
représentée par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour
assistée de Maître KSENTINE, plaidant pour la SELARL KSENTINE, avocats au barreau de MELUN
S.A.S ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE ILE DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant qson siège 7 Rue Gustave
GRIGNY
représentée par la SCP DUBOSCQ et PELLERIN, avoués à la Cour
assistée de Maître BLOCH, avocat au barreau des Hauts-de-Seine,
S.A.R.L. KIEKEN IMMOBILIER CONSTRUCTION exerçant sous l'enseigne 'K.I.C.', venant aux droits de la société KIC INGÉNIERIE - prise en la personne de son gérant
ayant son siège
VILLENEUVE D ASCQ
représentée par la SCP NABOUDET-HATET, avoués à la Cour
assisté de Maître RODIER, avocat au barreau de PARIS, toque C2027
Monsieur Luc Q
demeurant
CROIX
représenté par la SCP OUDINOT-FLAURAUD, avoués à la Cour
ayant pour avocat Maître LARRIEU, avocat
Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS
prise en la personne de son Directeur Général
PARIS CEDEX 16 représentée par la SCP OUDINOT-FLAURAUD, avoués à la Cour
assisté de Maître FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS, toque D146
S.C.I. ALIZE
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège
TOURS
S.A.S TATEX, anciennement société TATEXPRESS
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège
TOURS
représentées par la SCP LAGOURGUE ET OLIVIER, avoués à la Cour
assistées de Maître LEPAGE, plaidant pour la SCP GLBS, avocats au barreau de TOURS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de
Monsieur Michel ZAVARO, Président
Madame Marie-José THEVENOT, Conseillère
Madame Dominique BEAUSSIER, Conseillère
qui en ont délibéré
rapport oral fait par Madame ... conformément aux dispositions de l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats Mme Jacqueline BERLAND
ARRÊT
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Michel ZAVARO, président et par Mademoiselle Cécilia GALANT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
La sci ALIZE, devenue TATEX, a fait réaliser sur un terrain dont elle est propriétaire des aménagements et constructions aux fins d'y établir un centre de tri à usage logistique.
Une assurance dommages ouvrage a été souscrite auprès de la société MMA aux droits de qui vient la société COVEA RISKS. La réception a été prononcée sans réserves le 2 juillet 1999.
Sont intervenus
- Luc Q en qualité de maître d'oeuvre assuré auprès de la société MAF,
- la société KIEKEN IMMOBILIER CONSTRUCTION exerçant sous l'enseigne KIC, également en qualité de maître d'oeuvre,
- la société QUALICONSULT en qualité de contrôleur technique assurée auprès de la société AXA,
- la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE pour la réalisation du lot VRD, assurée auprès de la société GAN.
En mars 2004 le maître d'ouvrage a déclaré des affaissements déformations et faïençage de la voirie.
La société COVEA RISKS a été condamnée en référé au versement d'une provision qu'elle dit avoir réglée. Une expertise a été ordonnée.
Par jugement du 5 mai 2009 le tribunal de grande instance de Melun a
- condamné la société COVEA RISKS à payer aux maîtres d'ouvrage la somme de 2.612.341,92 euros,
- condamné les maîtres d'ouvrage à rembourser à la société COVEA RISKS la somme de 80.794,08 euros,
- condamné in solidum les sociétés KIC, JEAN LEFEBVRE, GAN, QUALICONSULT, AXA, à payer à la société COVEA RISKS la somme de 2.612.341,92 euros,
- mis hors de cause Luc Q et la société MAF,
- partagé les responsabilités à raison de 65% à la charge de la société JEAN LEFEBVRE, 22% à la charge de la société KIC, 10% à la charge de la société QUALICONSULT garantie par AXA.
- dit que la société GAN devra garantir intégralement la société JEAN LEFEBVRE, La société QUALICONSULT, la société AXA et la société GAN ont fait appel.
Dans leurs conclusions du 10 mai 2011 la société QUALICONSULT et la société AXA demandent la réformation du jugement et leur mise hors de cause, ainsi que la condamnation de la société COVEA RISKS à leur rembourser la somme de 236.735 euros avec intérêts capitalisés, ou la limitation de la responsabilité de la société QUALICONSULT et des réparations, et le remboursement des trop perçus, et en tout état de cause elles demandent que soit déclarée irrecevable comme nouvelle en appel la demande de la société TATEX au titre de son préjudice immatériel ou que la société TATEX en soit déboutée. Subsidiairement elles demandent à être garanties de toute condamnation par la société KIEKEN, la société JEAN LEFEBVRE, la société GAN, Luc Q, la société MAF et la société AXA.
Elles réclament une somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 7 février 2011 la société GAN demande sa mise hors de cause, subsidiairement l'application de l'article L 113-9 du code des assurances et la limitation de sa garantie à 0,31 fois la somme à laquelle serait tenu son assuré, la réduction des montants alloués en réparation et la condamnation de la société COVEA RISKS à lui restituer les trop versés.
Elle demande que les responsabilités soient supportées à hauteur de 10% par la société TATEX, qu'elles soient limitées pour l'assuré de la société GAN à 40%, que Luc Q, la société MAF, la société QUALICONSULT, les sociétés AXA, KIC, la société TATEX soient condamnés à la relever indemne et que son recours contre Luc Q, la société KIC et leurs assureurs soit admis pour le tout du fait de leur solidarité.
Elle demande à n'être tenue que dans les limites de sa police.
Elle conclut à l'irrecevabilité ou au débouté de la demande concernant les préjudices immatériels.
Elle sollicite une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 15 septembre 2011 la société TATEX demande la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société COVEA, et demande que cette condamnation soit fixée à due concurrence du coût réel des travaux.
Elle forme une demande tendant à la réparation de son préjudice immatériel qu'elle fixe à 2.648.959,00 euros HT, dont elle sollicite la prise en charge par la société COVEA RISKS dans la limite des plafonds de garantie de la police, et le paiement par la société JEAN LEFEBVRE, de la société GAN, de la société KIC, de la société QUALICONSULT, de la 'AGF' in solidum ;
Subsidiairement elle réclame l'organisation d'une expertise judiciaire sur ce préjudice.
En toute hypothèse elle demande une somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 10 décembre 2010 la société COVEA RISKS demande la confirmation du jugement en ce qui concerne l'indemnisation allouée à la société TATEX, la condamnation de celle-ci à lui rembourser la somme de 1.680.718 euros si le montant de l'indemnisation est ramené à 1.012.418 euros, à lui payer la somme de 683.341,92 euros si l'indemnisation est maintenue, la condamnation in solidum de la société QUALICONSULT, de la société JEAN LEFEBVRE, de la société GAN, de la société KIC, de Luc Q, de la société MAF à lui payer la somme de 2.693.136 euros, ainsi qu'une somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et elle sollicite le rejet de la demande relative au préjudice immatériel.
Dans ses conclusions du 6 avril 2011 la société KIC demande sa mise hors de cause, subsidiairement le rejet des demandes d'indemnisation de préjudice financier comme nouvelles en appel, le débouté des demandes de la société TATEX, le rejet des demandes de condamnation in solidum au vu des termes du contrat de maîtrise d'oeuvre, la condamnation in solidum de la société JEAN LEFEBVRE, de la société QUALICONSULT, de la société AXA et de la société GAN à la garantir et elle réclame une somme de 15000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 19 janvier 2011 la société JEAN LEFEBVRE demande la confirmation du jugement, soulève l'irrecevabilité de la demande relative au préjudice immatériel, ou en sollicite le débouté, et réclame une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 26 mars 2010 Luc Q demande la confirmation du jugement, le débouté de toutes réclamations formées contre lui, subsidiairement la réduction du préjudice matériel, et le cas échéant sollicite d'être relevé indemne par la société JEAN LEFEBVRE, la société GAN, la société KIC, la société QUALICONSULT et la société AXA. Il réclame une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions du 21 septembre 2010 la société MAF demande la confirmation du jugement, subsidiairement l'application de la règle proportionnelle et la limitation à 73% de sa prise en charge des condamnations prononcées contre son assuré, la limitation du montant de l'indemnisation, le débouté de toutes autres demandes, et elle réclame une somme de 4000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nature des désordres
Les parties contestent le caractère décennal des désordres au motif de leur faible gravité.
De l'expertise il résulte que les désordres affectent les voiries, voies de circulation et plate-formes de chargement qui desservent le centre de tri, lequel est desservi pour les besoins de l'exploitation, outre des avions, par des camions lourds, que ces désordres consistent en un affaissement de la voirie de 4 m2 et 15 cm de profondeur au milieu de la voie de passage d'un camion désirant se garer pour décharger, un affaissement et des fissures sur 4m sur une voie de contournement du bâtiment avec déstabilisation de la bordure du trottoir, en des affaissements de 22 m2 sur une voie à double sens, en des faïençages de l'ensemble des surfaces de roulement, en des affaissements en bandes sur les canalisations souterraines, en des poinçonnements de l'enrobé, en des flaques d'eau stagnante, en des fissures des joints de fractionnement entre les bandes de coulage, en des détériorations des bordures des voies, en des trous et fissures importantes le long d'une voie.
Si ces désordres, en ce qui concerne les affaissements et flaques d'eau, n'atteignent que des zones actuellement limitées de la voirie, il est constaté que ces zones se situent dans les endroits fréquentés par les camions desservant effectivement le site et que les détériorations sont de nature à rendre ces voies impropres à cette desserte, sauf à endommager les véhicules y circulant et entraîner une déstructuration de la chaussée. Il n'a pas été contesté que du fait de la fragilité des voies le nombre des poids lourds admissible par jour a été réduit à 93 pour les zones de quai, contre 300 prévus initialement dans le marché.
Par conséquent les désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination.
Sur les responsabilités
Selon l'expert
- les affaissements constatés au-dessus des tranchées de canalisations et réseaux proviennent de mauvais tassement après remblais, imputables à la société JEAN LEFEBVRE,
- le sous-dimensionnement des structures, diminuant leurs performances mécaniques provient de la réduction d'épaisseur des enrobés, du changement de nature et d'épaisseur de la sous-couche de fondation, de l'absence de géotextile en fonds de fouille, les dégradations de surface, les décollements des enrobés proviennent de la mise en oeuvre des enrobés, les pentes et positionnement des avaloirs créant des flaques d'eau stagnante proviennent également de fautes d'exécution et du nombre insuffisant ainsi que du sous-dimensionnement des avaloirs et sont imputables à la société JEAN LEFEBVRE et à l'équipe de maîtrise d'oeuvre, les dégradations des bordures et caniveaux proviennent de la distance de rayon de braquage non conforme au marché et du passage de poids lourds en double sur des bandes à un seule à voie unique de circulation et sont imputables à l'équipe de maîtrise d'oeuvre, à la société QUALICONSULT ainsi qu'à l'exploitant du site.
La société TATEX demande la confirmation du jugement qui a retenu la responsabilité décennale de JEAN LEFEBVRE, de la société KIC et de la société QUALICONSULT et lui a laissé une partie des dommages à sa charge en retenant sa responsabilité à hauteur de 3% pour avoir laissé les véhicules circuler de manière inappropriée.
La société TATEX supportera donc 3% des réparations au titre de sa part de responsabilité résultant de l'aggravation des dommages consécutive à un usage inadapté.
La société JEAN LEFEBVRE ne conteste pas sa responsabilité telle que retenue par l'expert.
La société KIC conteste sa responsabilité au motif que le changement de matériaux opéré en cours d'exécution par l'entreprise ou l'absence de géotextile sont sans lien avec les désordres, que le maître d'oeuvre n'a pas à analyser les matériaux employés ni à contrôler les quantités mises en oeuvre, que l'expert n'a pas démontré les insuffisances des avaloirs et des pentes, que les rayons de courbure sont suffisants dans le cadre d'une utilisation normale.
Cependant il est de devoir du maître d'oeuvre de vérifier les documents d'exécution, les correspondances entre les prescriptions techniques et les matériaux employés, et aucun élément sérieux ne vient contredire les affirmations du technicien commis par la juridiction quant aux insuffisances constatées des éléments de construction. L'absence de géotextile, matériau isolant et imperméable, en fonds de fouille relève de la conception et a selon l'expert entraîné des remontées de 'fines argileuses' dans la couche de fondation et diminué ses performances mécaniques, et les éléments de contestation sur ce point de la société KIC, non étayés, ne sont pas probants, d'autant que contrairement à ce qu'elle affirme la présence d'eau dans la couche de fondation a été mise en évidence par les sondages effectués lors de l'expertise. Par ailleurs le rayon de courbure des voies devait être adapté aux dimensions des semi-remorques au regard de l'utilisation prévue des voies et la conception en a donc également été défaillante. Enfin dès lors que la société JEAN LEFEBVRE avait fait le choix de modifier la sous-couche de fondation par rapport à ce qui était prévu au marché, le maître d'oeuvre, en sus des vérifications des performances du produit, devait être particulièrement vigilant quant à la bonne exécution des travaux aux stades essentiels de leur réalisation.
Le contrôleur technique QUALICONSULT n'est mis en cause par l'expert qu'en ce qui concerne l'insuffisance de prévision du rayon de braquage des véhicules qui selon l'expert n'était pas adapté aux passages des semi-remorques de 17 mètres imposés par le cahier des charges et qui a entraîné une détérioration des bordures et caniveaux et une réparation trois mois après la réception et non trois mois avant comme l'a retenu à tort le premier juge. La société QUALICONSULT conteste ce point en indiquant avoir donné un avis conforme aux normes de sécurité qui concernent uniquement le passage des véhicules de pompiers et secours.
Cependant la société QUALICONSULT avait une mission S relative à la solidité des ouvrages de voirie et dans ce cadre devait vérifier la compatibilité entre les impératifs du cahier des charges et les prévisions des marchés au regard de l'utilisation des ouvrages et ne pouvait ignorer les contraintes de passage de véhicules spécifiques sur les ouvrages.
La société GAN soutient également que la société QUALICONSULT a commis une faute en rendant un avis confus sur la modification du produit utilisé pour la sous-couche de fondation, et qu'elle a bien donné un avis favorable quant à l'utilisation du produit 'scorgrave' pour la couche de fondation.
Cependant dans la réponse aux dires de la société QUALICONSULT pages 31 et 32 de son rapport, l'expert explique bien que les dommages ne proviennent pas des matériaux employés eux-mêmes mais des défauts dans l'exécution, notamment des manques d'épaisseur des matériaux et de pourcentage de bitume par rapport à ceux prévus et que d'autre part la société QUALICONSULT n'a pas été informée des choix opérés quant à la couche d'usure, ce qui était en dehors de sa mission, ni des modifications finalement apportées sur le corps de chaussée. La faute éventuelle de la société
QUALICONSULT à ce stade n'est donc pas caractérisée.
La société COVEA RISKS demande la condamnation de Luc Q in solidum avec les autres constructeurs. La société QUALICONSULT, la société AXA, la société GAN recherchent sa responsabilité au motif que le contrat de maîtrise d'oeuvre désignait Luc Q et la société KIC comme étant 'groupés solidaires' à l'égard du maître d'ouvrage et prévoyait la rémunération de Luc Q, quoiqu'avec des pourcentages variables, pour chaque élément de mission.
Toutefois Luc Q soutient n'être intervenu à aucun moment en ce qui concerne le lot VRD. La Société KIC de son côté a reconnu expressément que Luc Q n'est finalement intervenu que pour l'obtention du permis de construire, qu'elle a seule établi les documents de conception et d'exécution des lots techniques et a seule suivi les travaux, et elle ne demande d'ailleurs pas la garantie de Luc Q.
Si le marché de maîtrise d'oeuvre a été signé entre le maître d'ouvrage et les deux maîtres d'oeuvre considéré comme 'groupés solidaires', Luc Q s'exonère donc de la présomption de responsabilité décennale par la preuve que les dommages proviennent d'une cause qui lui est étrangère. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a été mis hors de cause.
Sur les travaux de réfection
L'expert a chiffré à 2.511.600 euros TTC le coût des travaux réparatoires outre les travaux d'urgence autorisés et les travaux déjà effectués, et ce au vu essentiellement d'un devis de l'entreprise COLAS qui reprend l'intégralité des ouvrages avec un phasage permettant de ne pas arrêter l'exploitation du site.
Diverses parties contestent la nécessité de la réparation intégrale de la voirie retenue par l'expert en estimant que seules doivent être réparées dans le cadre de la garantie décennale les zones affaissées.
Si l'expert n'a pas formellement précisé que les zones non atteintes par les désordres le seront en toute certitude, il est bien certain, et c'est ce qu'il a précisé, qu'aucune entreprise n'acceptera d'engager sa responsabilité sur une réfection partielle compte tenu des causes structurelles affectant l'ouvrage en son ensemble. L'expert a eu connaissance d'un autre devis de réfection proposé par la société JEAN LEFEBVRE et l'a écarté en notant qu'il ne prévoyait pas la réfection de certaines des zones atteintes par les désordres, notamment les bordures, caniveaux, avaloirs, réseaux enterrés et ne tenait pas compte des impératifs de phasage.
Dès lors que seul le devis de l'entreprise COLAS est de nature à permettre une réfection dans les règles de l'art de tous les désordres de nature décennale, le chiffrage de l'expert doit servir de base à la fixation du préjudice matériel.
Sur les montants dus et leur répartition
Il s'avère que finalement la société TATEX a fait réaliser des travaux de réfection qui lui donnent satisfaction pour un coût inférieur à celui fixé par l'expert et elle fixe sa réclamation à la somme de 2.004.000 euros HT. Elle ne conteste cependant pas les objections de la société COVEA RISKS selon lesquelles sont incluses dans ce montant des sommes de 45.000 euros et 30000 euros ne correspondant pas aux désordres et travaux prévus par l'expert. Ces sommes seront donc exclues de la réparation qui doit être chiffrée à 1.929.000 euros HT.
La société COVEA RISKS lui a versé la somme de 2.693.136 euros HT.
Le trop perçu réclamé à hauteur de 683.341,92 euros par la société COVEA RISKS lui sera donc remboursé par la société TATEX.
À l'égard du maître d'ouvrage et de la société COVEA RISKS subrogée dans ses droits, les intervenants à la construction débiteurs de la garantie décennale doivent être condamnés in solidum à régler, sous réserve de la part laissée au maître d'ouvrage, la totalité de la somme préfinancée, car chacune de leurs fautes a concouru à la réalisation de l'entier dommage.
La société QUALICONSULT ne peut en particulier se prévaloir des dispositions de l'ordonnance du 8 juin 2005 non applicable en l'espèce au vu de la date de la convention signée.
La société KIC entend également exclure sa condamnation in solidum sur le fondement d'une clause du contrat de maîtrise d'oeuvre qui prévoit que 'le maître d'oeuvre n'assumera les responsabilités professionnelles et particulièrement celles édictées par les articles 1792 et 2270 du code civil que dans la mesure de ses fautes personnelles'.
Cependant cette clause est contraire à l'ordre public en ce qu'elle ne permettrait pas à la victime d'un dommage, et a fortiori d'un dommage décennal soumis à une législation stricte sur ce point, d'obtenir d'un responsable la réparation intégrale de son dommage. Elle doit être réputée non écrite.
La société COVEA RISKS, subrogée dans les droits du maître d'ouvrage qui supporte 3% des réparations, ne peut donc réclamer que 97% des indemnités réparatrices.
Entre les intervenants à la construction, et au vu des fautes ci-dessus caractérisées, la responsabilité de ces 97% doit être répartie à raison de 65% à la charge de JEAN LEFEBVRE, 29% à la charge de la société KIC, et 3% à la charge de société QUALICONSULT.
La société GAN demande à exercer son recours pour le tout à l'encontre de Luc Q et de la société KIC, au motif qu'il s'agit d'un groupement de maîtres d'oeuvre solidaires, mais ce lien de solidarité n'a été créé qu'en faveur du maître d'ouvrage et, en l'absence de lien contractuel entre elle et les maîtres d'oeuvre, la société GAN ne peut fonder son recours que sur l'article 1382 du code civil et ne peut l'exercer qu'à proportion de la faute retenue à l'encontre de chacun d'eux.
La société GAN conteste sa garantie au motif que par une clause précise de la police qui définirait les travaux de technique courante elle n'a entendu garantir que ces travaux. Elle soutient que le matériau employé par la société JEAN LEFEBVRE (mâchefer d'incinération d'ordures ménagères) n'est pas de technique courante et que si elle avait été informée de l'utilisation de ce matériau de technique non courante elle aurait demandé le versement d'une prime supérieure, qu'il y a lieu au vu de ses calculs de réduire à proportion le montant des indemnités à verser soit suivant un ratio de 0,31 fois.
Force est de constater cependant, sans qu'il soit besoin d'examiner si la clause litigieuse est valable ou si les travaux sont ou non de technique courante, que les calculs de la société GAN sont effectués à partir de bases déterminées postérieurement à la police et qui n'ont jamais fait l'objet d'un accord entre les contractants. Par conséquent ils ne sauraient être opposables à l'assuré et la demande de réduction proportionnelle qui ne repose pas sur d'autres éléments opposables sera rejetée.
Sur la demande au titre des préjudices immatériels
La société TATEX forme en cause d'appel une demande tendant à la réparation de ses dommages immatériels à hauteur de 2.648.959,00 euros. Elle a également formé cette demande devant le tribunal de grande instance de Melun postérieurement au jugement déféré et un sursis à statuer jusqu'au présent arrêt a été prononcé par cette juridiction.
La recevabilité de cette demande est contestée par la société COVEA RISKS, la société QUALICONSULT, la société KIC, la société GAN et la société JEAN LEFEBVRE sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile au motif qu'il s'agirait d'une prétention nouvelle en appel.
Cependant la demande consiste à obtenir la réparation d'un élément du préjudice subi du fait des désordres affectant l'ouvrage. Elle constitue donc, au sens de l'article 566 du même code, un complément à la demande initiale relative à la réparation du préjudice considéré en ses éléments matériels et elle est recevable.
Il ne saurait être opposé à la société TATEX un principe de concentration des moyens puisqu'elle ne développe aucun moyen nouveau de nature à fonder sa demande, mais présente un complément de la demande elle-même.
La présente juridiction, d'un degré supérieur au tribunal de grande instance de Melun, est en outre valablement saisie de cette demande conformément aux dispositions de l'article 102 du code de procédure civile.
La société TATEX soutient que le phasage prévu pour la réalisation des travaux de réfection n'aurait pas empêché la réduction de l'accès à son site et des flux de transports et qu'elle aurait subi une perte d'exploitation supérieure à celle qu'elle a subi en transférant totalement pendant un temps moindre son exploitation sur un autre site.
En l'état la cour ne dispose pas des éléments suffisants à apprécier le montant du préjudice immatériel ainsi allégué. Une mesure d'expertise sera ordonnée avant-dire droit.
Sur les autres demandes
Les dépens exposés à ce jour, de première instance et d'appel doivent être supportés in solidum par la société JEAN LEFEBVRE, le société GAN, la société KIC, la société QUALICONSULT et la société AXA et seront en définitive supportés par celles-ci à hauteur de 66% par la société JEAN LEFEBVRE et la société GAN, de 31% par la société KIC et de 3% par la société QUALICONSULT et la société AXA, de même que les sommes de 10000 euros qu'il y a lieu d'allouer à la société TATEX et de 10000 euros à la société COVEA RISKS au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les autres demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas justifiées au regard de la situation des parties et de l'équité.
Par ces motifs, la cour,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a mis hors de cause Luc Q et la société MAF ;
Fixe l'indemnisation des dommages matériels à la somme de 1.929.000 euros HT ;
Condamne la société TATEX venant aux droits de la sci ALIZE et de la société TAT EXPRESS à payer à la société COVEA RISKS la somme de 683.3412,92 euros ;
Condamne in solidum la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE, la société GAN, la société KIEKEN IMMOBILIER CONSTRUCTION, la société QUALICONSULT et la société AXA à payer à la société COVEA RISKS 97% de la somme de 1.929.000 euros.
Dit que dans leurs rapports entre eux la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE et la société GAN supporteront 65% de cette somme principale de 1.929.000 euros, la société KIEKEN IMMOBILIER CONSTRUCTION 29%, la société QUALICONSULT et la société AXA 3%, et fait droit aux appels en garantie à ces hauteurs ;
Avant-dire droit sur les dommages immatériels, ordonne une expertise ;
Désigne Monsieur ... Emmanuel demeurant PARIS 08
Tél 01.44.95.16.40
Fax 01.42.89.10.96
Lequel aura pour mission de
- vérifier les dépenses alléguées par la société TATEX du fait de l'exécution des travaux de réfection de son centre de tri ;
- donner son avis sur les éléments de préjudice allégués et les chiffrer ou donner tous éléments permettant de les chiffrer.
Dit que la société TATEX devra consigner la somme de 4000 euros à titre de provision sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'Appel de PARIS avant le 8 Mars 2012,
Dit que l'expert déposera son rapport dans les six mois de la réception de l'avis de consignation. renvoie l'affaire à la mise en état du 29 mai 2012 pour vérifier la consignation ordonnée.
Condamne in solidum la société ENTREPRISE JEAN LEFEBVRE, la société GAN, la société KIEKEN IMMOBILIER CONSTRUCTION, la société QUALICONSULT et la société AXA aux dépens exposés à ce jour et au paiement à la société COVEA RISKS et à la société TATEX d'une somme de 10000 euros à chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Autorise le recouvrement des dépens par les avoués de la cause dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,